Crash du Boeing ukrainien : le prix à payer pour des civils innocents

Il y a deux jours, dans les médias, le crash du Boeing 737 ukrainien figurait dans la rubrique faits divers. Un fait divers tragique puisqu’étant à l’origine de 176 victimes, mais un fait divers. Depuis ce matin cette information a changé de rubrique pour se retrouver dans les rubriques « diplomatiques » ou « politique internationale ». Qu’est-ce qui a changé ? Le fait tout simplement d’être passé en quelques heures d’un accident dramatique relié à un problème technique de l’appareil à un acte de guerre « non intentionnel » occasionné par un tir de missile. 

Ainsi va l’information au rythme des renseignements qui nous parviennent. Quand bien même dès les première heures qui ont suivi l’explosion du Boeing différentes sources, américaines notamment mais aussi canadiennes laissaient entendre que celle-ci avait peut être une autre cause qu’accidentelle. Des sources venant notamment du Pentagone et du renseignement US mais aussi de Justin Trudeau, le premier ministre canadien affecté que parmi  les 176 morts, 63 aient été de nationalité canadienne.

Et voilà qu’aujourd’hui les autorités iraniennes, après avoir un temps démenti un tir de missile, ont reconnu qu’une erreur humaine était bien à l’origine  du crash et qu’un missile sol-air du type Tor-M1 avait  provoqué l’explosion du Boeing qui reliait Téhéran à Kiev. L’aspect le plus dramatique pour ce pays, outre celui d’avoir perdu la face, est que la plupart des personnes décédées sont d’origine iranienne.

En revanche on est en droit de se poser une question, même si la tension est à son maximum depuis quelques mois dans la région, et particulièrement depuis l’attentat contre le général Soleimani, qu’on appelait en Iran « Soleimani le magnifique » chef de guerre des Pasdaran dont la fameuse brigade Al-Qods à l’origine de nombreux attentas. Un attentat réalisé par un tir de drone américain qui faisait suite à l’attaque de l’ambassade US à Bagdad par des milices chiites pro-iraniennes en Irak . Cette question est la suivante : Comment a-t-on pu confondre le vol régulier d’un avion de ligne ayant décollé de  l’aéroport international de Téhéran avec le survol hostile du territoire d’un avion de chasse américain ? Il ne s’agissait pas de l’intrusion à la frontière iranienne d’un aéronef ennemi. C’est grave et surtout inquiétant. Et on se dit que si l’Iran possédait la bombe atomique l’envoi « par erreur » d’un missile balistique doté d’une tête nucléaire  n’aurait pas fait 176 morts mais aurait provoqué plusieurs milliers, voire davantage. On veut bien croire que les procédures d’un tel tir seraient plus rigoureuses mais quand même ça fait froid dans le dos.

Pour leur défense les iraniens pourront avancer qu’en l’espace d’une quarantaine d’années une dizaine d’avions ont été abattus en vol et c’est malheureusement exact. On se souvient encore du Boeing de la Malaysia Airlines victime d’un tir de missiles le 17 juillet 2019 dans l’est de l’Ukraine, mais aussi en 1988 du vol 655 de la compagnie Iran Air abattu au-dessus du golfe Persique par un navire américain qui patrouillait dans le détroit d’Ormuz. A l’époque la catastrophe avait fait 290 morts. L’équipage américain de l’USS Vincennes avait confondu l’Airbus A-300 avec un chasseur iranien. Quelques années plus tôt en 1983 l’armée soviétique avait, elle aussi, confondu un vol sud-coréen avec un vol espion, bilan 269 morts. Il y a encore eu le 23 mars 2007 cet Illiouchine d’une compagnie biélorusse abattu par une roquette peu après son décollage de Mogadiscio en Somalie, puis en 2001 un Tupolev-154 d’une compagnie russe abattu par erreur par l’armée ukrainienne, etc.

Ici-même en France on n’a jamais identifié les causes réelles de la disparition en mer, en 1968, au large de Nice de la Caravelle d’Air France avec à son bord 95 personnes. Depuis lors on s’est beaucoup interrogé sur un éventuel tir de missile d’exercice parti du plateau d’Albion. On aura peut-être prochainement le fin mot de l’histoire, le président Emmanuel Macron ayant demandé en septembre dernier la déclassification des documents secret défense liés à cette catastrophe. Et la vérité ne fera sans doute pas plaisir à certains plus de cinquante ans après cette catastrophe aérienne pour laquelle des familles des victimes attendent aujourd’hui encore des explications pour faire leur deuil.

La destruction du Boeing ukrainien au-dessus de Téhéran apparait dès lors comme une bavure supplémentaire, parmi d’autres, provoquée par des tirs militaires à l’encontre d’appareils civils. Des milliers d’innocents ont ainsi payé de leur vie les erreurs humaines, techniques de l’armée, le plus souvent à l’occasion d’un climat de tension géo-politique régional entre différentes grandes puissances. Et il est à craindre que celle-ci n’est pas la dernière.

Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono, diplômé de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale