«Un auteur , un penseur à lire»PBC
Dans le Sud de l’Inde au XIVe siècle, à la suite d’une bataille quelconque entre deux royaumes aujourd’hui oubliés, une fil-lette de neuf ans fait une rencontre divine qui va changer le cours de l’histoire. Après avoir assisté à la mort de sa mère, la petite Pampa Kampana, accablée de chagrin, devient le véhicule d’une déesse qui se met à parler par la bouche de l’orpheline. Lui accordant des pouvoirs qui dépassent l’entendement de Pampa Kampana, la déesse lui annonce qu’elle contribuera à l’essor d’une grande ville appelée Bisnaga – littéralement « cité de la victoire » -, la merveille du monde.
Au cours des deux cent cinquante années suivantes, la vie de Pampa Kampana se confond avec celle de Bisnaga, depuis sa création à partir d’un sac de graines magiques jusqu’à sa chute tragique de la manière la plus humaine qui soit : l’hubris de ceux qui détiennent le pouvoir. En donnant vie, par ses chuchotements, à Bisnaga et à ses habitants, Pampa Kampana tente de remplir la mission que la déesse lui a confiée : faire des femmes les égales des hommes dans un monde patriarcal. Mais toutes les histoires échappent à leur créateur, et Bisnaga ne fait pas exception. Tandis que les années passent, que les dirigeants vont et viennent, que des batailles sont gagnées et perdues, et que les allégeances changent, le tissu même de Bisnaga devient une tapisserie de plus en plus complexe, abritant en son coeur Pampa Kampana.
Brillamment présentée comme la traduction d’une épopée antique, cette saga au confluent de l’amour, de l’aventure et du mythe atteste du pouvoir infini des mots.
Un an après son agression, Salman Rushdie sort l’un de ses meilleurs livres
Par Thierry Clermont
Salman Rushdie raconte l’histoire fictive d’une étrange princesse indienne, Pampa Kampana. David M. Benett/Getty Images
La Cité de la victoire, le dernier livre de l’auteur britannique, paraît en France.
Le 12 août 2022, dans l’État de New York, où il vit désormais, Salman Rushdie était victime d’une tentative d’assassinat perpétrée par un islamiste. Frappé d’une dizaine de coups de couteau, il en a réchappé, tout en perdant l’usage de l’œil droit et celui de sa main gauche. Quelques semaines auparavant, l’auteur des Versets sataniques, condamné à mort par une fatwa des mollahs en 1989, avait remis le manuscrit de son nouveau roman à son éditeur. Plus récemment, Rushdie a confié à la presse américaine son projet d’écrire un livre sur l’attentat dont il a été victime.
Publié en février 2023, Victory City, paraît aujourd’hui en France sous le titre La Cité de la victoire. Et c’est tout simplement l’un de ses meilleurs livres, dans la veine des Enfants de minuit, son deuxième roman, et de Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits.
Conteur hors pair, à l’imagination luxuriante, Rushdie nous rapporte l’histoire fictive d’une étrange princesse indienne, Pampa Kampana, qui mourut à l’âge canonique…
LE FIGARO
Salman Rushdie est un auteur britannique d’origine indienne né le 19 juin 1947 à Mumbai. Célèbre depuis son roman Les Enfants de minuit, il est victime d’une fatwa de l’ayatollah Khomeini en 1989 en raison de son roman Les Versets sataniques. Devenu un symbole de la liberté d’expression, il continue de publier ses œuvres, mêlant mythologie, fantaisie et réalisme, comme Le Dernier Soupir du Maure, L’Enchanteresse de Florence ou La Maison Golden.
Une vie sous protection policière
Ahmed Salman Rushdie naît à Mumbai le 19 juin 1947, quelques mois avant l’indépendance de l’Inde. Fils d’une enseignante et d’un avocat devenu homme d’affaires, il grandit avec ses trois sœurs dans une famille musulmane. Parti poursuivre son éducation en Angleterre à 13 ans, il entame des études d’histoire au King’s College de Cambridge. Lisant énormément James Joyce, Lewis Carroll et Jorge Luis Borges, Salman Rushdie entre dans la vie active comme rédacteur pour l’agence publicitaire britannique Ogilvy & Mather. Alors que son premier roman, Grimus (1975), passe inaperçu, l’auteur se fait remarquer avec la sortie de son deuxième roman, Les Enfants de minuit (1981). Saluée par la critique, cette œuvre permet à Salman Rushdie d’acquérir une célébrité, qu’il accroît avec son troisième roman La Honte (1983). C’est toutefois en 1989 que l’auteur se retrouve à la une des journaux. Les Versets sataniques (1988) suscite en effet la colère de la communauté musulmane d’une dizaine de pays, dont l’Inde, le Pakistan et surtout l’Iran. Jugée blasphématoire, cette œuvre polémique change complètement la vie de Salman Rushdie le 14 février 1989, lorsque l’ayatollah Khomeini lance une fatwa contre lui, offrant une prime à celui qui l’assassinerait. L’écrivain vivant toujours au Royaume-Uni est alors placé sous protection policière, tandis que certains de ses traducteurs et éditeurs sont menacés à leur tour. Si les choses se sont apaisées depuis, la fatwa n’a toujours pas été officiellement levée. Parti s’installer aux États-Unis dans les années 2000, obtenant d’ailleurs la citoyenneté américaine en 2016, l’auteur n’a jamais cessé d’écrire malgré la menace.
L’écrivain qui rêvait d’être acteur
Dans son enfance, Salman Rushdie s’imaginait star de cinéma à Hollywood. S’il n’avait pas percé dans la littérature, il aurait aimé être acteur. Il a d’ailleurs pu réaliser un peu son rêve, faisant quelques apparitions dans des films, dont Le Journal de Bridget Jones (2001).
L’art du réalisme magique
Abordant énormément la question de l’immigration et des mélanges entre civilisations d’Orient et d’Occident, Salman Rushdie est le roi du réalisme magique. Historien de formation, il aime en effet s’inspirer de faits historiques en y ajoutant des éléments issus de mythes, légendes et histoires religieuses pour créer ses histoires. Conteur talentueux, il plonge rapidement les lecteurs dans ses récits, la plupart situés dans son pays natal. Outre ses romans les plus célèbres, dont Les Enfants de minuit (1981), Les Versets sataniques (1988), Le Dernier Soupir du Maure (1995) et Shalimar le Clown (2005), l’auteur a également écrit le recueil de nouvelles Est, Ouest (1994) et plusieurs essais, dont Patries imaginaires (1992) et Franchissez la ligne (2002). Père de deux enfants, il s’est aussi essayé à la littérature jeunesse avec Haroun et la mer des Histoires (1991), parlant métaphoriquement de la liberté d’expression, et Lukas et le feu de la vie (2010). En 2012, il revient sur la période sombre ayant suivi l’annonce de la fatwa avec la publication de ses mémoires, Joseph Anton (2012).
Les derniers romans de Salman Rushdie :
- Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits (2015)
- La Maison Golden (2017)
- Quichotte (2019)
Un auteur multiprimé
Salman Rushdie est rapidement devenu un écrivain célèbre dans le monde entier en remportant le Booker Prize en 1981 pour Les Enfants de Minuit, roman qui sera d’ailleurs élu meilleur lauréat du prix littéraire britannique à l’occasion du 25e et du 40e anniversaire du Booker. En 1983, il est élu membre de la Royal Society of Literature de Londres et reçoit le prix français du Meilleur Livre étranger pour La Honte (1983). Lauréat du prix littéraire européen Aristeion pour Le Dernier Soupir du Maure en 1996, il devient trois ans plus tard Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres français. Finaliste du prix Whitbread en 2005, Shalimar le Clown reçoit le prestigieux prix littéraire indien Hutch-Crossword Book Award. Anobli Knight Bachelor par la reine Elizabeth II en 2007, il est honoré pour l’ensemble de sa carrière en 2010 en recevant le Golden PEN Award, puis le PEN Pinter Prize et le Hans Christian Andersen Literature Award en 2014. Deux ans plus tôt, il voit son premier roman à succès adapté au cinéma et reçoit le prix du meilleur scénario aux prix Écrans canadiens pour Midnight’s Children de Deepa Mehta.
Symbole de la liberté d’expression, Salman Rushdie a inspiré des générations d’auteurs indo-britanniques et continue d’influencer la littérature post-coloniale.