Dans Put Your Soul on Your Hand and Walk, l’Iranienne Sepideh Farsi documente la guerre à Gaza à travers les yeux de la jeune photojournaliste gazaouie Fatima Hassouna, tuée dans une frappe israélienne le 16 avril dernier. Son film a été projeté ce jeudi 15 mai dans la section parallèle de l’Acid. Entretien.
Fatima Hassouna est l’héroïne du documentaire réalisé par l’Iranienne Sepideh Farsi Put Your Soul on Your Hand and Walk (Mets ton âme sur ta main et marche). Le film sélectionné par l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid), une section parallèle au Festival de Cannes, dévoile les échanges en visio entre la réalisatrice, réfugiée à Paris, et la photographe et écrivaine de 25 ans vivant à Gaza. Sa mort, et celle de toute sa famille, à l’exception de sa mère, dans la frappe qui a détruit sa maison, a suscité une immense émotion dans le monde du cinéma.
La projection de votre documentaire dans la section parallèle, l’Acid, à Cannes revêt une émotion très particulière. Vous avez filmé pendant plusieurs mois vos échanges avec la photo-reporter palestinienne Fatma Hassouna, qui témoigne de son quotidien à Gaza et qui a été tuée par une frappe israélienne en avril dernier. Dans quel état d’esprit vous sentez-vous alors qu’il y a une mobilisation depuis quelques jours autour de son nom ?
C’est en effet un moment très étrange pour moi. Aussi parce que je n’arrive pas du tout à l’intégrer. Pour moi, il y a quelque chose qui s’est passé le 16 avril 2025. Le temps s’est arrêté, le festival est arrivé, il fallait le préparer et il y a eu une sorte de dichotomie. C’est un grand moment de le présenter ici. Mais elle aurait dû être là. Le 15 avril dernier, c’était l’annonce officielle de la sélection. Ce jour-là, dans l’après-midi, j’ai réussi à l’avoir en vidéo pour le lui dire en face à face et je l’ai filmée. C’est la dernière conversation filmée que l’on a eue ensemble.
Elle était extrêmement contente. C’était très touchant parce qu’en plus, il y avait comme un aboutissement de tout ce qu’on avait fait ensemble. Je lui ai également annoncé qu’il y aurait aussi une exposition photos à Cannes et que j’y travaillais. Et elle était donc d’autant plus contente. Il y avait non seulement ce film, mais aussi cette exposition. Elle allait découvrir le film. Elle ne l’avait pas vu. Elle ne l’a jamais vu, en fait.
Et depuis, elle est devenue une icône, un visage de cette population de Gaza martyrisée.
Oui, j’ai l’impression que quelque chose de cet ordre-là est en train d’opérer. Alors, elle avait ça. Elle avait ce sourire déjà, et cette énergie, cette lumière. Elle était solaire. À chaque fois que je parle d’elle, il y a quelque chose lié à la lumière qui me vient à l’esprit. Et le fait qu’elle soit fauchée par un missile israélien, je pense que ça l’a transformée, effectivement. Elle est devenue un symbole de toutes les souffrances du peuple palestinien depuis le 7-Octobre.
Fatma Hassouna, vous ne l’avez jamais rencontrée physiquement ?
Non.
Ce que vous filmez, ce que vous montrez dans votre documentaire, ce sont vos échanges vidéo.
Le début de l’histoire, c’était en fait le compte-rendu médiatique et la couverture de l’information par les médias auxquels j’avais accès. Les Gazaouis n’étaient pas interrogés. Je trouvais que leurs voix manquaient. Et puis, par hasard, un jeune Palestinien qui sortait de Gaza et qui savait que je cherchais quelqu’un de l’intérieur, me parle de Fatem. Puis, il nous met en contact et l’histoire commence comme cela.
Et vous avez, dès les premiers échanges, l’idée d’en faire un film ?
Dès ses premières réponses, en fait. Et je ne sais pas, il y a eu quelque chose. Un échange non verbal. C’est vraiment son sourire, sa façon d’être qui m’a frappée comme étant très spontanée, très décontractée, tout en étant avec le voile comme ça. Et ça m’a à la fois intéressée et interpellée, mais ça m’a rendue curieuse. Et très vite, puisque c’est à l’image en fait, je lui décris mon projet, je lui dis qui je suis, que je suis iranienne. Elle me dit « Ah, j’aimerais aller à Téhéran ». Elle était très curieuse. Je ne parle pas bien l’anglais, mais on commence à rigoler et immédiatement, le courant passe. Et dans ma tête, je réalise aussi que le film, c’est ça. C’est comme ça que ça va se passer.
Chaque seconde, chaque minute d’échange vidéo entre nous, c’étaient des informations que je n’avais jamais entendues ou vues ailleurs. C’était unique. C’était un peu comme aller faire un reportage de guerre : pour chaque minute, chaque chose que vous couvrez, il n’y a pas de bis. Avec elle, c’était ça. On parlait, ça s’arrêtait parce que c’était coupé ou parce qu’on décidait d’arrêter, puisqu’on avait assez parlé ou que la connexion se coupait. Mais il n’y avait pas de bis. Et tout ça, c’était vraiment une matière fluide, très vivante. Et je crois que c’est ça qu’on sent dans le film, quand on le voit aujourd’hui.
Ce qui frappe effectivement, vous l’avez souligné à plusieurs reprises, Sepideh Farsi, c’est son sourire. Les moments de désespoir ou de déprime sont rares.
C’est rare parce que je crois que c’était quelqu’un de profondément optimiste, qui adorait la vie. Le courant passait aussi parce que quand elle parlait de quelque chose qui lui manquait ou qu’elle aimait. Quand elle montre les chips, par exemple, c’est drôle quoi. Elle avait un côté à la fois très enfantin et très mûr.
Et elle dit qu’elle souhaitait une mort bruyante.
Elle ne me l’a pas dit à moi, mais elle l’a écrit, elle l’a dit à d’autres.
De fait, juste avant l’ouverture du festival, quelque 400 personnalités du monde du cinéma ont signé une tribune visant à briser le « silence » face au « génocide » à Gaza. La présidente du jury Juliette Binoche a cité le nom de Fatima lors de la cérémonie d’ouverture. Cette tribune cannoise fait donc une formidable caisse de résonance.
Oui, heureusement. Mais c’est tard, et c’est peu. C’est formidable, déjà, cette prise de position. Pour moi, elle est symboliquement très importante et je remercie toutes les personnes et personnalités qui se sont positionnées. Ça veut dire aussi que les gens sont mal, qu’on a besoin de s’exprimer sur ça et de pouvoir faire en sorte que ça s’arrête parce que ça nous rend malades. C’est vraiment une déchirure.
On sait ce qui est en train de se passer, qu’on le regarde ou pas. On sait que les massacres qui ont lieu actuellement, les enfants qui sont amputés sans anesthésie, la famine… Tout ça, on le sait. Comment vivre avec ? Il faut vraiment que ça s’arrête. Ce n’est pas possible de laisser ça continuer. On est en train de tuer notre humanité. Pas seulement les Gazaouis, mais notre humanité. À Cannes, il y a eu cette fois quelque chose qui est allé au-delà de ce qui se passe habituellement et depuis longtemps. Il y a eu un élan. Et j’espère que cet élan va continuer pour faire changer les choses.
RFI