Professeur Cyril Koné : Le pardon en politique : condition nécessaire à la consolidation démocratique ?

 » Il nous faut connaître nos penseurs » Soutenu et reconnu par le Pr Djibril SAMB, le Professeur KONE trace sa voie dans le sillage des grands de la philosophie antique et pratique. » P B CISSOKO

 Par-delà la relation du pardon avec d´ambivalentes notions comme la “ tolérance ”, la “ rédemption ”… et du fait de la méfiance qui s´attache à l´amnistie, à l´impunité, fossoyeuse de l’État de droit, il est possible d’envisager le pardon en politique comme un processus de réconciliation en vue de la (re)construction de la cité, fondée sur des relations interindividuelles nouvelles dans le sens d’assurer l’intérêt général. Car le vivre-bien-ensemble constitue le ciment essentiel de la démocratie que les institutions et les procédures ne peuvent totalement remplir. Plutôt que de se méfier du pardon, on peut s´y référer pour redynamiser l’État de droit démocratique. À quelles conditions (nécessaires et suffisantes), le pardon peut-il consolider le régime qui respecte la loi ?

Comment refonder l’État de droit ou simplement y accéder tout en maintenant la « continuité de l’État », un concept qui, sur le plan juridique ne pose évidemment pas problème mais qui, sur le plan pratique et philosophique, soulève d’énormes difficultés quand il s’agit de faire collaborer l’ancien et le nouveau, alors même qu’il y a conflit évident et ouvert de valeurs ? Comment pardonner à l’autre s’il est si différent de moi alors même que nous nous inscrivons dans un destin commun ? Comment comprendre que les nouveaux États de droit choisissent invariablement d’amnistier les responsables de l’effondrement de l’État et des crimes les plus odieux, alors même que l’égalité des citoyens devant la loi est désormais revendiquée et que les nouveaux pouvoirs piétinent généralement la volonté du peuple qui demande réparation et refuse le pardon, susceptible de miner la démocratie ? Pourquoi les processus de réconciliation engagés ne mènent pas toujours à la cessation des litiges sociaux – d’autant plus cruciaux qu’ils touchent à l’organisation sociale et aux choix moraux du vivre-ensemble – alors qu’ils sont supposés conduire à l’apaisement faisant suite à une sorte de table rase sur laquelle se fonde un ordre nouveau que l’on pose comme meilleur, c’est-à dire plus moral et plus juste ?

C’est à tenter de répondre aux questions soulevées que j’analyse d’une part la question de l’enjeu du pardon en politique et, d’autre part, les conditions nécessaires et suffisantes à mettre en œuvre afin que la réconciliation nationale soit source de dynamiques, de structuration démocratique et non une bouée de sauvetage de la dictature ou d’un ordre politique illégitime. Enjeu de la question : la réconciliation Pour faire société et sortir de la misère de l’état de nature, les hommes organisent la vie en mettant en place les institutions chargées de réguler les comportements individuels ainsi que les rapports interpersonnels. Les règles, les normes dont le respect produit la cohésion sociale sont à l’image de celles de la Nature (physis) sans toutefois être le fruit d’une génération spontanée. Généralement, elles adviennent de deux manières. Premièrement, selon la vision de Protagoras, elles sont le produit du consensus, de la délibération commune, de l’accord des hommes. Elles maintiennent la société en ce qu’elles assurent l’intérêt général. L’état social correspondant à la 13 situation décrite est l’état du gouvernement démocratique dans lequel la vie sociale est fondée sur le droit juste.

Deuxièmement, selon la conception de Caliclès, elles sont l’expression de la volonté du plus fort, du groupe le plus puissant. Quand bien même les lois parviennent ici à assurer une forme de vie sociale, il n’en demeure pas moins vrai qu’elles préservent principalement des intérêts particuliers et entretiennent la peur et la violence. Les rapports entre les individus sont ici sous le mode du rapport de force permanent.

On cherche à dominer l’autre, à lui imposer sa loi. C’est pour cela que la violence est aux aguets, l’escalade est possible et les règles peuvent être ignorées lorsque les puissants le veulent. Les lois n’ont de réalité qu’apparente. Tout comme le vernis, elles sont purement cosmétiques. Si comme le dit Héraclite, la lutte (l’agôn) est le «père de toutes choses » et partant constitutive de la cité, il reste que sous certaines conditions sociales, culturelles et politiques, le conflit dépasse les limites raisonnablement acceptables. Le conflit entre les individus, les intérêts et les groupes n’est jamais loin de dégénérer et la stabilité n’est pas acquise car comme le dit Jean Jacques Rousseau, « le plus fort n’est jamais assez fort pour être le maître s’il ne transforme sa force en droit. »1 L’exacerbation des contradictions et l’accroissement de l’injustice produisent fatalement la violence qui peut remettre en cause toute possibilité de dialogue.

La plupart des pays a, plus ou moins, connu dans l’histoire ancienne ou récente les soubresauts des divisions, des conflits internes ou externes, plus ou moins graves, qui ont occasionné les souffrances, les massacres, les violations systématiques des droits humains, etc. Pour dompter la tragédie et sortir de l’engrenage de la violence, on peut tenter de s’organiser en mettant en place une structure, plus respectueuse des intérêts et des besoins du corps social.

Dès lors, la société se voit confrontée avec le problème des injustices, du manquement au droit et des rancœurs qu’il faut savoir gérer pour ne pas compromettre la construction de l’État qui assure l’épanouissement de tous. En résumé, il faudrait pouvoir « ôter à la haine son éternité » selon la célèbre formule de Plutarque. C’est alors que se pose la question de l’absolution des fautes ou amnistie, du pardon en vue de la réconciliation à l’échelle communautaire ou nationale. Dans le Dictionnaire latin français de Félix Gaffiot, reconciliation signifie premièrement rétablissement et deuxièmement réconciliation, raccommodement. La personne qui rétablit par exemple les liens coupés raccommode en ce sens qu’elle soude les parties, elle les réconcilie.

Reconcilio évoque l’action de remettre en état, de rétablir. C’est pourquoi, on ne saurait rigoureusement parlant dire que de bons rapports amicaux ont été rétablis entre des pays ou des individus, quand ils n’ont jamais été mis en difficulté. L’expression réconciliation a de multiples usages comme conclure la paix, maintenir la communauté, vivre en bonne entente, reprendre les bonnes relations avec un frère, un ami, une communauté, un groupe d’individus, être en harmonie avec soi-même ; toutes ces expressions supposent le retour de l’accord, à savoir le réchauffement de la relation qui passe d’un état froid à un état chaleureux. À ce propos, Philippe-Joseph Salazar décrit la scène de la réconciliation comme une opération de transformation, un changement qualitatif de situation sur le plan sociopolitique.

Mais avant de discuter la capacité du pardon à favoriser la consolidation démocratique, situons l’origine théologique et religieuse du concept pour mieux présenter la dimension politique. 1 Rousseau (Jean-Jacques) : « Du pacte social », chap. VI, dans Du contrat social, Tome III, Paris, Gallimard/Bibliothèque de la Pléiade, 1964. 14 Pardon judéo-chrétien et pardon-réconciliation De façon générale, le pardon consiste à abandonner aux fautifs et autres responsables de manquements leurs fautes. En décidant de ne pas réclamer à autrui ce qu’il doit, on l’en tient quitte. On lui fait don de ce qu’on lui aurait retiré en l’obligeant à expier. Donner à l’autre son dû revient à remettre ses fautes. Ne pas lui réclamer ce qu’il doit en échange revient à ne pas exiger qu’on en réponde, qu’on avoue ou qu’on paie en retour. On supprime en fait, sans condition et sans préalable, le fardeau de la dette d’autrui en décidant de sa nullité. Le pardon est fondamentalement caractérisé dans la morale judéo-chrétienne comme un acte généreux, fondé sur l’amour, le cœur, la charité et le sentiment. Selon l’évangile, « si sept fois par jour [ton frère] pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi en disant : « je me repens », tu lui pardonneras » (Mat. 6 : 12-15 ; Luc 17 : 3 et svts.)

Dans la tradition chrétienne, le pardon est une grâce et celle-ci n’est pas le monopole de Dieu car l’être humain a aussi le pouvoir d’abandonner gracieusement à autrui sa faute. C’est dire que dans le christianisme, le pardon est par essence déconnecté de toute considération politique. Comme le montre Jacques Derrida, le pardon est « pur et inconditionnel », « mystérieux » et « au-delà de toute négociation ». Il est de nature supra juridique (Foi et savoir. Suivi de Le siècle et le pardon) et n’est déterminé par aucun intérêt. En effet selon Hannah Arendt (Condition de l’homme moderne), « seul l’amour peut pardonner puisque l’amour seul sait pleinement accueillir qui est quelqu’un, au point d’être prêt à lui pardonner n’importe quoi » (op. cit., p. 273).

Ce serait toutefois faire preuve de cécité que de penser l’offre du pardon comme rigoureusement gratuite. On peut même dire que le pardon est rarement désintéressé. Généralement, le don du pardon cache plus ou moins mal un « calcul stratégique et politique ». La mise en garde de Pierre Bourdieu contre la croyance d’un acte désintéressé dans notre vie terrestre est peut-être sensée : « Les actions les plus saintes – l’ascèse ou le dévouement les plus extrêmes – pourront toujours être suspectées (…) d’être inspirées par la recherche du profit symbolique de sainteté » (Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Le Seuil, p. 161.) Le pardon ne se limite pas à des initiatives du pouvoir, que ce soit dans une optique religieuse, morale ou laïque. Il est repris par de nombreux acteurs de la société civile. Le monde du sport offre de multiples exemples.

Sortant d’une profonde crise de la fédération en 2001, la présidente de la fédération ivoirienne de hand ball demande pardon pour sa gestion défaillante avant de commencer un nouveau mandat ; les vedettes du football africain ont l’habitude de demander pardon à leurs concitoyens lorsqu’ils perdent un match important (ainsi le pardon demandé par les joueurs « au peuple camerounais » après leur échec lors du mondial de football en 2002.) Le pardon entretient surtout des rapports consubstantiels avec le politique. Il est l’un des attributs du pouvoir (le droit de vie et de mort, le droit de grâce). Le pardon et la grâce résultent d’une légitimité sacrale du pouvoir. Le « principe de pardon » peut-il être le fondement d’une politique ? d’une action politique ?

Paul Ricoeur le conteste mais c’est un fait notoire et un objet de débats contradictoires à l’occasion de chaque manifestation de pardon. Le pouvoir se sert du pardon comme d’un instrument permettant de renforcer son image. Mais l’ambiguïté du pardon apparaît vite. Il est à craindre qu’une société qui érige le pardon en principe de gouvernement soit un modèle de totalitarisme. Le pardon et la violence peuvent basculer dans un mouvement incessant l’un vers l’autre, de telle manière que le pardon ne représente plus que la violence de l’État. Devant la société des Jacobins, Saint-Just défendait ainsi la guillotine comme l’expression même du pardon républicain avec une de ces belles formules dont il avait le secret : « le fer cruel est 15 charitable ».

Cette ambiguïté subsiste même lorsque le pouvoir, suspendant ses opérations répressives, prend l’initiative d’une demande de pardon, utilise la repentance et la culpabilité comme des mots d’ordre politiques, et propose le « pardon d’État » ou la « réconciliation nationale » comme une exonération. Le pardon introduit une réversibilité dans la chaîne des évènements.

À l’opposé de la soumission et de l’humiliation, de la rancune qui ne permet d’entrevoir que des représailles réelles ou virtuelles, le pardon laisse la possibilité d’une réversibilité, d’un retour sur l’offense initiale. Il pose un terme qui se voudrait final (au deux sens : achèvement et telos) même s’il n’est, le plus souvent, qu’une étape dans une évolution. Le pardon est considéré comme un arrachement à la singularité de la passion. Il favorise l’arrêt de la violence, ce qui permet de refonder l’État dans le sens de l’ordre sociopolitique meilleur.

Il apparaît que le pardon en politique est authentiquement fondé dans la raison puisqu’il repose sur un calcul stratégique. On peut le comprendre comme un principe d’intelligence en vertu duquel les hommes s’entendent pour faire société et se donner une forme de pouvoir propre à assurer le bien commun. À bien y réfléchir, l’institution du pardon interdit d’être indifférent au sort des autres membres de la communauté.

Cela signifie que les hommes ne sont pas des monades isolées et indépendantes les unes des autres. Le pardon recouvre une dimension politique et éthique. Pardonner peut s’entendre comme la volonté d’une personne de s’associer avec l’autre en dépit de ses méfaits. Le pardon paraît donner une chance à la vie sociale. En effet il donne le droit de compter sur (et avec) son prochain, de traiter d’égal à égal. Une telle conception invalide la relation verticale de type théologique et religieuse.

C’est à l’inverse de cette vision qu’il faut situer la relation de type horizontal, induite par le pardon en politique, base de la communauté humaine. Le pardon n’établit pas seulement un rapport entre deux entités, un fidèle et Dieu, mais entre plusieurs membres d’une société.

Comme partage intellectuel et calcul stratégique, il redéfinit l’espace du « nous », de la communauté. L’Afrique du Sud contemporaine a poussé le plus loin l’incorporation du pardon à la relation politique, affirmant ainsi le statut d’ authentique expérience politique » de la notion. On peut toutefois interroger la capacité du pardon à traiter le mal en politique en vue de la refondation démocratique de sociétés qui ont souffert de la terreur, de la dictature, de l’anti démocratie. Est-il pertinent de se référer au pardon pour renouveler la vie et l’existence sociale ? Quelles conditions réaliser sur les plans socioculturel, juridique, politique et économique pour que la réconciliation, fruit du pardon, redynamise la démocratie et qu’elle ne soit pas entendue comme une prime à l’impunité, à savoir une forme de reconnaissance du mal ?

Prospectives politiques pour la démocratie et la réconciliation nationale La démocratie et la réconciliation nationale consacrent, en principe, la volonté des citoyens de vivre uni dans le même pays. Pour cela il peut être utile dans les pays en proie à des divisions internes ou à de récurrentes tensions politiques et sociales, de concevoir et de réaliser la réconciliation sur la base du consensus, la reconnaissance des droits humains, la démocratie et les chances de développement harmonieux pour tous comme le but commun indépassable ou l’horizon à atteindre. Mais comment s’y prendre quand certains membres de la communauté, appartenant souvent à l’élite gouvernante et/ou militaire, financière et économique, ont une responsabilité dans les violations et manquements qui opposent les citoyens ?

Que faire pour qu’il n’y ait pas de laissés-pour-compte de la réconciliation ?  À mon sens, il importe tout d’abord de concevoir une organisation impeccable de la transition et de veiller particulièrement à la constitutionnalisation d’une structure indépendante, chargée d’examiner les crimes politiques et économiques graves. L’instance a pour rôle d’examiner les faits incriminés non dans un esprit de revanche mais d’apaisement et de volonté de réconciliation. L’héritage de peur, de haine ou d’injustice doit être traité à partir de la concitoyenneté et non de la victimisation ; c’est-à-dire d’un besoin de réparation et non de représailles. Cela ne signifie pas que l’instance doive renoncer à établir la vérité des faits.

Mais en la matière, il faut savoir que les révélations, les auditions publiques des victimes ne servent pas toujours la cause de la réconciliation nationale. Dans certains cas, la diffusion dans les médias (presse écrite, radio, télévision, internet, etc.) des reportages faisant le point sur les crimes odieux peuvent miner la réconciliation en nourrissant les souffrances, la vengeance et en entretenant le sentiment de peur et d’insécurité au sein de certaines catégories sociales.

Au lieu de chercher à se venger en poursuivant la relance naturelle qui conduit à répondre à une offense, la procédure de réconciliation suspend le cours de la relance en supprimant l’effet des paroles et des actions dans le but de maintenir la société. Le processus de réconciliation (car Selon Jankélévitch, « il n’y a pas de faute si grave qu’on ne pourrait, en dernier, recours la pardonner (…).

Il reste toujours la ressource de pardonner les crimes monstrueux que le criminel ne peut pas expier. Le pardon étant précisément pour ces cas désespérés ou incurables. ») peut impulser un nouveau départ et renouveler la qualité de la relation communautaire, sociale, politique comme en Afrique du Sud. Cet exemple est aujourd’hui cité en exemple car il a enclenché la démocratie et évité le bain de sang qu’on prévoyait à la chute du système d’apartheid grâce à ce que Desmond Tutu appelle le « miracle de la solution négociée ».

Il serait toutefois imprudent d’en faire le modèle par excellence de l’alternance politique ou de la sortie de crise. La grâce, l’amnistie et la remise des fautes, déclarées « crimes contre l’humanité », constituent du point de vue politique, éthique et moral une transgression des principes démocratiques modernes.

Certains penseurs comme Kant, Hegel, Ricœur, Salazar, auxquels on peut ajouter les associations de défense des droits de l’homme et de la société civile voient dans le pardon ou amnistie, le principal ennemi du régime qui respecte la loi et le droit justes car fonder la démocratie sur l’impunité, le pardon est non seulement problématique mais dangereux. Selon eux, il y a une incompatibilité entre l’amnistie, le pardon ou la grâce et la loi éthique, morale et démocratique. Constituer le contrat social de la république sur la remise des fautes détruit la société puisqu’on viole les règles sociales, en plus du fait que cela pose la question de l’égalité des citoyens devant la loi. On peut dénoncer le pardon fondé sur l’oubli volontaire comme condamné à l’échec parce qu’il nourrit et aiguise les rancœurs et les ressentiments.

À l’inverse Cassin, Cayla, Tutu, Mandela… pensent que la mise en place de la démocratie et/ou sa consolidation, consécutive à une période de dictature, mérite qu’on sacrifie sur l’autel de la réconciliation quelques violations des responsables de fautes, susceptibles de prendre en otage le processus. Il faut de leur point de vue oser remettre les manquements pour permettre au régime naissant de grandir. Mais pour que la réconciliation favorise la vie sociale, elle doit déboucher sur une restauration de la liberté, fondée sur l’égalité de droit démocratique et la reconnaissance mutuelle en vue de l’épanouissement individuel et collectif. Selon l’ancien président argentin, Carlos Menem, « laisser derrière nous ces sombres événements n’est pas un acte de condescendance irresponsable.

C’est plutôt la condition que nous devons remplir afin de devenir unis dans la solidarité, comme un seul peuple, sans la division en deux fractions, dans laquelle veut nous entraîner notre passé. Ce n’est qu’après que nous ayons reconstruit ce front uni 17 que nous pourrons regagner l’énergie dont nous avons besoin pour être une véritable nation avec une véritable destinée. » (S. Lefranc : Politiques du pardon, p. 130) Le choix de la figure du pacte est redevable à une définition particulière de la démocratie, régime pour lequel les citoyens libres organisent le vivre-bien-ensemble. Pour construire la démocratie il faut la pratiquer en incluant l’adversaire dans le jeu politique. On peut dans ce sens revitaliser l’État démocratique en procédant par consensus à la conception et à la mise en place de mesures politiques importantes. Il s’agit entre autres de : – La constitutionnalisation de la reconnaissance de l’opposition et de la société civile afin qu’elles aient une existence effective et qu’elles soient viables. – La constitutionnalisation de l’organe chargé d’organiser les élections démocratiques du pays afin qu’il ait la crédibilité, la légitimité, l’efficience et les moyens pour travailler en toute indépendance.

– Le remaniement du mode de nomination du conseil constitutionnel pour qu’il ne soit pas un appendice du pouvoir en place mais une instance où siègent les « sages » de la république dont la réputation, l’impartialité et l’intégrité ne souffrent pas de contestation en ce qu’ils sont notamment reconnus par leurs concitoyens. Ils pourraient par exemple être nommés ou désignés par la majorité, l’opposition et les organisations de la société civile. – Veiller à ce que le principe de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, médiatique et militaire soit en pratique assuré de sorte à ne pas donner trop de pouvoir à une seule personne.

La méthode générale d’action à privilégier ne peut être révolutionnaire dans pareille circonstance. En effet pour retourner la situation d’injustice, il faut savoir réformer l’état des choses petit à petit, sans précipitation mais sûrement, afin de ne pas engager des changements susceptibles de semer la discorde. Les petites avancées cumulées sont préférables à la régression antidémocratique, au chaos. Passer d’un état mauvais à un état meilleur est assurément plus profitable à l’ensemble du corps social. La démocratie tout comme la réconciliation sont des processus qu’on ne réalise pas une fois pour toute. Ce sont des conquêtes permanentes de tous les instants. Ce sont des aspirations plus qu’un donné. Elles sont par conséquent à réaliser dans le temps, en toute confiance et dans l’accord des parties. En effet la véritable réconciliation ne peut se construire que sur la base de la vérité, de la justice, de la mémoire historique.

Elle n’est effective qu’avec le repentir, la reconnaissance des coupables de crimes et le respect de la justice indépendante. Cela signifie que la réconciliation authentique n’est possible que si la vérité est établie et la mémoire des fautes intégrée dans les représentations, les pratiques politiques. On ne saurait par conséquent placer la question de l’unité indivisible de l’État au-dessus des attentes démocratiques de vérité et de justice. Le « devoir de mémoire » est la meilleure thérapie du corps sociopolitique. Le renforcement de la démocratie et la cohésion des citoyens en tant qu’horizon de l’exigence de vérité, du droit et de la justice sont vecteurs du gouvernement fondé sur le respect mutuel et le dialogue entre les citoyens de toutes conditions.

Conclusion 18 Au total, le pardon peut renforcer la démocratie à condition qu’il soit l’occasion d’un dialogue franc et constructif qui vise à solder le contentieux des violations, des manquements aux droits humains qui sapent la vie sociale et engourdissent l’énergie productrice et créatrice des citoyens. Cela suppose de créer un climat de sérénité et de coopération franche dans lequel la peur s’estompe. La participation et la détermination sans faille de l’ensemble des membres de la société peuvent favoriser l’authentique réconciliation dans laquelle personne n’est laissé-pour compte. Pour que ces exigences aient la chance de se concrétiser, il importe de s’investir, chacun à son niveau socioprofessionnel et dans son cadre de vie familial, en faveur d’une éducation humaniste, fondée sur le respect de l’égalité, de la liberté et de la dignité humaine. L’épanouissement d’une telle éducation peut contribuer à maintenir la société unie et heureuse parce qu’elle assure le droit individuel et collectif.

Cyrille Koné, Pr de philosophie ancienne et philosophie pratique, Ouagadougou

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