Paris-Match a inventé il y a longtemps le célèbre slogan, qui depuis à fait fait florès, « le poids des mots, le choc des photos ». Ne dit-on pas que certains mots peuvent tuer aussi aisément qu’une balle. Combien d’hommes en effet ont été déshonorés sous l’effet, et le poids, des mots ? De même qu’il existe aujourd’hui une cyber-guerre il a toujours existé, depuis la nuit des temps, la guerre des mots.
Il suffit de se reporter dans notre histoire récente pour constater l’influence de la propagande de Goebels et les discours d’Hitler sur la montée du nazisme. Les mots employés, à dessein, par ces deux tribuns ont précédé de peu le claquement des gâchettes et leur puissance ont fait l’effet de balles meurtrières.
On sait, aussi, l’effet qu’ont eu dans notre histoire contemporaine les phrases célèbres de Charles de Gaulle comme « je vous ai compris » à propos de la guerre en l’Algérie, ou « vive le Québec libre » pour ne citer qu’elles, ainsi que la fameuse injonction des soixante-huitards « Il est interdit d’interdire ». Les mots qui ont influé le cours du destin sont légions.
Le choix des mots n’est jamais innocent, pas plus dans une déclaration d’amour « je t’aime », que de guerre « je te hais ». De leur usage une destinée peut être radicalement transformée, pour le meilleur, comme pour le pire. C’est dire l’importance de la sémantique dans notre vie quotidienne, car derrière un mot peut se cacher une volonté, une intention, une stratégie, un changement de politique. Les mots ont une puissance terrifiante, songez encore à ceux—ci, toujours de Gaulle, descendant les Champs-Élysées en 1944 : « Paris bafoué, Paris humilié, mais Paris libéré ! »
Souvenons-nous aussi de la célèbre phrase de Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur : « Il faut terroriser les terroristes », ou de celle de Poutine promettant aux terroristes de « leur botter le cul, jusque dans les chiottes ». Des mots en l’air, des propos de circonstances, des formules toute faites ? Ou plutôt des avertissements ? Dans le cas de Pasqua, prononcés avec l’accent méridional et son allure de Fernandel ces mots ont fait pschit, mais dans la bouche de l’ancien colonel du KGB ils ont eu une toute autre résonance, et on a vu comment il a traité les terroristes Tchétchènes. Ainsi, il y a les mots et la façon dont ils sont prononcés, en ce sens le vocabulaire sera, ou non, meurtrier.
Aussi quand Emmanuel Macron, lors du récent G5 Sahel, a eu ces mots inattendus « il faut décapiter les organisations terroristes » – recourant au vocabulaire de Daesh – la question qui se pose est la suivante : est-ce l’ancien inspecteur des finances qui s’est exprimé, ou l’admirateur de Bonaparte et du général de Gaulle ? Dans le premier cas ces mots n’auront qu’une portée symbolique, dans l’autre cas on se souviendra que de Gaulle lorsqu’il avait, dans une conférence de presse à l’Élysée, évoqué les dirigeants de l’OAS en parlant d’un « quarteron de généraux à la retraite » : Salan, Jouaud, Challes et Zelker, tout le monde avait compris qu’il engageait une lutte sans merci contre ces militaires « félons, séditieux ». Et c’est ce qui produisit, l’OAS fut anéantie. C’est la différence entre une formule creuse et un tir sans sommation.
Si demain, sur le terrain au Sahel, Emmanuel Macron réussit à traduire ses mots en actes, sans faiblesses, on saura qu’en utilisant le langage de nos ennemis il leur a fait passer un message sans ambages, « les démocraties sont trop souvent faibles, et c’est de leur faiblesse qu’elles meurent, jusqu’au jour où … »
En 1938 à Munich c’est parce que nous n’avons pas eu précisément le courage de dire « non » à Hitler afin d’éviter la guerre … que nous avons justement eu la guerre et que nous l’avons perdue, en même temps que nous avons perdu notre honneur, comme l’avait si bien prédit W. Churchill.
E. Macron cherche sans doute, en recourant à cette sémantique guerrière, à éviter que l’histoire qui bégaie au Sahel ne se répète. La lutte que nous menons contre les jihadistes doit être impitoyable car en voulant nous imposer leur charia c’est notre civilisation qu’ils rejettent, c’est l’idée même de la République, de la laïcité et de nos valeurs démocratiques et humanistes qu’ils veulent anéantir. Nous ne pouvons pas perdre cette guerre et si Emmanuel Macron réussit à éradiquer, « décapiter » ces barbares Moyenâgeux , nous saurons alors qu’il a chaussé les bottes de Bonaparte, ou de de Gaulle, que cela plaise, ou non, à certains.
Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono