Pourquoi en France, la récente proposition de loi sur le droit « à une fin de vie libre et choisie » a-t-elle suscité autant de polémiques et de passion ?
Le sujet est bien sûr sensible, car l’euthanasie porte en elle le souvenir du régime nazi et l’extermination par des blouses blanches d’individus jugés indignes de vivre et d’être entretenus par le 3ème Reich, tels que les malades mentaux ou les infirmes. Baptisées « Aktion T4 » les opérations d’extermination de quelques 300 000 personnes, enfants, comme adultes, entre 1939 et 1945, l’étaient sous couvert « d’euthanasie »
On comprend dans ces conditions les hésitations, voire la résistance à légiférer sur le sujet, car qui peut dire que demain un régime politique, s’inspirant des théories nationales-socialistes, ne recourrait pas, à nouveau, à l’extermination de malades, prétendument incurables pour « supprimer des vies indignes, et purifier l’organisme du peuple de ceux qui ne représentent qu’un poids mort ».
A l’époque, les défenseurs de l’eugénisme étaient inspirés par un concept « d’hygiène raciale » et de darwinisme social d’où il ressortait qu’en sacrifiant les plus faibles on renforçait les éléments sains.
Qui peut dire également, que des familles indignes ne profiteraient pas d’un tel dispositif, pour hâter, légalement, la disparition de proches devenus gênants, où dont on convoite l’héritage.
D’autres esprits vont aussi jusqu’à mettre en avant des raisons « socio-économiques » et de la nécessité de réduire les coûts des prestations sociales liées aux trop longues hospitalisations lors de la fin de vie des malades.
La liberté de pouvoir disposer de son corps en cas d’infirmité, n’est pas chose nouvelle, déjà, en 1895, un étudiant en philosophie, Adolf Jost, publiait un livre intitulé « le droit à la mort ». Il y évoquait la compassion qui doit permettre « à chaque médecin de soulager et même de libérer ceux qui souffrent en leur accordant la mort ».
Ne soyons pas naïfs, ou hypocrites, dans certains cas ultimes, aujourd’hui, comme hier, en France comme ailleurs dans le monde, des médecins, décident parfois d’aider au départ des malades qui souffrent le martyr et dont le sort est irréversible. Et ce quand bien même le serment d’Hippocrate leur fait obligation de sauver toute vie humaine.
On estime qu’en France, chaque année, il y aurait entre 2 et 4000 euthanasies clandestines. Et certaines voix plaident que comme hier, pour les avortements clandestins, il faudrait initier un droit à « mourir » pour toute personne, capable et majeure, se trouvant en phase terminale et atteinte d’une maladie incurable.
Par ailleurs il faut tenir compte que chaque pays dispose en ce domaine d’une législation différente et ce qui est interdit en France est autorisé en Suisse, où des malades sont de plus en plus nombreux à se rendre pour bénéficier du « suicide assisté ». Récemment encore l’affaire Vincent Humbert a remis l’euthanasie à l’ordre du jour et suscité de vives controverses dans l’opinion publique.
Convenons que ce problème douloureux est d’autant plus complexe qu’il est d’ordre philosophique, moral et religieux, et partant, difficile à résoudre. Le suicide, « médicalement assisté » heurte certaines consciences, aussi bien chrétiennes, que musulmanes ou juives.
Pour les chrétiens, c’est au nom d’une vie plus forte que la mort, ils sont rejoints sur ce point par les musulmans pour qui « la vie est sacrée et il n’y a que Dieu qui puisse reprendre ce don qu’il a fait à l’homme ». Pour eux, comme pour les chrétiens, l’euthanasie et le suicide sont proscrits. Il en va de même pour le judaïsme où le droit hébraïque est contre toute forme de dépénalisation de l’euthanasie.
En revanche sur le plan de la morale, une question se pose : « Si la société ne nous a pas donné le jour, alors de quel droit, la loi, peut-elle nous obliger à vivre à l’heure des soins palliatifs ? » Cette question est d’autant plus aigüe à l’heure où la libéralisation des droits individuels s’amplifie.
Quant à l’aspect philosophique, Kant, Sartre, Cioran, Sénèque, ont tous débattu de la question de « la liberté de mourir » et pour plusieurs d’entre eux l’individu ne peut disposer de la vie car cet acte est attentatoire à la dignité humaine. D’un autre côté l’étymologie grecque du mot « euthanasie » signifie « bonne mort », « belle mort » ce qui peut paraître contradictoire. Au demeurant la question de l’euthanasie ne s’est médicalisée qu’à partir de la Renaissance, comme nous le rappelle Thomas Moore dans son livre « L’utopie » publié en 1516.
Comme on le voit, tout n’est pas aussi simple que le prétend la chanteuse Françoise Hardy selon laquelle « il faut abréger les souffrances, c’est la moindre des choses et c’est humain »
Je retiendrai pour conclure ces mots de Voltaire :
« L’espèce humaine est la seule qui sache qu’elle doit mourir » !
Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono et Ichorono FM – Rédacteur en chef de l’édition française de Diasporavision