« Diversité : une hypocrisie française » (7/7). Découragés par les discriminations, anxieux face à la montée de l’extrême droite, de nombreux Français d’origine africaine ont décidé de prendre un aller simple pour le continent. Et tous s’en félicitent. Témoignages.
Diversité, une hypocrisie française
Il y a Ina, qui s’est vu refuser la location d’un appartement parce que son dossier était « trop beau pour être vrai », selon la propriétaire, qui a cru bon d’ajouter : « On connaît les arnaques des Africains. » Ou Aminata, qui garde un souvenir douloureux des nombreux contrôles de police auxquels elle assistait, enfant, quand elle se promenait dans les rues de Paris avec son père.
Chacune des personnes rencontrées a ce type d’anecdotes à raconter, ces « petites » remarques soi-disant bienveillantes, ces actes de racisme ordinaire qui finissent par peser. Nées dans l’Hexagone ou dans leur pays d’origine, ces Françaises noires ont fini par être lassées d’être toujours « l’autre » dans leur propre pays.
Animées par un désir d’entreprendre, de changer les choses, de renouer avec leur famille ou avec leurs racines, elles ont fait le choix de (re)venir s’installer sur le continent. Une décision parfois mal vécue ou mal comprise par leurs propres parents, qui avaient eux-mêmes tout quitté pour leur offrir une chance de réussir. Toutes confient aussi le choc culturel qui les a surprises dans leur nouveau pays, qu’elles ont parfois rejoint avec un peu de naïveté. Pourtant, elles n’envisagent pour rien au monde de retourner dans l’Hexagone. Rencontre avec ces ex-Afropéennes qui ont fait le choix du retour.
- Ina, 36 ans, à Bamako depuis 2015 : « Nos parents sont partis pour réussir, on revient pour les mêmes raisons »
« C’est à la naissance de mon premier enfant que j’ai eu envie de partir. Petite, les micro-agressions racistes m’ont beaucoup marquée, je ne voulais pas que mes enfants grandissent dans le même contexte. Je refuse qu’ils puissent se dire que les Noirs sont inférieurs aux Blancs. Quand on est jeune, on a juste envie d’être comme tout le monde. Le racisme et l’islamophobie ne cessent d’empirer en France. Mon mari est très pratiquant, et je sais qu’il serait passé pour islamiste si on n’était pas partis. Enseigner l’islam à ses enfants, c’est prendre le risque d’être accusé de sectarisme, de communautarisme. Pratiquer sa religion en France quand on est musulman, avoir une barbe, aller à la mosquée, c’est prendre le risque d’être fiché S. Ça fait peur.
POLITIQUE
Élisabeth Moreno-Kofi Yamgnane : « Nous n’avons pas choisi la France par masochisme »
Par Olivier Marbot
Mis à jour le 7 mars 2022 à 08:35
Élisabeth Moreno et Kofi Yamgnane. © Montage JA; Bruno Lévy; Bruno Lévy pour JA
« Diversité, une hypocrisie française » (1/7). L’une est ministre d’Emmanuel Macron, l’autre a été secrétaire d’État sous François Mitterrand. Tous deux symbolisent, à une génération d’intervalle, une certaine forme de réussite républicaine et d’intégration à la française. Avec complicité, ils comparent leurs expériences.
Né au Togo en 1945, Kofi Yamgnane est arrivé en France en 1969 pour y poursuivre ses études. Il s’y est marié, a milité, a été élu maire de son village breton mais aussi conseiller général, régional, puis député. Quant à sa cadette, Élisabeth Moreno, elle a vu le jour au Cap-Vert en 1970. Sa famille a rejoint la France en 1977, et, après des études de droit, elle a créé son entreprise avant de prendre la tête des filiales de grands groupes informatiques. Leur point commun : ils font partie des rares Français originaires d’Afrique subsaharienne à avoir occupé un poste ministériel. C’était en 1991 pour M. Yamgnane, lorsqu’il a été nommé secrétaire d’État chargé de l’Intégration. Mme Moreno, elle, est ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances depuis 2020.
Jeune Afrique les a réunis pour évoquer leur parcours et leur expérience ministérielle, à trente ans d’intervalle. Éloignement géographique et mesures sanitaires obligent, l’entretien s’est déroulé en visioconférence, la ministre siégeant dans son bureau parisien tandis que l’ex-maire de Saint-Coulitz – que Mme Moreno appelle « grand frère » – se connectait depuis sa maison bretonne.
Dans son bureau, un magnifique masque bassar est fixé au mur, et Kofi Yamgnane a tenu à nous en expliquer la signification. « On l’appelle “le masque du vainqueur”, et on n’a le droit de le porter que quand on a tué un ennemi. Moi, je n’ai jamais tué personne, mais j’ai eu le droit d’en avoir un parce que j’ai vaincu le Blanc chez lui. »
Jeune Afrique : Vous êtes tous les deux nés en Afrique subsaharienne, et avez tous les deux été ministres à trente ans d’intervalle. Quel regard chacun d’entre vous porte-t-il sur le parcours de l’autre ?
Kofi Yamgnane : J’admire Élisabeth Moreno, que je connaissais en tant que grande entrepreneuse. Moi, je n’ai pas eu tout à fait ce parcours-là : j’étais juste un petit fonctionnaire et un militant politique. À la demande des paysans de mon village du Finistère, j’ai eu l’occasion d’en devenir le maire à la fin des années 1980. Mais je ne m’attendais pas du tout à entrer un jour au gouvernement de la République française. Tandis qu’Élisabeth est plutôt issue de la société civile pure. Elle est arrivée par la « force des bras », c’est-à-dire par le mérite.
« Diversité : une hypocrisie française » (5/7). Accusées de reproduire les inégalités sociales, les grandes écoles françaises tentent depuis des années de s’ouvrir à la diversité. Mais beaucoup reste à faire pour briser le plafond de verre.
À 27 ans, Ousmane Galokho est déjà haut fonctionnaire. Au ministère de la Transition écologique, il est adjoint au chef du bureau des aides financières. Fait rare dans les hautes sphères de la fonction publique, il est fils d’immigrés venus d’Afrique subsaharienne. En France, ces derniers ont 8 % moins de chances que les natifs d’occuper un emploi public, selon le rapport L’Horty sur les discriminations dans l’accès à l’emploi public publié en 2016. « Il y a encore un effet de surprise quand on nous voit à des postes de cadres supérieurs. Dans les ministères, les Noirs ou les descendants d’immigrés travaillent plutôt dans la sécurité ou la restauration », explique ce diplômé (en octobre 2020) de l’École nationale d’administration (ENA), laquelle a été dissoute un an plus tard, sacrifiée sur l’autel de la diversité.
La prestigieuse école créée en 1945 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale était accusée de reproduire une élite française peu diversifiée socialement. Mais avant la suppression de l’ENA, en décembre 2021, le parcours d’Ousmane faisait figure d’exception. Lui qui a grandi près de Perpignan, dans le sud de la France, ne vient pas d’un milieu social aisé. Un peu comme 64 % des populations d’immigrés originaires d’Afrique, selon l’Insee. Son père, traducteur d’arabe venu du Sénégal, n’a pas fait « l’école occidentale ». Et sa mère est femme de ménage. « Travailler dans la haute fonction publique était une idée qui m’intéressait depuis le collège, raconte-t-il. Mais quand vous n’avez pas de modèles, il est très difficile de se projeter et d’être très ambitieux. »
Son bac scientifique avec mention « très bien » en poche, Ousmane Galokho cherche sa voie. Il tente une entrée en classe préparatoire aux écoles d’ingénieurs, à Toulouse, et réussit ensuite le concours de l’École des ponts et chaussées en 2014. Mais après avoir décroché son diplôme d’ingénieur, l’envie de rejoindre la fonction publique reste forte. Il intègre Sciences Po Paris. « Je pensais qu’en faisant une école d’ingénieur, je pourrais rejoindre la fonction publique. Mais il valait mieux candidater à Sciences Po pour préparer le concours d’entrée à l’ENA », explique-t-il.
« Diversité : une hypocrisie française » (6/7). L’universitaire Maboula Soumahoro travaille sur les minorités en France et aux États-Unis. Si elle juge que la discrimination positive n’est pas une solution parfaite, le modèle universaliste brandi par les Français est loin de favoriser l’intégration. Entretien.
Jeune Afrique : Les Français d’origine africaine font-ils partie intégrante de la société française ?
Maboula Soumahoro : Il y a une intégration de fait des Français d’origine africaine dans l’Hexagone : ils y vivent et y accèdent à des emplois… Mais il n’existe toujours pas de réelle volonté politique de promouvoir ou de valoriser cette diversité. En effet, en dépit des avancées enregistrées au cours des trente dernières années — où on a pu installer dans le débat public les questions de discriminations, de diversité ou du racisme –, les modalités et les termes de ce débat sont toujours aussi tronqués tant ces sujets demeurent sensibles. Résultats, les seules mesures adoptées en faveur des Français issus de la diversité sont purement symboliques, comme les nominations et les promotions de quelques personnalités isolées.
Vous parlez de racisme. Y a-t-il un lien entre le racisme et ce plafond de verre auquel les Français d’origine africaine peuvent se trouver confrontés dans leur parcours professionnel ?
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https://www.jeuneafrique.com/1315114/societe/racisme-il-ne-suffit-pas-de-se-declarer-universaliste