Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) sénégalais traverse une crise sévère, marquée par un effondrement des commandes, des licenciements massifs et des impayés de l’État. Ce secteur stratégique, vital pour l’économie nationale, est fragilisé par un cocktail de facteurs. Acteurs privés, économistes et syndicalistes tirent la sonnette d’alarme, tandis que l’État peine à relancer la machine.
Une économie en attente
« Le Sénégal est, pour l’instant, économiquement en stand-by », constate Frantz Champin, consultant français basé sur la Petite-Côte. Selon lui, « la chasse aux sorcières contre les escrocs a cassé le dynamisme économique », laissant les acteurs économiques dans une situation d’attente où « les gens rament, travaillent, mais font du surplace ». Le BTP, en particulier, est durement touché.
Souleymane Camara, syndicaliste au Consortium d’Entreprises du Sénégal (CSE), une société de BTP basée à Dakar, dresse un bilan alarmant : « Depuis 11 mois, notre carnet de commandes est passé de 140 milliards à 20 milliards FCFA (de 213 à 30 millions d’euros), et nos effectifs de 3 000 à 1 700 employés. » Kader Ndiaye, responsable patronal, renchérit : « Les arrêts de chantiers ont durement frappé le secteur. » Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), le chiffre d’affaires de la construction a reculé de 2,6 % en 2024 par rapport à 2023.
L’audit foncier, un frein majeur
L’audit foncier lancé par le gouvernement a gelé ou stoppé de nombreux projets, notamment à Dakar, où l’immobilier connaît une effervescence. « Le BTP ne tient plus », alerte Kader Ndiaye. Jeune Afrique rapportait en mars 2025 que les impayés de l’État, accumulés depuis 2023, entravent le redressement du secteur, qui représente plus de 4 % du PIB et plus de 200 000 emplois directs. Oumar Ndir, président du Syndicat professionnel des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics du Sénégal (SPEBTPS), souligne que « la dette intérieure met en péril la capacité des entreprises à honorer leurs engagements financiers et sociaux. »
Ousseynou Nar Gueye, associé-gérant d’Axes & Cibles Com, rappelle que le BTP absorbe près de 30 % des investissements publics de l’État. Il insiste sur l’existence de champions nationaux dans le secteur et appelle à en faire émerger davantage, s’inspirant du Maroc, qui a su développer ses entreprises dans le BTP, l’automobile et le ferroviaire. « Toute autre vision est du court-termisme », affirme-t-il.
Une crise aux racines multiples
Amath Ndiaye, professeur à la Faculté des sciences économiques et de gestion (FASEG) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, explique que l’économie sénégalaise traverse une phase de léthargie, marquée par des chocs exogènes et endogènes. La pandémie de Covid-19 a désorganisé les chaînes d’approvisionnement et perturbé les secteurs informel, touristique et agricole. Entre 2021 et 2024, l’instabilité sociopolitique, les contestations et les incertitudes politiques ont détérioré le climat des affaires, freiné l’investissement privé et réduit la confiance des opérateurs économiques.
Le BTP, moteur historique de l’investissement, souffre de retards de paiement de l’État, d’une raréfaction des financements et d’une baisse des commandes publiques, compromettant des milliers d’emplois. En 2024, un durcissement de la pression fiscale, qualifié de « harcèlement fiscal » par le Pr Ndiaye, a comprimé les marges des PME, accentuant l’informalité. Les licenciements dans le secteur parapublic, liés à la suppression de sureffectifs, ont amplifié le chômage urbain et la précarité, réduisant la consommation intérieure. Ces facteurs expliquent la stagnation du PIB hors pétrole, reflet de la vitalité économique réelle.
Des marges de manœuvre limitées
Le Pr Ndiaye souligne que l’État, hérité d’une gestion budgétaire expansionniste, fait face à une dette publique alourdie et à des déficits budgétaires élevés, limitant sa capacité à relancer l’économie par la dépense publique. Il n’y a aucun lien direct entre cette situation et la reddition des comptes, précise-t-il.
Pour sortir de l’impasse, Amath Ndiaye propose de mobiliser le secteur privé en facilitant l’accès au crédit bancaire et aux financements par les institutions de microfinance, via un cadre réglementaire amélioré, un partage du risque par des garanties publiques et des paiements administratifs plus rapides. Il recommande également une politique offensive pour attirer les investissements directs étrangers (IDE), en assurant la stabilité macroéconomique, la sécurité juridique, la simplification administrative et des infrastructures de qualité.