CATHOLICISME-Abus sexuels : “Les Églises d’Afrique devront aussi affronter leurs démons”-Bernard Ugeux

 » Un ami camerounais vivant en France me disait hier 05/12/2019 qu’une jeune femme venait de mourir du sida et c’est un prête atteint de cette maladie qui l’a infecté. Ce prêtre a les moyens de se soigner avec la tri thérapie mais la jeune fille a lâché le morceau au soir de sa vie et c’est le prêtre en chef qui lui demandé de dire tout pour sauver les autres » P B Cissoko

Des religieuses lors d’une visite du pape François à Nairobi en 2016. © GIUSEPPE CACACE / AFP

À la suite d’une déclaration commune de l’Union internationale des supérieures générales contre les abus dans l’Église, publiée le 23 novembre, le père blanc Bernard Ugeux, missionnaire en Afrique sub-saharienne, témoigne de la lutte pour la protection des mineurs et des personnes vulnérables dans son quotidien.

La déclaration de l’Union internationale des supérieures générales (UISG) sur les « abus de toutes sortes » à l’encontre des consacrées m’apporte un grand soulagement. Cette question se pose dans le monde entier, mais je me situe ici dans le lieu où j’exerce mon ministère, c’est-à-dire en Afrique Sub-saharienne, où je circule beaucoup pour la formation permanente des consacrés. Engagé dans la formation de prêtres délégués à la protection des mineurs et des personnes vulnérables (en lien avec l’Université Grégorienne à Rome), j’ai toujours insisté sur le fait que face à un prêtre, particulièrement en Afrique, les religieuses (et les autres femmes et jeunes filles) sont aussi des personnes vulnérables, vu le « pouvoir sacré » et le capital symbolique que représente un prêtre largement sacralisé dans nos régions.

Alors qu’il est si difficile de parler d’abus sur mineurs, dans les écoles, et encore plus dans les familles, les abus du clergé sur les religieuses souffrent d’une omerta totale. Pour la religieuse qui tombe enceinte, c’est l’exclusion immédiate de sa congrégation, pour le prêtre c’est au maximum un déplacement de lieu, car il est bien souvent considéré comme la victime d’une entreprise de séduction de la part d’une Sœur. Certes, il faut reconnaître qu’il y a des religieuses qui cherchent à séduire des prêtres. Cela se rencontre plutôt chez les membres de congrégations diocésaines locales qui souffrent de manque de moyens pour aider leur famille. Il y a aussi d’autres raisons qu’on peut rencontrer partout où on vit la mixité.

Ce qui importe, c’est d’abattre le mur construit par les prédateurs pour réduire les victimes au silence, avec la complicité de leurs responsables. Jusqu’à présent, les Églises d’Afrique ont été à l’abri des journalistes d’investigation. Ce qui a permis de camoufler bien des malversations, souvent avec la complicité des « bons catholiques » au nom du respect pour l’Église. Nous savons que c’était le cas il y a encore peu de temps en Europe ou en Amérique, mais maintenant les murs ont cédé sous le poids de l’investigation, comme on le voit dans la film Spotlight à propos du diocèse de Boston aux Etats-Unis.

À Rome, des religieuses africaines préparent des thèses de doctorat sur l’abus sur mineurs par le clergé en Afrique.

La vérité commence à sortir et, ce qui est important, c’est que ce sont les Africaines elles-mêmes qui s’expriment. À Rome, il y a des religieuses africaines qui préparent des thèses de doctorat sur l’abus sur mineurs par le clergé en Afrique (ils ne sont pas les seuls !) ainsi que sur les abus sur les religieuses. Bientôt, une émission télévisée d’Arte va donner la parole à des religieuses qui ont été abusées.

L’impunité souvent liée au cléricalisme tant décrié par le Pape ne durera par indéfiniment. J’an ai parlé avec des évêques africains de passage au Vatican. Ils en sont d’autant plus inquiets que leurs Églises n’ont pas les moyens de payer des compensations financières aux victimes. Je pense à cette femme qui a été abusée par un prêtre comme jeune professe et qui est tombée enceinte et donc chassée de sa congrégation. Elle a survécu en faisant des ménages mais actuellement sa fille née du viol voudrait poursuivre des études supérieures et la maman demande de l’aider à la financer, puisque le père refuse d’assumer ses responsabilités. Les nouvelles règles du Vatican à ce propos ne tolèrent plus cette attitude négationniste, mais encore faut-il que les évêques s’engagent.

Tout commence par une emprise de pouvoir pour terminer avec une intimité forcée.

Cette déclaration arrive avec retard, mais a le mérite d’exister. Il y a quelques décennies, une supérieure  générale d’une congrégation missionnaire a tenté de dénoncer cette situation au Vatican, en vain. Heureusement, les temps sont en train de changer. Les Supérieures Générales spécifient clairement : « L’abus sous toutes ses formes – sexuelle, verbale, émotionnelle, ou tout usage inapproprié du pouvoir dans une relation. » En effet, tout commence par une emprise de pouvoir pour terminer avec une intimité forcée. Elles déclarent : « Nous apportons notre soutien aux femmes et aux hommes qui ont eu le courage de dénoncer des abus auprès des autorités. Nous condamnons celles et ceux qui entretiennent la culture du silence et du secret, souvent sous le couvert de la “protection” de la réputation d’une institution ou en affirmant qu’elle ”fait partie de notre culture”. » Il s’agit bien de rompre la culture du silence et de cesser de se référer à « la culture » (souvent patriarcale) pour justifier l’injustifiable.

Il s’agit bien de justice et de guérison. 

Demandant une dénonciation « transparente civile et criminelle des abus », elles insistent : « Nous demandons que toute religieuse ayant été abusée dénonce cet abus auprès de la responsable de sa congrégation, et auprès des autorités ecclésiales ou civiles selon le cas. » L’UISG s’engage a soutenir les victimes « à guérir du passé à travers un accompagnement et en réclamant justice ». Car il s’agit bien de justice et de guérison. Ce n’est pas une revanche ou une vengeance. C’est travailler à la restauration de la personne – blessée à vie – qui a été méprisée et abusée comme un simple objet de plaisir. Elles terminent en disant : « Nous désirons tisser des liens de solidarité dans ces situations déshumanisantes et contribuer à une nouvelle création dans le monde entier. »

Personnellement, me faisant peu d’illusions sur l’impact réel d’une telle déclaration en Afrique, je me réjouis que la démarche soit entreprise à une échelle mondiale, ce qui concerne 500.000 religieuses consacrées ! Nous avons lu la Lettre au Peuple de Dieu du mois d’août 2018, du pape François qui écrit : « Il est essentiel que, comme Eglise, nous puissions reconnaitre et condamner avec douleur et honte les atrocités commises par des personnes consacrées, par des membres du clergé, mais aussi par tous ceux qui ont la mission de veiller sur les plus vulnérables et de les protéger. » Désormais, tous ceux et celles qui veulent participer à cette « création nouvelle » laïcs et consacrés, qui sont informés d’un abus, sont invités à discerner en profondeur et à prendre leurs responsabilités, où qu’ils-elles soient. Après la honte, il y aura la purification qui permettra ensuite une cohérence réelle dans un témoignage évangélique qui, ainsi, redeviendra crédible.

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