Article rédigé parThomas Destelle Radio France
Jean-Charles Valladont, Baptiste Adis et Thomas Chirault célèbrent leurs médailles d’argent remportées en tir à l’arc par équipe masculine avec les supporters français à la grande Halle de La Villette à Paris, le 29 juillet 2024. (MILLEREAU PHILIPPE / KMSP / VIA AFP)
L’engouement autour des JO tranche avec les critiques qui apparaissaient avant le début des compétitions. Le spécialiste de l’olympisme Eric Monnin y voit une forme « d’exutoire » par rapport aux mauvaises nouvelles, et un moyen pour les Français de se retrouver.
Un engouement incontestable ? Eric Monnin, sociologue et historien du sport, spécialiste de l’olympisme, en est convaincu. Depuis bientôt une semaine, la France vit au rythme de ses Jeux. Un enthousiasme porté par les résultats des Français, mais pas seulement. Certains spectateurs se déplacent pour voir des épreuves qu’ils ne connaissaient pas et nombreux sont ceux qui se passionnent devant leur écran pour une discipline jusque-là inconnu. Comment l’expliquer ?
Le directeur du Centre d’études et de recherches olympiques universitaires (Cerou), vice-président de l’Université de Franche-Comté à l’olympisme, et ambassadeur Paris 2024, nous donne les pistes pour comprendre cette passion olympique et l’héritage que ces JO doivent laisser.
franceinfo : Comment expliquer cet engouement pour les Jeux olympiques ?
Eric Monnin : Il y a un engouement qui est incontestable. À mon sens, il vient de différents facteurs. Tout d’abord, la France attend les Jeux depuis une centaine d’années. Cela fait très longtemps que la France n’a pas organisé de grand événement universel, ce qu’on appelle des méga événements. La Coupe du monde de football 1998 est le dernier organisé par le pays. Il faut se rendre compte que quand on organise les JO, cela équivaut à 42 championnats du monde organisés simultanément. C’est ça qui est incroyable.
Est-ce lié aussi au cadre de ces Jeux olympiques ?
Ces Jeux se déroulent pour la première fois véritablement au cœur du centre-ville d’une agglomération. Et on l’a vu avec notamment le triathlon, l’émerveillement est total parce qu’on est dans des sites historiques incroyables. Ce sont aussi des Jeux où l’on veut casser les codes, au sens où on est dans l’inclusion et dans le partage, notamment avec une représentativité égale femmes-hommes, et la mise en valeur des Jeux paralympiques.
« Pour moi, on a des Jeux qui sont une véritable révolution, et qui cassent les codes. »
Éric Monnin, sociologue et historien de l’olympisme
On vient aux Jeux pour voir les athlètes, mais aussi vivre un événement historique pour la première fois, parce que cela se déroule à travers des monuments historiques. Durant l’escrime, tout le monde est subjugué par ce Grand Palais. Au stade Yves-du-Manoir, on se retrouve dans la tribune qui a été réalisée pour les Jeux de 1924, avec cette fameuse charpente Eiffel. Ces jeux sont à la fois marqués par l’histoire et cassent les codes avec des jeux plus urbains et citadins.
Pourtant, on entend souvent que la France n’est pas un pays de sport. Pourquoi les Français se passionnent autant ?
À mon sens, cet engouement est lié aussi au fait qu’on en a besoin. Aujourd’hui, il y a 70 conflits armés dans le monde, dont un aux portes de l’Europe avec l’envahissement des Russes en Ukraine. On a besoin tout simplement d’un exutoire, on a besoin de se donner la fête. Ce qu’il s’est passé sur le podium du tennis de table avec le selfie entre les Sud-Coréens et Nord-Coréens est vraiment incroyable. Il y a eu une communion avec des personnes qui se sont saluées et même congratulé. Ce sont les principes et les valeurs de l’olympisme.
Les Jeux olympiques sont un alibi pour vivre quelque chose d’incroyable à partager. Dans les tribunes, il y a beaucoup d’enfants et de familles. On n’est pas dans quelque chose de très traditionnel où on va voir un match de football entre amis. Il faut aussi rappeler qu’en France il y a eu cette fameuse dissolution et les élections européennes. Donc en fait, la France est en train de se donner la fête à elle-même. On est en train de vivre un exutoire.
Pourquoi se passionne-t-on pour des sports dont l’intérêt est presque inexistant pendant quatre ans ?
C’est la magie du sport et des médias. Pour le triathlon, si on réalise un sondage avant la course, sincèrement, je ne suis pas convaincu que les gens savent déjà qu’il y a trois épreuves, ni leur ordre, ni les distances. Les JO vont justement mettre en avant des pratiques sportives complètement confidentielles. Il y a du football, un sport majeur en France, et pourtant on n’en parle pas tellement. On va découvrir des sports complètement nouveaux qui vont mettre en avant des athlètes complètement inconnus, mais qui sont de grands athlètes et qui sont parfois oubliés.
Et c’est ça qui est malheureux. Généralement, il va y avoir une médiatisation des sports communs tel que le football, le rugby et quelques autres. En revanche, on passe à côté de certains sports et on oublie qu’on a des grands athlètes. Ces Jeux permettent justement de les découvrir et de comprendre les prouesses qu’ils sont capables de faire.
Cet engouement pourrait vraiment être le même tout au long de l’année comme il existe pour le football ?
Pour moi, les médias font l’événement. Si le foot était autant médiatisé que le tennis de table, tous les Français connaîtraient les frères Lebrun avant d’aller aux Jeux. À Pyongyang, lors des Jeux olympiques d’hiver de 2018, le sport majeur pour les Coréens était le patinage de vitesse et ils n’en ont rien à faire du reste, contrairement à la France. Il y a une culture sportive de chaque nation et qui va dépendre de l’époque.
« Au siècle dernier, après la Seconde Guerre mondiale, on parlait de la boxe. Il y avait beaucoup de retransmissions de cette discipline à la télévision française. Aujourd’hui, il n’y en a plus tellement. Qui connaît les boxeurs de l’équipe de France ? Plus personne parce que ce n’est pas assez médiatisé. »
Éric Monnin, sociologue et historien de l’olympisme
à franceinfo
On revient toujours à ce côté un petit peu basique. Si ce n’est pas médiatisé, on ne connaît pas et pourtant d’autres mériteraient autant d’être médiatisés. Le vrai challenge pour ces sports et les médias est d’avoir une médiatisation qui soit optimale, pas uniquement une fois tous les quatre ans, mais régulièrement. C’est un vrai défi pour mettre en avant ces sportifs.
Au-delà des Jeux, qu’est-ce que cet engouement va apporter à ces disciplines et à ces athlètes jusque-là inconnus ?
Le véritable défi réside maintenant dans l’héritage immatériel. Au niveau du Comité international olympique, il y a une nouvelle feuille de route qui veut en finir avec ce qu’on appelle l’héritage matériel, avec par exemple la construction d’infrastructures. Pour les JO 2024, il y a trois constructions majeures avec le complexe aquatique olympique et le village olympique en Seine-Saint-Denis, et l’Arena Porte-de-la-Chapelle. Donc il n’y a pas grand-chose de construit par rapport aux autres Jeux.
La vision aujourd’hui du CIO, ce n’est pas un héritage uniquement sportif, c’est un héritage sociétal. La véritable question est de se demander s’il existe un plan pour envisager d’accueillir en septembre tous les enfants qui vont vouloir s’inscrire, par exemple, au judo ou à la natation ? Est-ce qu’il y a suffisamment d’éducateurs ? Est-ce qu’il y aura suffisamment de structures pour accueillir ces personnes ? Sur le véritable héritage sociétal de ces Jeux, on ne peut pas encore l’évaluer, on pourra commencer à le voir ou non en septembre-octobre.