Il est abominable pour un musulman de voir ses frères se déchirer, s’entre-tuer comme c’est le cas depuis des siècles, ici ou là, dans le monde entre chiites et sunnites. C’est encore plus épouvantable lorsqu’il s’agit d’une lutte fratricide entre sunnites eux-mêmes comme on le voit aujourd’hui au nord de la Syrie dans les combats qui opposent les Turcs aux Kurdes Syriens.
Evidemment ce n’est pas au nom de leur confession que ces deux peuples s’opposent avec autant de cruauté. Pour Istamboul, les Kurdes ont toujours été persona non grata en Turquie même s’il lui a bien fallu accepter leur présence en raison de l’implantation d’une grosse minorité, près d’une quinzaine de millions, dont un certain nombre d’entre eux militent au PKK un parti jugé terroriste par l’ensemble de la communauté internationale et Erdogan lui-même.
Le problème c’est que les Kurdes sont éparpillés un peu partout au Moyen et au Proche-Orient. On en compte ainsi plus de huit millions en Iran, près de sept millions en Irak, et trois millions en Syrie sans parler de la diaspora installée dans de nombreux pays d’Europe, aux Etats-Unis et en Australie. On estime de ce fait à près d’une quarantaine de millions la population Kurde actuelle.
Cela fait maintenant plus d’un siècle que les Kurdes militent pour l’autodétermination afin d’avoir leur propre patrie, le Kurdistan, malheureusement pour eux aucun des pays où ils se trouvent ne peut l’accepter par crainte de perdre une partie de son territoire national. Et pourtant lors de la conférence de la paix à Paris en 1919, le traité de Sèvres qui s’en suivit un an plus tard prévoyait la division de l’Empire ottoman et la création d’un Etat Kurde indépendant. Hélas, en 1923, le traité de Lausanne est revenu sur cette autonomie, le Turc Mustafa Kemal ayant refusé l’application du traité précédent.
Depuis lors entre le chah d’Iran (Mohammad Reza Pahlavi) et Saddam Hussein et le Syrien Bachar El Assad, les Kurdes ont toujours été victimes des violences en Iran, en Irak, en Syrie (où la langue est interdite) mais aussi en Turquie où ils subissent de façon permanente la répression du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan.
Après une relative accalmie depuis le début de la guerre civile syrienne au cours de laquelle les Kurdes se sont opposés violemment autant à l’armée gouvernementale d’Assad qu’aux djihadistes de Daesh la répression a repris de plus belle sur une bande frontalière au nord de la Syrie. Depuis plus d’une semaine en effet, après le retrait annoncé des troupes américaines du secteur, les Turcs ont décidé d’anéantir la résistance kurde et aujourd’hui on compte déjà des centaines de victimes et plus de trois cent mille personnes déplacées sur les routes.
Et le drame supplémentaire de cette tragédie est que les combattants de chaque côté sont de la même confession, à savoir un islam sunnite. Comme on le sait beaucoup de conflits sont hélas d’origine religieuse mais là, on l’a bien compris, il ne s’agit pas de cela mais de revendications territoriales de part d’autres. Pour autant, au final, les victimes seront toutes des musulmans sunnites. Ce qui ajoute encore à la tragédie actuelle.
Je ne saurais oublier davantage l’infâmie d’un président Américain, Donald Trump, qui obéissant à des exigences électoralistes à lâchement abandonné le peuple Kurde, le livrant pieds et poings liés à l’armée turque. Comme je ne saurais oublier le silence assourdissant de la communauté internationale, indifférente et impuissante à un génocide annoncé.
La géopolitique démontre ainsi qu’elle n’est pas faite pour les naïfs. L’éthique pèse généralement de peu de poids face aux considérations de realpolitik.
Ibrahima Thiam,
Président d’Un Autre Avenir.