(Le constructeur de belles choses perdues au beau milieu d’un champ de ruines ?)
L’Extra-terrestre :
Depuis qq temps, je me pose beaucoup de questions au sujet du comportement des animaux, des mammifères et des humains. Y a-t-il une chaîne cohérente d’explications entre le fonctionnement de ce que nous appelons l’instinct animal et les capacités intellectuelles des humains ? Y a-t-il un paramètre qui expliquerait pourquoi les combats entre tribus de singes sont beaucoup moins meurtriers que les combats entre tribus humaines ? S’agit-il simplement de capacités imaginatives supérieure ? (qui permettrait simplement de posséder des armes plus efficaces) ? Ou, y a-t-il autre chose ? La fantastique capacité du cerveau humain, est-ce réellement un avantage, ou est-ce une tare, une sorte d’accident biologique qui nous projetterais hors des grands équilibres ancestraux de Mère Nature ? C’est tout de même phénoménal de constater la place disproportionnée des humains dans la longue et complexe évolution de la vie sur Terre.
On comprend que des phénomènes cosmiques, géologiques ou tectoniques, ont la capacité de perturber gravement l’écoulement et les grands équilibres de la vie, mais comment expliquer que la vie elle-même qui est dans son ensemble, d’une cohérence prodigieusement équilibrée, puisse donner naissance à un être aussi perturbateurs de ces équilibres ? En dehors des humains, il y a dans la nature une auto-régulation permanente des espèces animales, végétales, et des biotopes. La planète Terre est un ensemble cohérent et équilibré de niches écologique et, globalement, tout cela fonctionne d’une manière prodigieusement harmonieuse, à tel point que, pour les humains, un bain en pleine nature sauvage et vierge, nous remplit d’admiration, nous inspire le bonheur de l’harmonie.
Il semble que nous comprenons cela mais que nous sommes incapables d’entrer dans ce cercle vertueux des équilibres du Monde. Etrange. Sauf à supposer que l’espèce humaine est un accident de la nature et que l’être humain n’est rien d’autre qu’un animal monstrueux, cette situation de la vie sur Terre, me paraît incompréhensible. Dans le monde vivant, tout est conçu depuis plus de 3 milliards d’années pour évoluer et s’enchaîner de façon équilibrée et harmonieuse – même la grosse météorite qui a fait disparaître les Dinosaures il y a 65 millions d’années, n’a pas détruit cet équilibre, ni les périodes glaciaires, ni les éruptions volcaniques, ni les réchauffements climatiques … et ce serait cet avorton humanoïde qui aurait tout foutu en l’air !!! Je le dis et le répète, il y a dans cette histoire quelque chose qui m’échappe. Même si c’est la vérité, dire aujourd’hui que l’homme est un monstre, un accident de la nature, paraît pour nous les humains, bien difficile à admettre. Qui peut ou veut nous éclairer à ce sujet ?
Le Philosophe :
Quel plaisir de te lire, c’est pour moi jubilatoire car toujours enrichissant. Cette question, que tu laisses en suspens, ne peut que plonger le lecteur dans des profondeurs abyssales. Le matérialiste te répondrait « le hasard », quand le religieux te répondrait : « Dieu » et donc nous n’avons le choix qu’entre la mauvaise foi de l’un et la foi de l’autre et c’est pourtant ailleurs qu’il faut chercher des réponses. Toute la difficulté ici, c’est que nous connaissons la situation finale, que tu décris si bien et qui est sans appel mais dont il faut s’extirper pour reprendre le fil de la très longue histoire du vivant pour constater qu’avec l’Homme (la Femme aussi bien évidemment) l’évolution a largué les amarres, accidentellement ou volontairement, en laissant un organe essentiel non programmé et donc à programmer au sein de l’espèce même et ce pour le meilleur comme pour le pire et rien ne fut pire que ce que nous avions rêvé de meilleur : « le plus grand bonheur du plus grand nombre » quel qu’en soit le prix à payer (explosion démographique, surarmement, destruction des écosystèmes et de la biodiversité et maintenant le vacillement du climat, prodromes d’une fin annoncée du monde tel que nous le connaissions). Nous sommes libres, absolument libres dans un présent absolu qui s’alimente des futurs possibles.
Une petite minorité de nantis ont accaparé les richesses du monde, obligeant le reste du monde à se réifier (la force de travail) pour tout simplement vivre (d’aucuns parleraient de survie). Les monstres se sont eux qui ne veulent rien changer et pour cela utilisent la peur et l’angoisse pour nous maintenir sous leur joug. Mais ne vois-tu pas que c’est précisément notre conscience réfléchie qui seule est capable de nous armer pour contester ce monde de mercantis et poser les jalons d’un monde apaisé, réconcilié avec la nature et égalitaire. A l’évidence le monde est en train de changer et nous en sommes les spectateurs ; ce qui nous confère une responsabilité totale vis à vis des générations futures. Allez, encore quelques années à ronger son frein et viendra le moment où forcément nous serons au pied du mur face aux catastrophes qui ne nous laisseront plus le choix qu’entre l’horreur absolue ou la survie dans des efforts incommensurables mais nécessaires pour l’habitabilité de notre merveilleuse planète bleue.
L’Extra-terrestre :
Comme vous y allez mon ami !!! N’y a-t-il donc rien à faire avant le « pied du mur » ??? OK, l’ami. Alors analysons : L’humain un monstre, serait l’effet du « hasard » ? Parfaitement exact mais il ne faudrait pas oublier sa petite sœur : « La nécessité ». Animal monstrueux, nous le sommes à double titre. Je n’ai encore aucune certitude, alors, je reprends mes notes :
a – premières trace de bipédie, il y a 15 millions d’années (théorie de la Paléontologue Yvette Deloison). b – réchauffement climatique (climat plus sec, incendies de forêts, etc.) situé entre -7 et -5 millions d’années. Quel rapport vas-tu me dire entre ces deux petits points a et b et la monstruosité ? Nous y venons : La bipédie entraînerait pour notre espèce, un rétrécissement du bassin – d’où les accouchements douloureux de nos femelles mais ce n’est pas tout ! – A l’époque, cette espèce de bipède a bien failli disparaître. – Les scientifiques ne sont pas encore d’accord sur les dates, avec tout de même une grande différence entre la thèse des généticiens (-900.000 ans) et celle des paléontologues (- 15 millions d’années) mais, comme le reste, ces notions évoluent. Une chose est sûre, c’est qu’il y a un rapport entre la bipédie … et la disparition du bipède !!! Paradoxal, non ?
- 1ère étape vers la monstruosité. A une certaine étape de la bipédie, le bassin des femelles humaines était si étroit, qu’aucun bébé humain normal ne pouvait franchir le passage. Il y eut donc une hécatombe de femelles mortes en couche avec leur bébé prisonnier dans leur ventre. Sur ce point tout le monde semble d’accord. Mais, effectivement entre 1 et 15 millions d’années en arrière, il y a de la marge. Mais ça vaut le coup de se pencher sur cette histoire, tu vas vite savoir pourquoi.
- A-t-il fallu attendre 14 millions d’années pour que l’évolution de la bipédie (partielle à ses débuts) ait atteint un tel stade qu’elle aurait mis en danger l’existence même de l’espèce. Ça me paraît beaucoup.
- Autre élément intéressant, ce n’est que vers -7 millions d’années (entre 8 et 9 selon d’autres sources) que serait intervenu la séparation entre les grands singes et ce qu’on appelle la « lignée humaine » (espèce, famille, lignée, on s’y perd un peu. Tout ça pour ne pas oser dire la vérité : nous sommes des animaux ; un peu monstrueux, c’est vrai, mais des animaux nous sommes).
- Si l’ancêtre commun des humains et des singes, est un singe, je ne vois pas pourquoi nous aurions honte de descendre du singe. (On se mord la queue. Pour un animal qui n’en n’a pas, c’est un comble !).
- Dernier élément de l’histoire : Peu importe la date, d’ailleurs on s’en fou, ça ne change rien à la démonstration de la monstruosité des humains que je n’ose même plus qualifier d’espèce. Selon les cruelles lois de la nature (« dura lex sed lex ») à un moment donné, donc, les humains ou les préhumains, auraient dû disparaître. Pardon pour la bestialité du propos, mais cela s’impose en la circonstance. Cette salope de nature n’avait pas dit son dernier mot, sinon, nous ne serions pas là pour en parler. Eh oui, bipédie – bassin trop étroit – disparition de l’espèce. Logique, non ? Pardon Aristote, il semble que cette salope de nature joue avec nos nerfs et, ce qui est plus grave, avec la logique. NON ! Nous n’avons pas disparu, mais à quel prix ! Je vous le donne en mille : au prix de notre monstruosité (ou tout du moins de sa première étape). Oui, il y eut quelques survivants mais pas très jolis jolis : de minuscules avortons, les seuls à pouvoir passer dans un bassin étroit, en quelque sorte, quelque chose qui ressemblerait à ce que nous appelons aujourd’hui « des prématurés ». Imagine-t-on ce qu’a pu être, à l’époque, la naissance de prématurés dans la jungle tropicale sauvage infestée de prédateurs !!! Deuxième miracle donc. Quelques mères au courage et à l’intelligence hors du commun, seraient donc à l’origine de notre espèce. Mais ce n’est pas tout. Pendant plusieurs millions d’années, il a fallu se cacher et se protéger de mille dangers. Comment cette petite espèce qui, pour le coup, a du devenir diabolique, a pu survivre ? On ne sait trop. Mais dans tout filet il y a des trous et ces petits animaux fragiles ont pu passer au travers de ses mailles. Selon certaines sources, une théorie assez surprenante (la théorie Wrangham/Hladick) nous parle d’une évolution de l’alimentation de cet animal fragile vers la consommation d’aliments cuits. Elle existe chez certains singes mais aurait été perfectionné chez notre ancêtre, de telle manière qu’au fil du temps, cet apport inespéré de nutriments assimilables, aurait permis le développement hors norme (et, peut-on dire un peu monstrueux) d’un cerveau surdimensionné par rapport aux autres membres de son espèce. Nécessité fait loi, dit-on. Pour survivre il fallait être intelligent. CQFD. Troisième miracle donc. Mais ce n’est toujours pas tout. Jeter certaines graines ou tubercules dans le feu pour mieux se nourrir, eut une autre conséquence favorable à la survie et au développement de cet animal fragile : Le feu éloigne les prédateurs (4ème miracle).
- Et c’est ainsi que contre toute attente, notre monstrueuse espèce fut définitivement sauvée.
- Reste à espérer qu’elle fasse bon usage de ce prodigieux cadeau, pour ne pas, à son tour, tout détruire.
Le Philosophe :
Je peux en déduire à te lire – depuis plus d’une dizaine d’années- que ton analyse est définitive et qu’elle est donc en quelque sorte la « vérité » de l’histoire de notre monde, d’où l’on peut en conclure : notre cerveau est monstrueux, donc nous sommes des monstres et contre tout pronostic censé, concernant la viabilité d’un organisme, le censeur suprême qu’est « cette salope de Nature » s’est laissé divertir en ouvrant, tout grand, la boîte de Pandore. C’est le règne d’Epiméthée, l’apprenti sorcier, qui met sa main au feu au lieu de le transmettre, à l’instar de son frère, à notre espèce qui en aurait bien besoin ; handicapés que nous sommes. Et en plus, ce monstre sait faire la cuisine des petits plats mijotés avec des fruits fermentés lesquels miraculeusement lui montent à la tête en le gonflant à l’hélium, tel le grain de maïs transformé en popcorn et comble de tout, le bassin osseux de nos aimées à force de redressement se transforme en goulet « d’étranglement ». Que d’avanies l’ami pour cet apprenti homininé qui pourtant deviendra l’un des maîtres du monde en attendant son règne sans partage parce que précisément il n’y aura plus rien à partager avec nos cousins plus ou moins lointains sur cette Terre pourtant si accueillante dans l’immensité de l’univers. Oui tu as raison, avant le pied du mur il y a bien évidemment : on fonce droit dans le mur.
L’Extra-terrestre :
Ma qué ! tu me prends pour le bon dieu ? No, no, pas du tout, je ne me permettrais pas. Je lance une hypothèse de plus sur les mille hypothèses déjà émises, toutes aussi fausses ou approximatives les unes que les autres. A toi de choisir celle que tu préfères, de me donner la tienne ou de te retirer de la course (ce serait dommage). Tout est relatif. Donc tout dépend de la référence. Construire des fusées pour aller dans la Lune est énorme si l’on compare cette construction à la construction naturelle la plus élaborée. Cette construction est dérisoire si on la replace dans la globalité des grands équilibres de la Nature. Le géant humain, encombré depuis la nuit des temps par son gigantisme (intellectuel, matériel, physique, psychologique, agricole, industriel, économique, commercial, politique, religieux, littéraires, etc.) a perdu pied et trébuche à chaque instant sur ses excès … oubliant la mesure de toute chose, une sorte de sobriété permettant de conserver de tout temps et en toute circonstance, l’équilibre. C’est en cela qu’il est monstrueux. Et c’est normal. Sa réponse exagérée à son insignifiance originelle, fait partie des accidents qui donnent naissance aux monstres. L’être humain est un éléphant dans un magasin de merveilleuses porcelaines qu’il écrase, sans même s’en rendre compte et, tout cela, sur la plus belle planète de l’Univers. Ceci-dit, il a un mérite fou de construire tout de même de très belles choses. Mais, à quoi serviront-elles, perdues au milieu d’un champs de ruines ?
François-Michel MAUGIS et Saïd ADJOUBA