Hervé Bazin, la chute d’un écrivain imposteur !

Découvrir qu’un écrivain adulé est un imposteur, fait mal, très mal à l’amoureux des livres que je suis. Adolescent, j’ai adoré Hervé Bazin pour sa trilogie «Vipère au poing », publié en 1948, « La mort du petit cheval » et «  Le cri de la chouette », des romans présentés par l’auteur comme auto-biographiques.

Apprendre, en 2025, que tout cela est le fruit d’une escroquerie intellectuelle a été pour moi, admirateur de l’écrivain qui durant ses brèves études fut inscrit dans un collège jésuite manceau et au Prytanée militaire de La Flèche, un choc terrible. Ces révélations sont rapportées par une écrivaine, journaliste à l’hebdomadaire L’Express, Émilie Lanez, dans son livre « Folcoche », le surnom donné par Hervé Bazin à sa mère dans le roman. Celle-ci, à travers une enquête minutieuse et la consultation de nombreuses archives, fait tomber en 185 pages, l’illustre écrivain de son piédestal et nous permet de découvrir ce fils de professeur de droit à Shanghai et magistrat à Angers, Caen et Paris, petit-fils de sénateur et petit-neveu d’académicien sous son véritable jour, celui d’un truand mythomane et kleptomane, allant jusqu’à détrousser sa propre famille, dont il cambriola à plusieurs reprises la propriété, près de Ségré, dans le Maine-et-Loire.

En réalité tout ce qu’il a écrit est faux et est le fruit de la terrible vengeance de « Brasse-Bouillon », le surnom que se donne Bazin dans « Vipère au poing » à l’égard d’un père, et surtout d’une mère honnie. L’écrivain, président de l’académie Goncourt durant vingt ans, grand officier de la Légion d’honneur, chevalier des palmes académiques, des arts et lettres, etc., auteur d’ouvrages publiés à plusieurs millions d’exemplaires à travers le monde,  à tout inventé dans ce qu’il présente comme une autobiographie.

Il oublie ainsi de dire qu’il a été plusieurs fois interné et écroué, notamment à la prison de la Santé (numéro d’écrou 296 776) pour divers délits : usurpation d’identités (une dizaine) cambriolages, faux et usages de faux mandats des PTT, vols divers et variés, mais aussi interdiction judiciaire par un conseil de famille suite à toutes ces escroqueries et par voie de conséquences  » incapable majeur ». Bazin, qui pour excuser ses fautes, écrivait « Comme Villon, Verlaine, Rimbaud, j’ai fait quelques sottises (excusez la filiation). A l’Hôpital Sainte-Anne, trois psychiatres éminents reconnaîtront en lui un « psychopathe constitutionnel », « atteint de dégénérescence mentale », ce qui  explique ses quatre séjours en asile.

Son éditeur Grasset, de son côté, a réussi la performance d’occulter quinze années de sa vie, (on comprend pourquoi), et de le rajeunir de dix ans. Ces mêmes éditions Grasset qui, soixante-dix-sept ans plus tard, publient, ironie de l’histoire, le livre d’Emilie Lanez qui rétablit la vérité et dénonce les innombrables turpitudes de Bazin qui va même jusqu’à s’inventer un passé de résistant alors qu’à la même époque il purgeait une nouvelle peine de prison à  Clairvaux, (numéro d’écrou 3624) pour des délits de droit commun. Le roi de la supercherie !

En vérité celui qui s’est présenté dans ses livres comme un enfant et adolescent martyr est un imposteur, menteur compulsif, qui a entaché notre patrimoine littéraire, tout en déshonorant sa famille qu’il a dévastée. Il a réussi à gommer sa part d’ombre et à briller sur le monde des lettres, dont il était devenu une sorte de « pape », invité de nombreuses fois dans l’émission de Bernard Pivot, « Apostrophes » où il plastronnait sans vergogne. Les révélations d’Emilie Lanez, à qui on doit entre autres « La Garçonnière de la République » et « Noël à Chambord« , arrivent, vingt-neuf ans après sa mort, alors que ses cendres ont été dispersées dans la rivière la Maine, près d’Angers.  Toute sa vie il aura su éviter le scandale, qui le rattrape seulement aujourd’hui, même si on continue à l’enseigner en classe de 3ème ou de seconde. Je veux espérer que l’Education Nationale se fera un devoir de corriger son programme et revoir ses manuels.

Autant dire qu’après avoir lu ce contre-récit vertigineux d’Emilie Lanez, où l’histoire d’un meurtre littéraire, la statue d’Hervé Bazin  est définitivement déboulonnée et tombée de son socle. Lourdement, très lourdement !

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain