« Le monde animal est une bonne école pour les humains. Resuster en masse est une force qui peut faire bouger les plus coriaves , la preuve ici.
Les fourmis le font aussi malgré leurs petitesses »..P B CISSOKO
Emeline Férard 14/10/2020, 14:47 Environnement
Au Costa Rica, des chercheurs ont assisté à l’attaque d’un Boa constrictor sur un jeune singe capucin et à la réaction de ses congénères. A peine l’alerte donnée, ces derniers se sont alliés pour s’en prendre au prédateur et libérer sa victime.
L’union fait la force. Même lorsque l’on se trouve en pleine forêt tropicale face à un redoutable prédateur quatre fois plus grand que soi. C’est ce qu’ont constaté des anthropologues américains durant une expédition dans la zone de conservation de Guanacaste au Costa Rica.
Alors qu’ils exploraient le secteur de Santa Roca en juillet 2019, ils ont assisté à une scène rarement documentée : l’attaque d’un boa constricteur (Boa constrictor) sur un jeune capucin à face blanche (Cebus imitator). Le primate âgé de six ans jouait au sol avec ses congénères lorsque le prédateur l’a capturé et a commencé à l’enserrer.
Le capucin à face blanche est une espèce qui évolue dans les forêts d’Amérique centrale. Très social, il vit en groupe composé d’une dizaine à une quarantaine d’individus qui passent une grande partie de leur temps dans les arbres. Mais ils s’aventurent aussi régulièrement au sol en quête de nourriture ou pour jouer, malgré le danger.
De taille moyenne, ces singes mesurent une quarantaine de centimètres sans la queue pour un poids d’environ trois-quatre kilogrammes. Autant dire que face à un serpent musculeux d’environ deux mètres de long le combat semblait mal engagé. Sa victime s’en est pourtant sortie saine et sauve, grâce à ses congénères.
Les capucins à face blanche sont des singes de taille moyenne évoluant en Amérique centrale. © Steven G. Johnson/CC BY-SA 3.0
Les serpents, une menace bien connue
Les chercheurs décrivent la scène qu’ils sont parvenus à filmer dans une étude publiée par la revue Scientific Reports. La prédation par les serpents est une menace bien connue pour les singes qui font preuve d’une grande vigilance. Dès qu’un prédateur est détecté, ils réagissent très rapidement en émettant des cris d’alerte et en secouant les arbres.
Cette réactivité permet généralement aux primates d’éviter tout contact direct avec le serpent et de se tenir à distance. Mais il arrive que la rencontre aboutisse sur une attaque. Bien que les observations demeurent limitées, l’issue des prédations semble être très souvent fatale pour les proies, en particulier lorsqu’il s’agit d’un serpent venimeux.
Ce n’était pas le cas ici. Comme son nom l’indique, le boa est un serpent constricteur. Il capture ses proies et les tue en enserrant son corps autour d’elles. Ce qui laisse davantage de marche de manoeuvre aux potentiels sauveteurs de la victime. Et les congénères du jeune capucin n’ont pas hésité à en profiter.
Défense éclair
Comme les chercheurs le relatent dans leur rapport, la capture du singe a rapidement déclenché une réaction parmi le groupe. « Quand la victime a crié, le mâle alpha, la femelle alpha et une autre femelle adulte ont accouru sur place« , écrivent-ils. Ils ont alors commencé à « attaquer physiquement le serpent » en le mordant et en le frappant.
Dès les premiers cris d’alerte, les congénères du jeune capucin attaqué ont accouru. Capture d’écran de la vidéo. © Sophie Lieber/K. Jack et al., Scientific Reports
La vidéo qu’ils ont réussi à filmer donne un aperçu de la violence et la rapidité de la confrontation qui n’a duré qu’une vingtaine de secondes. Après avoir mordu et frappé le serpent à plusieurs reprises, le mâle alpha l’a empoigné à deux mains et l’a mordu à nouveau. « Du sang est visible sur le serpent après la morsure« , précise le rapport.
Pendant ce temps, la femelle alpha et une autre femelle portant un petit sur le dos tentaient de tirer la victime du corps du serpent. A peine libérée, celle-ci s’est enfuie. Les autres se sont écartés du prédateur tout en continuant de le menacer et d’émettre des cris d’alerte. Une stratégie efficace puisque le boa a fini par quitter les lieux, le ventre vide.
L’importance de la coopération
Aucun capucin n’a semblé sortir de la confrontation blessé. « Nos observations décrites ici mettent clairement en lumière l’efficacité d’une persécution coopérative du prédateur pour secourir un congénère« , expliquent les chercheurs dans leur étude, précisant que les autres membres du groupe avaient continué d’émettre des cris pendant et après l’affrontement.
Des stratégies de défense collectives ont déjà été documentés chez différents animaux dont des oiseaux et des mammifères comme les suricates. Toutefois, les sauvetages collectifs face à un prédateur demeurent plus rarement observés et pour cause. Ils impliquent une forme spéciale de coopération et une grande prise de risque sans garantie de réussite.
Dans le cas présent, les chercheurs ignorent si les femelles qui sont intervenues avaient un lien de parenté avec la jeune victime. Ils sont en revanche certains que cette dernière n’en avait pas avec le mâle alpha qui a pourtant été le participant le plus actif dans l’attaque défensive.
Les observations suggèrent ainsi que ce comportement de sauvetage ne serait pas un événement isolé mais ferait partie du répertoire comportemental naturel des capucins. « Cette observation enrichit nos connaissances croissantes sur le comportement coopératif et son importance dans la défense contre les prédateurs« , concluent ainsi les auteurs.