« Je l’ai rencontré physiquement en 2018 lors d’une conférence de Felwine à Paris 19 au 108. Elle était discrète, très attentive, mais elle a quitté avant la fin de la conférence. C’est une femme battante qui ne se laisse pas faire et qui se défend avec des armes tirées de son vécu de ses lectures et de ses voyages. A suivre »P B CISSOKO
À mi-chemin entre l’autobiographie et le guide de développement personnel, ce récit de Rokhaya Diallo, née dans le Paris populaire de la fin des années 1970, relate le parcours inspirant d’une femme qui a réussi à s’extraire de sa condition, à mobiliser toutes ses ressources pour s’élever socialement et intellectuellement et à se nourrir des multiples rencontres qu’elle a su provoquer. Devenue aujourd’hui un personnage médiatisé inscrit au coeur du débat public français, Rokhaya Diallo éclaire d’une voix sincère et singulière ses prises de position, qui ont souvent été mal interprétées et déformées au fil de leurs restitutions.
Le guide de Rokhaya Diallo pour arriver là où personne ne vous attend
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Par Marguerite Nebelsztein
Publié le Vendredi 29 Mars 2019
Rokhaya Diallo a de son propre aveu un parcours atypique. Elle donne les clefs dans son nouveau livre à toutes les femmes pour arriver là où personne ne nous attend.
Et si on laissait tomber nos a priori et qu’on ouvrait le dernier livre de Rokhaya Diallo Ne reste pas à ta place ?
Née dans une famille populaire, elle grandit en région parisienne. Enfant de la télévision mais aussi grande consommatrice de livres, elle nourrit une passion pour le Japon et l’animation.
Après avoir commencé par des études de droit puis continué dans une école de commerce, elle devient cadre dans les films d’animation chez Disney pour suivre sa passion. En 2006, Rokhaya Diallo monte l’association Les Indivisibles pour dénoncer le racisme en France. Puis elle est embauchée comme chroniqueuse dans la matinale de Canal+ et commence une carrière de journaliste en 2009.
Une décennie plus tard, Rokhaya Diallo revient dans ce livre sur son parcours, reconnaît avoir eu de la chance mais aussi avoir duré à force de travail, de pugnacité et de persévérance.
Cet ouvrage est un recueil de conseils qui nous encourage à nous émanciper en tant que femmes des conditionnements dont nous sommes victimes et à nous débarrasser de nos complexes pour prendre conscience de nos capacités de réussite.
Elle tente de nous inculquer des déconstructions indispensables pour réussir en tant que femmes. Nous devons par exemple accepter le compliment, avoir confiance dans nos compétences et mesurer l’importance de notre valeur, y compris dans le travail.
Rokhaya Diallo veut aussi conserver son énergie pour des choses positives plutôt que pour se justifier auprès de ses détracteurs. Elle est aujourd’hui éditorialiste sur LCI et animatrice de l’émission BET Talk sur la chaîne BET. Elle est également co-animatrice avec l’autrice Grace Ly du podcast Kiff ta race.
Terrafemina : Vous écrivez que vous étiez une ado timide. Comment avez-vous décidé un jour de prendre la parole ?
Rokhaya Diallo : J’avais envie que cette parole résonne, c’est venu assez tard finalement. Quand j’étais jeune je n’avais pas une telle nécessité de parler. Donc c’est venu assez tard.
Vous déplorez le fait de ne pas voir de gens qui vous ressemblent dans les médias. Vous êtes connue, mais vous êtes un peu l’arbre qui cache la forêt…
R.D. : Dans les espaces où j’évolue, on n’est pas très nombreux, malheureusement. Bien sûr qu’il y a d’autre journalistes, qui sont à la fois des femmes noires et qui sont sur des combats anti-racisme, mais on est très très peu nombreuses.
C’est pour cela que je dis que la situation est un peu symptomatique. Elle est emblématique même de la majorité pour laquelle c’est difficile. Moi je veux utiliser mon privilège et ma plateforme pour dénoncer la condition qui est faite à la majorité des gens qui me ressemblent.
Je suis contente de mon sort, mais je ne peux pas m’en contenter.
Comment devient-on éditorialiste ?
R.D. : On doit d’abord commencer à travailler sur la question de sa légitimité. Parce que les études montrent que les femmes ont du mal à valoriser leur légitimité.
Quand elles sont sollicitées, elles ont plus tendance que les hommes à refuser, parce que quand on est une femme, on a des invitations à l’humilité qui fait qu’on se sent moins légitime, et on va dire « je vous recommande telle personne, je ne suis pas experte sur ce sujet… « .
Avoir conscience de cette éducation et parvenir à l’identifier et à subvertir ce conditionnement c’est quelque chose de nécessaire. Il faut aussi se forcer à répondre aux sollicitations positivement les fois où on peut être présentes.
Mais il y a aussi parfois des femmes qui ont des raisons d’indisponibilités, qui sont liées au partage des tâches qui n’est pas très égalitaire.
Les hommes, eux, s’empêchent moins de prendre la parole y compris sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas.
Est-ce que ce livre sert aussi à montrer aux gens qui vous êtes, au-delà des idées reçues sur votre personne ?
R.D. : Alors moi, je ne cherche pas à me justifier. Les gens qui ne me connaissent pas et qui parlent c’est leur problème. L’idée de ce livre, c’est de partager les leçons que j’ai tirées de ma trajectoire avec des gens qui s’interrogent tout simplement.
On me demande souvent comment j’ai fait pour en arriver là parce que j’ai un parcours original. Et je voulais raconter ça. Et c’est l’histoire de quelqu’un de beaucoup plus simple que ce qu’on peut imaginer aussi.
Êtes-vous une source d’inspiration pour les autres ?
R.D. : Ce qui me touche, c’est que je reçois beaucoup de remerciements de personnes qui sans doute partagent mes idées et ne les entendent pas souvent. Et c’est vrai que j’ai beaucoup beaucoup de gratitude et de remerciements de gens qui m’arrêtent dans la rue et ça, c’est vraiment très encourageant.
Moi je ne me considère pas du tout comme une porte-parole, je parle en mon nom. Mais je trouve ça chouette que les gens expriment tout simplement le fait qu’ils auraient envie de dire la même chose et que les plateaux ne leur sont pas forcément ouverts donc ça c’est chouette.
Vous remerciez à la fin du livre les gens qui vous soutiennent sur les réseaux sociaux. Pourquoi est-ce si important de se sentir soutenue par eux ?
R.D. : Déjà, c’est important parce que cela montre qu’il n’y a pas que de la haine sur les réseaux sociaux, ces gens parlent sur une plateforme publique donc les autres personnes peuvent le lire.
Moi ça me permet aussi de mesurer l’impact de mes propos, ce qui n’est pas forcément le cas à la télévision. J’ai choisi de rester sur les réseaux sociaux malgré les attaques parce qu’il y a ça qui, d’une certaine manière, rééquilibre le mouvement. S’il n’y avait pas ça c’est sûr que ça serait quelque chose qui n’aurait pas de sens pour moi.
Les femmes dans l’Histoire sont souvent minimisées dans leur pensée pour être invisibilisées. Est-ce que c’est ce qui vous arrive ?
R.D. : On ne m’attaque jamais sur mon travail, sur des choses tangibles. Je dis quelque chose qui peut ne pas plaire, mais c’est quelque chose qu’on me nie.
On décrédibilise mon activité militante par exemple, mais ce n’est pas une activité professionnelle, donc le fait que l’on me réduise à ça pour moi c’est une manière de me disqualifier à la fois intellectuellement et professionnellement. Ca il faut le gérer et ce n’est pas agréable.
Vous devez arriver à gérer la critique, c’est ce que vous expliquez dans le livre. Vous donnez des conseils pour y arriver. Mais vous montrez aussi pourquoi c’est important de savoir accepter les compliments. Pourquoi ?
R.D. : Moi j’accepte la critique mais pas les attaques qui ont pour but soit de m’intimider, soit de me démoraliser.
Après, c’est bien d’être humble, mais c’est bien de savoir reconnaître ses qualités. Alors quand on reçoit des compliments, il faut les accueillir, ça fait du bien. Quand on fait des compliments nous-mêmes on a envie de faire plaisir aux gens et il faut rendre aux gens qui nous font des compliments le plaisir qu’ils ont envie de nous faire en nous les faisant. Donc il faut savoir les accepter pour que cela nous alimente, pour évoluer.
Vous expliquez dans votre livre le respect que les Français·es ont pour l’afroféminisme américain, mais le dénigrement qui est fait de l’afroféminisme français. Comment on l’explique ?
R.D. : Parce qu’en France, on vit dans une mythologie universaliste, en niant les particularismes. Sauf que ces particularismes, il faut les reconnaître pour permettre aux gens qui le vivent de dénoncer le tort qui leur est fait. On sait qu’il y a des contrôles au faciès, on sait qu’il y a un traitement différencié entre la France des Outre-mer et la France hexagonale, … On sait que malgré tout, on ne veut pas en parler et on dit que la France continue d’être un pays universel contrairement à d’autres pays.
Mais le refus que l’on fait à des collectifs comme Lallab, c’est le déni républicain d’une réalité qui pourtant est évidente.
Pourquoi est-ce si difficile pour la France et les Français·es d’accepter le fait qu’ils et elles sont racistes ?
R.D. : Parce qu’on a un idéal qui n’a rien à voir avec la réalité. On se voit comme étant le pays des Lumières, le pays des droits humains, et on refuse de mettre en cause cette mythologie. Le racisme est une idéologie politique et historique, ce n’est pas une question de bien et de mal. C’est un pays qui a été fissuré par une histoire, par l’esclavage, et que cela a encore des conséquences aujourd’hui.
Ça n’est pas jeter l’opprobre sur la France mais il faut penser à ces conséquences négatives.
A qui s’adresse le titre de votre livre ?
R.D. : J’ai conscience qu’on ne peut pas dire « quand on veut on peut », ce n’est pas facile pour tout le monde, mais quand on a des conditions favorables, il faut vraiment saisir chacune des chances qui se présentent à nous. Ca veut dire avoir conscience de sa valeur et parvenir à faire à partir de cela, un chemin qui nous permette de nous accomplir et de nous réaliser. Que chacun et chacune arrive à trouver ce point qui lui permette de s’accomplir dans une forme de bonheur.
Donc c’est une invitation mais ça n’est pas une injonction. Je sais qu’il y a des gens pour qui c’est difficile et qui connaissent des échecs parce que les conditions ne sont pas favorables, et ça, je ne veux pas le stigmatiser.
J’ai eu de la chance aussi. Il y a ce facteur chance qui a été important dans mon parcours. On m’a proposé une chronique à la télé alors que je n’avais rien demandé. Ça n’arrive pas à tout le monde non plus.
Mais ce qui m’a permis de rester et de durer dix ans, c’est d’avoir fait de cette opportunité quelque chose.
Et puis quand j’ai eu des problèmes, d’avoir créé des documentaires, d’avoir créé autre chose, en réaction à l’adversité, des productions qui me sont propres.
Et d’avoir réussi à créer un cocon de personnes bienveillantes autour de vous…
R.D. : Exactement. Parce que ma vie, ça n’est pas les débats, cela n’est pas les médias. Il y a des personnes autour de moi qui sont proches et qui chaque jour sont de bon conseil, que je sollicite en permanence et qui sont mon rempart contre les agressions extérieures, c’est capital.
C’est un cocon que j’ai constitué depuis longtemps. Il a commencé à ma naissance avec ma famille immédiate, puis après avec mes amitiés que j’ai réussi à constituer, les gens qui sont entrés dans ma vie avec qui je suis aujourd’hui. Tout ça, c’est quelque chose que j’ai construit au fil des années et je me protège avec ça.
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