Coronavirus, l’effet domino d’une crise sanitaire et existentielle

Demain certains parleront d’effets collatéraux à la pandémie du coronavirus. On peut aussi évoquer l’effet domino, la chute de l’un entraînant en cascade celle des autres. Il y aura ainsi des conséquences économiques mais aussi financières et sociales. Certains comparent déjà la situation actuelle à la grande dépression qui secoua le monde en 1929. Dépression qui par suite de l’inflation galopante et du chômage de masse entraîna en Europe la montée du nazisme et fut à l’origine de la deuxième guerre mondiale. Or l’Histoire, nous enseigne que, quelque soit le prétexte, toute guerre a des origines économiques. Cette même Histoire est là aussi pour nous éviter de commettre les même erreurs que par le passé. 

Au demeurant cette crise sanitaire, économique et sociale d’une ampleur exceptionnelle, sera-t-elle aussi une crise existentielle ? Déjà, après huit jours seulement de confinement, on voit les effets psychologiques désastreux du coronavirus dans certains foyers et quelques villes. Dans les familles, où des couples hier unis commencent à se fissurer du fait de la promiscuité ambiante, tandis que d’autres voient leurs liens la veille distendus se resserrer aujourd’hui. Beaucoup d’enfants hier choyés seraient devenus encombrants depuis que l’école, les garderies sont à l’arrêt et ne remplissent plus un office que les parents sont tenus désormais d’assurer. Dans ce climat tout peut resurgir y compris les maltraitances à enfants et les violences sur conjoint. Quant aux villes il suffit de voir ce qui se passe à Belle-Île mais aussi au Cap Ferret ou l’arrivée massive de parisiens à la suite de l’exode massif de la semaine dernière à bouleversé le quotidien des habitants. Ce n’est plus « La Peste » de Camus mais « l’Etranger », celui qui vous met en danger et apporte, peut-être, dans ses valises la contamination.

On comprend mieux que nos contemporains se soient d’un coup pris d’intérêt pour le roman « La Peste ». Au-delà de l’invasion en Algérie, à Oran d’une foultitude de rats porteurs du virus qui va infecter les hommes, il faut surtout y voir, en cette année 1947 date à laquelle sort le roman, une allégorie du nazisme qui durant six ans infecta la démocratie européenne. Mais lire le roman ne va pour autant exorciser le coronavirus.

Et comme Camus, on peut aussi se demander si ce virus, venu de Chine, ne risque pas de transformer certaines populations, certains individus en boucs émissaire comme la peste au Moyen-Âge l’a fait à propos des Juifs ? Les chiffres qui défilent chaque soir sur le petit écran (infectés, malades, morts) ne risquent-ils pas de réveiller nos peurs ancestrales, stigmatisant par exemple les Asiatiques à l’origine de cette pandémie ?

Autrement dit, au-delà des catastrophes annoncées, léthargie de l’économie, faillites en cascades, chômage, endettement incommensurable, etc. cette peur (qui est aussi une réalité) de la contagion ne risque-t-elle pas de faire ressortir le pire de nous-même, telle la bête immonde qui sommeille en chacun de nous ? Ou, au contraire est-ce que ce climat anxiogène que nous vivons actuellement, dû en grande partie au confinement, va-t-elle nous permettre de porter une réflexion profonde et humaniste sur nos comportements, individuels et collectifs, et notre aptitude à vivre ensemble ? Comment allons-nous par ailleurs réagir à la réduction de nos libertés fondamentales (sans doute indispensables du fait de l’indiscipline d’une minorité), nous français, qui tenons tant à elles et pour la défense desquelles certains de nos soldats meurent tous les jours au Sahel ? Les français sont-ils prêts à accepter les restrictions de liberté de circulation, de réunions, le couvre-feu ? La France est capable du pire et du meilleur, de s’humilier comme de se sublimer.

Comme dans La Peste va-t-on voir les résistants, ceux qui luttent et mettent leurs vie en danger (médecins, soignants, pompiers, policiers, etc.) pour sauver celles des autres, et puis les négationnistes qui refusent, avec une légèreté coupable, de voir le mal se propager ? Va-t-on également voir tels ces rats qui déferlaient sur Oran des opportunistes, escrocs de tout poil  profiter du drame pour s’enrichir ? Sommes-nous prêts à nous dévouer pour sauver notre espèce ou allons-nous d’abord penser à nous, égoïstement ? Allons-nous individuellement et collectivement grandir dans cette crise, sans exemple depuis un siècle, ou au contraire exposer nos pires travers ?Et si nous nous posions cette question : comme la peste, ne portions-nous pas en nous, sans le savoir, ce coronavirus qui nous tue aujourd’hui ? Camus était un homme optimiste, lui qui disait « Les hommes sont plutôt bons que mauvais ». Personnellement je crois plus en l’humanité qu’en l’homme, mais n’est pas Camus qui veut car  cet homme, écrivain, philosophe, journaliste, que j’admire, est un géant et à côté de lui nous ne sommes que des petits Poucet.

Une chose est certaine, avec  « le jour d’après », au sortir de ce cauchemar, rien ne sera plus comme avant et nous devrons repenser nos habitudes, nos comportements, notre façon de faire et d’être, nos sociétés elles-mêmes devront se transformer car elles auront découvert leurs fragilités et leurs failles durant ces quelques mois cruciaux pour l’avenir de la planète et devront se tourner vers d’autres priorités, abandonner beaucoup de choses superflues et superficielles qui nous ont conduit au désastre actuel.

Et quand nous aurons vaincu la pandémie, car nous la vaincrons, comme Albert Camus il faudra se souvenir, ne jamais oublier  que « dans cette épreuve terrible nous aurons été confrontés à l’absurdité de nos existences «  et à  » la précarité de la condition humaine ».

 Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono