Israël ne frappe plus seulement les installations liées au programme nucléaire iranien. Depuis dimanche, l’État hébreu s’en prend aussi aux infrastructures énergétiques ainsi qu’aux sites militaires ou liés à l’appareil sécuritaire iranien. Une extension du domaine de la guerre qui interroge sur le but poursuivi par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Officiellement, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a justifié sa campagne de bombardements contre l’Iran, débutée vendredi 13 juin, par la nécessité de mettre un terme définitif au programme nucléaire iranien. Mais les dernières attaques aériennes semblent raconter une autre histoire.
Israël a frappé le bâtiment du ministère des Affaires étrangères ainsi que les installations du ministère du Renseignement de la République islamique d’Iran, dimanche 15 juin. Le même jour, les chasseurs israéliens ont visé le quartier général de la police pour l’agglomération de Téhéran. De nouvelles frappes ont ciblé le centre de commandement de la force Al-Qods, unité d’élite du corps des Gardiens de la révolution, spécialisée dans les opérations en dehors des frontières iraniennes.
L’escalade des frappes israéliennes
Autant de cibles davantage liées aux centres de décision politiques et militaires du régime iranien qu’aux infrastructures du programme nucléaire.
La veille déjà, les frappes décidées par le gouvernement israélien avaient visé en priorité des infrastructures énergétiques plutôt que des sites du programme nucléaire. Les bombardements israéliens avaient endommagé des structures exploitant le champ gazier de South Pars/North Dome, qui abrite la plus importante réserve de gaz naturelle au monde.
« On assiste à une stratégie de frappes graduelles qui correspondent à différentes priorités pour le gouvernement israélien », souligne Clive Jones, directeur de l’Institut d’études islamiques et moyen-orientales de l’université de Durham, au Royaume-Uni.
Le but premier, celui mis en avant par Benjamin Netanyahu, demeure de ralentir ou de mettre un coup d’arrêt au programme nucléaire. « Le deuxième objectif consiste à frapper les installations militaires et celles qui permettent d’approvisionner ces sites », ajoute Clive Jones.
Pour lui, c’est l’objectif premier des bombardements qui ont visé les champs gaziers. « Les infrastructures visées servent en priorité à approvisionner en carburant les sites de lancement de missiles », précise ce spécialiste.
Enfin, les attaques contre les bâtiments liés au régime et les assassinats ciblés de responsables constituent « une tentative israélienne de semer la confusion et déstabiliser la chaîne de commandement afin, potentiellement, de ralentir leur capacité à réagir », souligne Filippo Dionigi, spécialiste du Moyen-Orient et des mouvements islamistes à l’université de Bristol.
La doctrine de la pieuvre
Cette stratégie en plusieurs temps « correspond à la doctrine de la pieuvre, qui avait été publiquement présentée pour la première fois en 2021 par Naftali Bennett, le Premier ministre israélien de l’époque », explique Veronika Poniscjakova, spécialiste des conflits au Moyen-Orient à l’université de Portsmouth.
Cette approche stratégique consiste à « ne plus viser les tentacules – c’est-à-dire les groupes jihadistes pro-iraniens tels que le Hezbollah, ou à mener des opérations clandestines telles que le virus Stuxnet [ayant paralysé des centrifugeuses iraniennes en 2010] – mais à s’attaquer directement à la tête de la pieuvre, autrement dit à lancer une offensive plus générale contre l’Iran et son programme nucléaire », détaille Veronika Poniscjakova.
L’extension du domaine des frappes israéliennes peut aussi avoir des objectifs plus larges et géopolitiques, d’après les experts interrogés par France 24. « L’attaque contre les infrastructures énergétiques est révélatrice, car c’est une manière pour Israël d’indiquer qu’il peut chercher à déstabiliser le pays dans l’espoir de faire tomber le régime en place à Téhéran », estime Shahin Modarres, responsable du programme sur l’Iran à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
Si les Israéliens visent des infrastructures énergétiques exclusivement civiles, cela peut aggraver encore les coupures de courant à travers le pays et « contribuer à saper la confiance que la population pourrait avoir en ses dirigeants », suggère Filippo Dionigi.
Dans ce scénario, les frappes contre les bâtiments liés au pouvoir politique – tel que celui de la radio et de la télévision d’État, ciblé lundi 15 juin – ou à la police seraient une manière « de signaler aux opposants au pouvoir en place qu’ils doivent saisir l’opportunité et profiter d’une certaine vacance de l’appareil répressif », souligne Veronika Poniscjakova.
Une menace existentielle pour le pouvoir iranien ?
Le bombardement par l’aviation israélienne des locaux de la police à Téhéran et du ministère du Renseignement « peut réduire la capacité des autorités iraniennes à réprimer les troubles sociaux », souligne le site de l’Institute for the Study of War dans une note d’analyse de la situation en Iran rédigée en partenariat avec l’American Enterprise Institute et publiée lundi.
L’hypothèse d’une volonté israélienne de faire chuter le pouvoir en place à Téhéran est renforcé par « la communication de Benjamin Netanyahu qui, sur les réseaux sociaux, publie des messages destinés aux Iraniens revenant à leur dire : ‘Regardez comment nous affaiblissons un régime qui vous oppresse depuis des décennies’ », note Clive Jones.
Encore faudrait-il savoir si le pouvoir iranien a réellement été affaibli au point d’être incapable de s’opposer à un soulèvement de l’intérieur. « C’est la grande question du moment à laquelle personne ne peut vraiment répondre », reconnaît Clive Jones.
Sans compter que « toute interférence étrangère dans les affaires politiques d’un pays peut entraîner une sorte de réveil patriotique et un regroupement autour de la figure du leader, même contesté », avertit Filippo Dionigi. Autrement dit, Benjamin Netanyahu, en se faisant le soutien explicite aux mouvements d’opposition en Iran, peut renforcer le régime iranien le temps de la guerre.
Sans compter que le Premier ministre israélien « fait un pari très risqué en lançant une campagne qui va au-delà des seules cibles liées au programme nucléaire », assure Clive Jones.
En effet, en face, le pouvoir iranien « comprend que c’est une menace existentielle pour lui. Il va donc utiliser tous les moyens militaires à sa disposition pour assurer sa survie », estime Filippo Dionigi.
Le risque est une intensification du conflit qui résulterait « dans un nombre plus élevé de victimes civiles en Israël, ce qui accentuerait la pression politique sur le gouvernement israélien », souligne Shahin Modarres. Pour cet expert, « soit Benjamin Netanyahu réussit à ralentir suffisamment le programme nucléaire iranien, à neutraliser le commandement militaire et à affaiblir suffisamment le régime, soit il risque de chuter ».