L’ancien ministre Babacar Gaye observe depuis plusieurs mois une montée progressive des tensions entre le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko. Pour lui, le malaise est apparu dès l’instant où Sonko avait déclaré publiquement : « Laissez-moi gouverner ». « Une phrase révélatrice, selon lui, d’une rivalité structurelle entre deux hommes aux ambitions et aux méthodes opposées ».
« Deux gros bonnets ne peuvent diriger ensemble »
Pour illustrer cette dualité, Babacar Gaye donne l’exemple de la relation entre Medvedev et Poutine en Russie. Dans ce tandem, explique-t-il, Poutine s’était effacé durant le mandat de Medvedev avant de revenir au pouvoir. « Tout le contraire entre Diomaye et Sonko », tranche-t-il. Selon lui, chacun des deux acteurs majeurs du pouvoir sénégalais a commencé à placer ses pions. « Sonko estime que c’est grâce à lui que Diomaye a été élu, tandis que Diomaye s’affirme progressivement comme chef de l’État. Le pouvoir ne se partage pas. Ce n’est pas un canapé, mais un fauteuil : une seule personne s’y assoit », martèle Babacar Gaye.
Un jeu d’échecs au sommet de l’État
Pour l’ancien ministre, la relation entre les deux hommes ressemble à un affrontement stratégique. Au début, affirme-t-il, Diomaye Faye laissait faire. Mais selon lui, le Tera Meeting et le débat autour de la coordination de la coalition « Diomaye Président » ont marqué un tournant. Il rappelle que Sonko avait déjà fragilisé les alliances en allant seul aux législatives avec le PASTEF, ce qui avait isolé une partie des partenaires. Diomaye aurait perçu cela comme une tentative d’isolement politique, surtout avec Aïda Mbodj à la tête de la coalition, une configuration jugée favorable à Sonko.
Légitimité contre charisme
Babacar Gaye insiste sur une différence fondamentale. Diomaye Faye, dit-il, « a fait 11 mois de prison pour le combat du PASTEF » et a personnellement obtenu les parrainages nécessaires pour candidater, d’où une légitimité directe issue du choix du peuple. Sonko, en revanche, reste un leader charismatique d’un parti radical prônant la rupture immédiate. Cette tension se reflète aussi dans leurs orientations diplomatiques : « Diomaye Faye cherche à renouer avec les partenaires stratégiques traditionnels. Ousmane Sonko et ses proches adoptent une ligne plus radicale, basée sur la rupture, notamment avec la France. Le Premier ministre s’est rendu en Chine, Diomaye Faye a rencontré Donald Trump, tandis que le président de l’Assemblée nationale recevait une délégation vietnamienne ». Pour Babacar Gaye, ces signaux confirment deux styles opposés, voire deux visions divergentes de l’insertion internationale du Sénégal.
Autre point de rupture :la sécurité, Selon Babacar Gaye, le président Diomaye Faye disposerait d’informations sensibles que Sonko ne peut pas avoir, notamment sur la situation sous-régionale et la partie sud du pays.« Le président obéit à des éléments qui ne discutent pas avec Sonko », affirme-t-il, estimant que cette asymétrie d’information contribue à alimenter les divergences.
Des risques économiques et diplomatiques
Pour l’ancien ministre, la persistance de cette tension pourrait avoir un impact direct sur les bailleurs et les partenaires économiques. Si Sonko maintient son congé et que Diomaye continue de gouverner avec un intérimaire, avertit-il, les partenaires internes comme externes pourraient se montrer prudents, voire hésitants. Le président, ajoute-t-il, doit s’adresser à la nation pour calmer les syndicats, les étudiants et une opinion publique de plus en plus inquiète.
« L’appel à l’incivisme fiscal n’est pas digne d’un Premier ministre »
Babacar Gaye se montre particulièrement critique à l’égard de l’appel à l’incivisme fiscal lancé par Sonko. Selon lui, une telle posture est incompatible avec la fonction de Premier ministre, surtout à un moment où le pays traverse une zone de turbulence économique. « C’est mon intime conviction, et seul le pays m’importe », insiste-t-il. Il juge « inadmissible » que certains évoquent déjà l’élection présidentielle de 2029 alors que la situation économique est fragile.
L’opposition, arbitre ou pyromane ?
Babacar Gaye estime que l’opposition sera l’arbitre de cette crise au sommet. Elle ne doit pas « jeter de l’huile sur le feu » mais plutôt laisser les réalités politiques s’imposer d’elles-mêmes. « Soit elle laisse la réalité des choses faire leur travail, soit elle affaiblit davantage son adversaire », dit-il.

