Hervé Le Tellier remporte le prix Goncourt 2020 pour son roman « L’Anomalie »

« Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension. »En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris-New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.Roman virtuose où la logique rencontre le magique, L’anomalie explore cette part de nous-mêmes qui nous échappe.

Le roman du président de l’Oulipo, qui raconte, à la lisière du polar et de l’anticipation, une histoire de dédoublements, faisait figure de favori.

Par Raphaëlle Leyris Publié aujourd’hui à 12h42, mis à jour à 15h48

Le prix Goncourt a été attribué à L’Anomalie, d’Hervé Le Tellier (Gallimard), lundi 30 novembre. Etaient également en lice : Les Impatientes, de Djaïli Amadou Amal (Emmanuelle Collas), L’Historiographe du royaume, de Maël Renouard (Grasset) et Thésée, sa vie nouvelle, de Camille de Toledo (Verdier). Pour la première fois dans l’histoire du Goncourt, l’annonce n’a pas été faite depuis le restaurant parisien Drouant, où se réunissent traditionnellement les jurés, mais par visioconférence.

C’est par ce même moyen que le jury Renaudot a proclamé dans la foulée son propre prix. Il revient à Marie-Hélène Lafon pour Histoire du fils (Buchet-Chastel). Le Renaudot de l’essai est lui attribué à Dominique Fortier pour Les Villes de papier : une vie d’Emily Dickinson (Grasset).

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Un Goncourt attendu

Dans une année qui n’aura été qu’une succession d’anomalies, le couronnement du livre d’Hervé Le Tellier, 63 ans, fait figure d’événement « normal », tant il était pressenti comme favori parmi les quatre derniers ouvrages concourant pour le plus célèbre des prix littéraires – sur quinze critiques interrogés par Livres Hebdo la semaine dernière, onze le voyaient déjà bardé du fameux bandeau rouge.

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Il faut dire que le roman d’Hervé Le Tellier, qui marque son entrée chez Gallimard, est à la fois grand public et littéraire, dopé à la malice et à la fantaisie typiques de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentiel), que préside l’auteur.

L’Anomalie flirte avec le thriller et la science-fiction, et lorgne les séries télévisées par son orchestration très efficace du suspense. Pas question d’en dévoiler trop aux centaines de milliers de lecteurs potentiels (un Goncourt tourne généralement autour de 400 000 exemplaires).

Dédoublements

Au moins peut-on dire que, pour une raison complexe liée à un voyage en avion (que le savoir-faire de l’auteur parvient à rendre acceptable au lecteur), les personnages de L’Anomalie, qui viennent des Etats-Unis, de France ou du Nigeria, se retrouvent dédoublés. Hervé Le Tellier pare de toutes les séductions du page turner (rythme endiablé, valse des personnages) ce roman empli de questions existentielles et métaphysiques passionnantes. Elles ont trait à l’amour, à la famille, au suicide, à la réalité, aux leçons que l’on tire ou non de l’expérience…

De ses quelque trente années d’écriture, l’ancien journaliste scientifique, qui n’écrit jamais deux fois le même livre, a retenu celles qui lui ont permis de construire ce roman efficace et addictif, drôle et discrètement mélancolique. Et de remporter le Goncourt.

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Raphaëlle Leyris

lire  in le parisien

Par Pierre Vavasseur

Le 30 novembre 2020 à 12h34, modifié le 30 novembre 2020 à 17h15

« Un livre qui sort des canons. » « Qui sort de l’ordinaire. » « Qui rend heureux. » Mais un Goncourt aussi, dont le sujet est en phase absolue avec la drôle d’époque que nous traversons, et que l’on pourrait hardiment et hâtivement résumer par une question qui ferait fureur au bac philo : le virtuel peut-il l’emporter sur le réel? Car pour son lauréat, Hervé Le Tellier, 63 ans, né à Paris et jusqu’à présent auteur méconnu du grand public malgré une imposante production littéraire, l’expérience de recevoir le plus prestigieux des prix s’est déroulée par visioconférence, assis dans les locaux de sa maison d’édition, tandis que son éditeur, Antoine Gallimard, se tenait debout, légèrement en retrait, à ses côtés. Chacun des membres du jury, à l’exception de Patrick Rambaud, intervenait depuis leur domicile, Pierre Assouline apportant une note franchement déconfinée puisque le juré se trouvait au Maroc et que ses fenêtres donnaient sur la mer et les palmiers.

« L’Anomalie », qui s’ouvre sur un vol long-courrier d’Air France sérieusement secoué par un cumulonimbus, repose sur l’idée de la duplication des personnages, dix en tout, autant que les Goncourt soit dit au passage, qui seront amenés à reconsidérer leur présence sur terre, le sens de la vie et de leurs amours. Le tout dans un monde bouleversé par de nouvelles et inattendues données politiques. Il y a de la farce « hénaurme », aurait dit Rabelais, dans ce récit qui mélange l’univers de Matrix et la pensée du philosophe Nietzsche.

https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/prix-litteraire-le-goncourt-2020-decerne-a-herve-le-tellier-pour-l-anomalie-30-11-2020-8411360.php

Du Goncourt au Renaudot, enquête sur le fonctionnement des jurys littéraires

Par Raphaëlle Leyris Publié le 21 janvier 2020 à 20h43 – Mis à jour le 23 janvier 2020

Photographes et journalistes devant le restaurant Drouant (Paris 2e), peu avant l’annonce des prix Goncourt et Renaudot, en novembre 2017 ROSES/ANDIA.FR

Voilà une page tournée pour les Goncourt. Lundi 20 janvier, l’Académie a élu le successeur de Bernard Pivot à sa présidence. Celui-ci avait annoncé, en décembre, qu’il voulait, à 85 ans, consacrer ses étés à ses proches plutôt qu’à sa rituelle immersion intensive dans la rentrée littéraire. Didier Decoin l’a emporté par cinq voix contre trois à Françoise Chandernagor. Car « les Dix » ne sont plus que huit depuis que, le 6 janvier, Virginie Despentes a annoncé sa démission, quatre ans après son entrée au jury.

Ces départs des deux personnalités les plus populaires du Goncourt ont été rendus publics l’un peu avant et l’autre peu après la sortie du livre Le Consentement, de Vanessa Springora (Grasset, 126 p., 18 €). L’auteure y relate sa relation sous emprise, alors qu’elle avait 14 ans, avec Gabriel Matzneff, écrivain dont les textes revendiquent depuis les années 1970 le goût pour les « moins de 16 ans », ainsi que des actes pédocriminels, sans que cela ait empêché le jury Renaudot, voisin du Goncourt au restaurant Drouant, de lui attribuer son prix dans la catégorie « essais » pour Séraphin, c’est la fin ! (La Table ronde, 2013).

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Ces événements n’ont aucun lien entre eux, mais leur proximité temporelle a quelque chose de frappant : « Que ces deux départs coïncident avec la polémique Matzneff peut donner l’impression que l’institution des prix littéraires se fragilise », note ainsi Sylvie Ducas, professeure de littérature à l’université Paris-Est-Créteil, auteure de La Littérature, à quel(s) prix ? (La Découverte, 2013). Cette simultanéité, et l’embarras rétrospectif de ce prix Renaudot, relance ainsi d’éternelles questions sur les grands prix littéraires d’automne (Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis…) et le fonctionnement de leurs jurys, la sincérité des débats ou le poids des amitiés entre jurés, auteurs et éditeurs.

Le Goncourt exige un temps énorme

Si les soupçons sont aussi vieux que le Goncourt, créé en 1903, il est devenu impossible d’accuser les académiciens de ne pas lire. Virginie Despentes et Bernard Pivot sont l’une et l’autre partis parce que le Goncourt exigeait un temps énorme, entre les lectures, les réunions mensuelles, les votes – pour le prix du roman à l’automne, puis, au printemps, pour ceux de la nouvelle, du premier roman, de la biographie –, sans oublier les voyages pour accompagner les déclinaisons internationales – « choix du Maroc », « choix de la Pologne », etc. « Je manque de temps pour écrire », expliquait Virginie Despentes dans sa lettre de démission.

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