Qui sont les gens heureux ? in scienceshumaines

Voici une diversité de lectures sur le bonheur …PBC

« Les hommes pensent que le bonheur se trouve au sommet de la montagne alors qu’il réside dans la façon de la gravir », disait le philosophe chinois Confucius. Parfois, on s’imagine le bonheur dans des contrées inaccessibles, alors qu’il se trouve là, devant notre porte. Et la quête recèle plus de joyaux que l’aboutissement. Ces dernières années, les recherches dans ce domaine ont pris une ampleur phénoménale. Psychologues, sociologues, ethnologues, historiens ont rejoint les philosophes et poètes jusque-là maîtres en la matière. Tous tentent de décrire la spécificité des gens heureux, cette petite chose qu’ils ont en plus. Le bonheur peut-il s’apprendre, ou sommes-nous tributaires des seules circonstances ? Quelles sont les grandes attitudes humaines qui le favorisent ? Les réponses sont-elles universelles, ou diffèrent-elles selon les cultures ? Ce dossier pluridisciplinaire, éclairé par de récents travaux de recherche, offre des sources et des ressources pour approcher cet idéal que les Anciens appelaient « la vie heureuse ».

Une science du bonheur ?

Marc Olano

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

La philosophie sonde depuis l’Antiquité l’énigme des vies heureuses. La psychologie positive s’est lancé le défi d’en faire une science, en étudiant comment le bonheur advient et perdure.

«Le bonheur est un ange aux ailes fragiles, un colosse aux pieds d’argile. Il a besoin d’air, de lumière, de liberté et d’une terre d’asile… » Dans son poème « Le bonheur », Jacques Prévert illustre quelques-unes des innombrables facettes de ce Graal tant convoité par les humains : sa fragilité, comme sa force, sa volatilité, son besoin d’incarnation, d’expression… On retrouve des méditations sur le bonheur dès l’aube de la philosophie. Ce thème imprime aussi en profondeur la pensée religieuse. Mais ce n’est que récemment, à partir des années 1960, que des scientifiques commencent à l’étudier. Dans un contexte de forte croissance économique après-guerre, l’apparition de nouveaux biens de consommation (mode, voyages, éléments de confort, loisirs…) de plus en plus accessibles font du bonheur un argument publicitaire incontournable. La quête du bonheur, souvent assimilé à la satisfaction matérielle, relègue au second plan les devoirs civiques et religieux jusque-là prédominants. Une véritable industrie du bonheur se développe avec la naissance du développement personnel qui prétend libérer nos vertus endormies. Les psychologues, quant à eux, s’attachent à sonder les secrets de cette potion magique en interrogeant ses substrats. Qu’est-ce qui fait la spécificité […]

Qui sont les gens heureux ?

Marc Olano

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

 « Les hommes pensent que le bonheur se trouve au sommet de la montagne alors qu’il réside dans la façon de la gravir », disait le philosophe chinois Confucius. Parfois, on s’imagine le bonheur dans des contrées inaccessibles, alors qu’il se trouve là, devant notre porte. Et la quête recèle plus de joyaux que l’aboutissement. Ces dernières années, les recherches dans ce domaine ont pris une ampleur phénoménale. Psychologues, sociologues, ethnologues, historiens ont rejoint les philosophes et poètes jusque-là maîtres en la matière. Tous tentent de décrire la spécificité des gens heureux, cette petite chose qu’ils ont en plus. Le bonheur peut-il s’apprendre, ou sommes-nous tributaires des seules circonstances ? Quelles sont les grandes attitudes humaines qui le favorisent ? Les réponses sont-elles universelles, ou diffèrent-elles selon les cultures ? Ce dossier pluridisciplinaire, éclairé par de récents travaux de recherche, offre des sources et des ressources pour approcher cet idéal que les Anciens appelaient « la vie heureuse ».

DOSSIER : QUI SONT LES GENS HEUREUX ?

5 idées reçues sur le bonheur

Marc Olano

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

Idée reçue n° 1
L’argent fait le bonheur
Oui, plutôt…

S’il est vrai que le niveau de bonheur augmente avec le niveau de revenus, ceci n’est valable que jusqu’à un certain seuil (estimé à environ 7 500 euros par mois) au-delà duquel le niveau de bien-être ressenti ne progresserait plus, voire diminue. C’est ce que l’on nomme « le paradoxe d’Easterlin », du nom d’un économiste américain. Celui-ci a montré en 1974 que bien que la richesse aux États-Unis ait augmenté de 60 % entre 1964 et 1970, les gens ne se disaient pas plus heureux pour autant. L’augmentation des revenus ne semble avoir d’influence que sur le court terme, pas dans la durée. En 2021, le chercheur américain Matthew Killingsworth remet en question l’effet de seuil. Dans une étude auprès de 33 000 Américains, il trouve que le niveau de bien-être continue à augmenter, même au-delà des 7 500 € par mois.

Idée reçue n° 2
Pour vivre heureux, vivons en couple
Oui, s’il y a de l’amour

Les mariés se disent plus heureux que les divorcés, les séparés ou les veufs, mais pas plus que ceux qui ont choisi de vivre en célibataire. Ces derniers trouvent d’autres sources de bonheur dans leurs relations amicales, familiales ou professionnelles. Si le mariage ou la mise en couple présente donc bien un effet […]

 

Peut-on se fier à la psychologie positive ?

Propos recueillis par Adèle Cailleteau

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

La psychologie positive, qui s’intéresse au bien-être et à la résilience, connaît un franc succès auprès du grand public. Mais offre-t-elle réellement des pistes pour améliorer son quotidien ?

Michel Hansenne
« Non. ses bases ne sont pas rigoureuses »

Michel Hansenne Professeur à l’université de Liège où il dirige le service de psychologie de la personnalité et des différences individuelles, auteur de La Face cachée de la psychologie positive. Approche critique et perspectives, Mardaga, 2021.

« Certains tenants de la psychologie positive, comme Sonja Lyubomirsky, ont affirmé qu’un individu pourrait contrôler jusqu’à 40 % de son niveau de bonheur. 40 %, c’est énorme ! Il faut évidemment se méfier de ce type de chiffres. Des personnes qui vivent dans une situation favorable peuvent bien sûr améliorer leur bien-être, mais il est très naïf de penser que tout le monde serait en mesure d’y parvenir dans de telles proportions. En fin de compte, l’écart de bien-être entre ceux qui sont heureux et ceux qui ne le sont pas s’accroît, parce que ces astuces ne fonctionnent que sur les personnes qui vont déjà bien. Dans le même temps, il devient honteux de dire qu’on fait partie de la deuxième catégorie alors qu’on dispose de tant d’outils pour atteindre le bonheur.

Accorder à l’individu la responsabilité de son bien-être est pernicieux parce qu’on déplace les enjeux politiques relevant de la société vers les personnes et leurs émotions, dédouanant […]

Des théories aux thérapies

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

  • Cibler ses besoins avec les humanistes

Initiée par le psychologue américain Carl Rogers (1902-1987) dans les années 1940, la thérapie humaniste se distingue par une vision résolument optimiste de l’humain. Pour C. Rogers, tout le monde a naturellement une orientation positive dans la vie et les potentialités pour parvenir à ses fins. Seulement, il faut parfois donner un petit coup de pouce à ceux qui peinent à exploiter leurs forces et à les développer. Le psychologue crée l’approche centrée sur la personne qui se caractérise par une position très empathique du thérapeute (le regard positif inconditionnel).

Une autre figure centrale des thérapies humanistes est le psychologue Abraham Maslow (1908-1970), connu surtout pour sa pyramide des besoins. Il établit une hiérarchie des besoins humains avec à sa base les besoins élémentaires (physiologiques, sentiment de sécurité, appartenance à une famille ou un groupe, estime de soi). Pour A. Maslow, ce sont les conditions préalables pour pouvoir tendre vers des besoins supérieurs (accomplissement, expression créative, dépassement de soi).

Donner un sens aux évènements, même les plus douloureux, se réapproprier son histoire, se projeter dans l’avenir… ces […]

Rebecca Shankland : « Cultiver la gratitude, l’écoute et l’empathie »

Propos recueillis par Marc Olano

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

La psychologie positive ne nous préserve pas du malheur. Mais elle délivre quelques enseignements pour trouver une relation apaisée à soi et aux autres. C’est ce qu’explique Rebecca Shankland, qui vient de cosigner Les Aventuriers du bonheur perdu.

Rebecca Shankland, psychologue – ©THIERRY MORTURIER

Pourquoi avez-vous choisi le format bande dessinée pour votre nouveau livre ?

Depuis quinze ans, j’essaie de faire comprendre au grand public ce qu’est la psychologie positive et je m’aperçois qu’il y a beaucoup d’idées reçues et d’incompréhensions concernant cette notion, souvent interprétée comme une psychologie qui ne s’intéresserait qu’aux choses positives (lire l’encadré ci-dessous). Or, la psychologie positive étudie les conditions et les processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions. Avec ce format illustré, j’ai voulu toucher un public plus large et rendre ces recherches plus abordables. Les premiers retours du côté des médecins, psychologues et enseignants sont très encourageants.

« Être heureux, ça s’apprend », promettez-vous dans votre livre. Vraiment ?

Si la psychologie positive s’est effectivement engagée dans cette voie, notamment en essayant d’agir sur les facteurs protecteurs d’une bonne santé mentale, il serait illusoire de croire que tout un chacun peut accroître son bonheur à sa guise avec un peu de psychologie positive. Même si nous pouvons agir dans une certaine mesure sur notre quotidien, il y a des […]

Des peuples plus heureux que d’autres ?

Gaël Brulé

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

Le classement mondial des pays les plus heureux de l’Onu, fondé sur les valeurs de réalisation de soi, fait honneur aux pays nordiques. Mais une lecture alternative, plus centrée sur les affects, consacre d’autres régions du globe.

Chaque année, l’Onu publie son top 10 des pays les plus heureux, le World Happiness Report (1). Fondé sur six critères (revenu, soutien social, espérance de vie en bonne santé, liberté de choix, générosité perçue et absence de corruption), ce palmarès est étonnamment homogène. On y trouve l’écrasante majorité des pays riches du Nord de l’Europe, de moins de 10 millions d’habitants et à dominante protestante : la Finlande, le Danemark, l’Islande, etc. (voir tableau), loin devant la France qui pointe seulement en 21e position.

Classements du bonheur cognitif (à gauche) et affectif (à droite).
Source : World Happiness Report 2023 (Onu).

En se penchant sur ce classement, on se rend compte que ces pays combinent une forte composante individualiste avec un capital social élevé, qui se traduit par un degré important de confiance envers autrui et les institutions et un contrat collectif respecté. Pas besoin donc de créer un régime totalitaire pour raviver le rêve benthamien du bonheur pour le plus grand nombre (2).

Les démocraties nord-européennes semblent réussir le pari de créer un cadre favorable au bien-être des individus, leur laissant le soin de faire les derniers pas pour atteindre le bonheur. Même si cela se fait parfois au prix de normes sociales […]

Le bonheur a une histoire

Martine Fournier

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

Nostalgie de l’âge d’or, espoir de paradis, utopies diverses ou aspirations plus matérialistes… Depuis la nuit des temps, les êtres humains se forgent des représentations du bonheur.

  • Âge d’or
    Le paradis perdu

De la Mésopotamie à l’Inde, des terres d’Islande à l’Amérique précolombienne, le mythe de l’âge d’or se retrouve dans toutes les civilisations. « Il n’y avait pas de serpents, il n’y avait pas de scorpions, il n’y avait pas d’hyènes, pas de loups, pas de peur, pas de terreur, l’homme n’avait pas de rival », dit une tablette sumérienne datant de 4 000 ans avant notre ère. Chaque peuple y reflète ses aspirations particulières, mais partout et pour tous, paix, santé et bonheur. Ce sera le travail des religions et des philosophies d’expliquer pourquoi l’homme a perdu ce bonheur parfait.

  • Antiquité
    Bonheurs à la grecque

Durant l’Antiquité grecque, épicuriens, stoïciens, hédonistes proposent chacun leur version du bonheur.

Pour Épicure (341-270 av. J.C.), le bonheur est résumé par le « carpe diem » du poète latin Horace : cueillir le jour sans gâcher son temps en vaines considérations.

L’école stoïcienne prône la tempérance et les vertus d’une vie simple. Le bonheur vise l’ataraxie, un état de quiétude marqué par une absence de troubles.

Pour les hédonistesle plaisir s’incarne dans la jouissance sous toutes ses formes, de l’érotisme aux plaisirs de la table.

  • Christianisme
    Où se trouve le paradis ?

« La vie ne sera vraiment […]

Pour prolonger la lecture

Sciences Humaines N° 365 – Février 2024

Les sources de ce dossier

  • La Fabrique du bonheur. Vivre les bienfaits de la psychologie positive au quotidien
    Martin Seligman, J’ai lu, 2023.
    Dans ce livre publié en 2002, le fondateur de la psychologie positive pose les bases de cette nouvelle science du bonheur et explique comment parvenir à une vie pleine en s’appuyant sur ses forces personnelles.
  • La Psychologie positive
    Rebecca Shankland, 3eéd., Dunod, 2019
    Une initiation à la psychologie positive, par une de ses principales représentantes en France, à travers une approche historique, méthodologique et scientifique.
  • Vivre. La psychologie du bonheur
    Mihály Csíkszentmihályi, Robert Laffont, 2004.
    Dans ce livre publié en 1990, une autre figure de proue de la psychologie positive partage sa théorie du bonheur de l’instant présent, le flow(flux), aussi appelé « expérience optimale ».
  • Qu’est-ce qui nous rend vraiment heureux ?
    Sonja Lyubomirsky, Les Arènes, 2014.
    La scientifique américaine détricote les idées reçues sur le bonheur (argent, amour, parentalité…) et souligne ses véritables leviers, de nombreuses études à l’appui.
  • Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez !
    Jacques Lecomte, Les Arènes, 2017.
    L’auteur, fondateur de l’Association française de psychologie positive et pionnier de la […]