Alioune Diop, déjà 40 ans ! Par Alpha Amadou SY -Homme de Culture

Le Pr de Philo Alpha SY, écrivain, homme de culture et de partage est cet intellectuel qui ne veut pas oublier nos anciens intellectuels, il veut vivifier la mémoire et c’est en cela qu’il nous est important et mérite d’être lu et écouté ». P B Cissoko

Parler d’Alioune Diop, faisions-nous observer lors de notre communication présentée à l’occasion de la Journée que l’Université de Bambey avait dédiée à son parrain, instaure toujours dans une sorte d’inconfort voire de malaise . Pas uniquement parce que le Fondateur de Présence Africaine est une personnalité complexe et son œuvre des plus riches ! Mais, c’est parce que aussi « le bâtisseur inconnu du monde noir » , pour reprendre l’Ivoirien Frédéric Grah Mel, avait élevé le « principe de l’effacement fécond» à la dignité de culte.
Qu’à cela ne tienne ! Sous le double rapport du devoir de mémoire et de l’exigence de contribuer à résoudre les contradictions qui assaillent notre présent si enveloppé de grisaille, il est impensable de s’en tenir à consacrer au grand Africain et panafricain qu’il fut une minute de silence et/ou une soixantaine de secondes de prières !

A/ Une figure emblématique du monde noir

02 mai 1980- 02 mai 2020, soit quarante ans après son décès, faute de pouvoir restituer ici l’intégralité de l’œuvre d’Alioune Diop, il serait tout à fait indiqué d’en extraire certains aspects. L’objectif est de faire comprendre à la jeune génération la qualité du travail abattu pour lui valoir la reconnaissance quasi unanime de tous ces intellectuels de diverses sensibilités philosophiques, idéologiques et politiques, résolument engagés dans les chantiers tortueux de l’émancipation des peuples africains et de leur diaspora. Cette unanimité, rarissime chez les intellectuels surtout dans le contexte fort trouble de la guerre froide, est des plus explicites dans ce témoignage de Marcella Glisenti : « Si je suis arrivée à comprendre et à aider les révolutions africaines, si j’ai eu l’honneur d’être l’amie de Cabral et de Neto, de Mondlane, et de Samora Machel, comme de Senghor, de Nyerere, de Kaunda et tous les grands amis qui coopèrent à la construction d’une nouvelle civilisation, c’est à Alioune Diop que je le dois ».
L’on pourrait parfaitement ajouter à cette liste Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Frantz Fanon, Malcom X et Lumumba, car rares ont été les figures emblématiques des mouvements d’émancipation et de libération de l’époque qui n’aient séjourné chez les Diop. Et comme s’il parlait au nom de tous ceux qui ont eu, de près ou de loin, à collaborer avec l’homme réputé très discret, mais fort efficace, le célèbre égyptologue sénégalais, Cheick Anta Diop, renchérit : « Alioune, tu savais ce que tu étais venu faire sur la terre : une vie entièrement consacrée aux autres, rien pour soi, tout pour autrui, un cœur rempli de bonté et de générosité, une âme pétrie de noblesse, un esprit toujours serein, la simplicité personnifiée… »
À la lecture de ces différents témoignages, sans doute la curiosité qui se fait jour est celle de savoir ce que le parcours d’Alioune Diop a de si décisif pour mériter autant de reconnaissance. Répondre à cette interrogation des plus légitimes, c’est renvoyer à ces trois actes majeurs que sont la création de la Revue Présence Africaine, de la maison d’édition du même nom et de la Société Africaine de Culture.

B/ Les maillons d’une même chaine

1947, la Seconde Guerre mondiale, avec ses milliers de morts et ses dégâts de tout ordre, vient de se terminer. Une nouvelle carte géopolitique est dessinée à partir de la Conférence de Yalta en 1945, sous la houlette des nouvelles puissances que sont les USA et l’URSS. L’Europe s’est scindée à deux : l’occident cherche à se reconstruire grâce au Plan Marshall, les pays de l’est sous le joug soviétique. Et quelles perspectives pour les colonies d’Afrique ? Les réponses sont aussi diverses que divergentes voire contradictoires !
Pour Alioune Diop, la culture est l’unique réceptacle à l’unité de tous les intellectuels acquis à la cause de l’émancipation des peuples noirs du monde entier et la reconnaissance de leur patrimoine culturel. Des sceptiques, il y en a eu ! Et même parfois des réactions allant parfois au-delà de l’adversité. Mais, le Sénégalais demeurera inflexible. Aussi, en fera-t-il la ligne directrice à partir de laquelle il va poser différents actes comme les maillons d’une seule et même chaine.
Le moment inaugural de cette singulière entreprise est la création de la revue Présence Africaine. Point n’est besoin de revenir ici sur toutes les difficultés qu’Alioune Diop et son équipe ont dû surmonter pour offrir à l’intelligentsia africaine une véritable tribune ouverte et sur leur continent et sur le monde. Nous renvoyons, à cet effet, aux ouvrages de Frédéric Grah Mel et de Philippe Verdin ,
En revanche, nous insisterons particulièrement sur le principe sur lequel Alioune Diop et ses collaborateurs ont constamment fondé l’unité, la solidité et la durabilité de leurs initiatives, à savoir permettre aux voix les plus contradictoires de bénéficier des droits à l’expression et à la publication.

Qu’elles soient du continent comme Senghor ou de la diaspora, tels Césaire, Damas, Glissant, ou Richard Wright !
Ce souci transpire dans cet extrait de son célèbre éditorial Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine : « Cette revue ne se place sous l’obédience d’aucune idéologie philosophique ou politique. Elle veut s’ouvrir à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté, (Blancs, Jaunes ou Noirs), susceptibles de nous aider à définir l’originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne ».
Deux ans après avoir porté la revue sur les fonts baptismaux et s’être assurés de sa solidité, Alioune Diop et ses amis ouvrirent un tout autre chantier, celui de l’édition. Parmi les publications de ce premier africain à devenir éditeur, l’on cite très souvent des ouvrages tels La Philosophie bantoue du Révérend Père Tempels, Le Cahier d’un retour au pays natal et Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, La crise du Muntu de Fabien Éboussi Boulaga, Capitalisme et Esclavage d’Éric Williams et Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop.

Il est évident que certains de ces textes majeurs ne pouvaient passer inaperçus, au regard de leur portée éminemment anticolonialiste. Cependant, un livre comme Les Contes d’Amadou Coumba de Birago Diop, pour ne pas être subversif, n’en est pas moins révélateur de la profondeur de la vision du fondateur de Présence Africaine.
L’enjeu de cette publication participe de la problématique générale de la transmission et de la diffusion à vaste échelle du patrimoine des Africains. Philippe Verdin précise à ce sujet : Alioune Diop et Birago Diop « transmutent une tradition orale qui pour eux va de soi, qu’ils ont entendu raconter par leurs grand’mères. Mais les générations suivantes, ces petits-enfants déracinés qui n’auront pas connu les veillées sous les baobabs, pourront ainsi s’approprier ces récits initiatiques.

Ils fabriquent une culture propre et originale mais accessible par tous dans les bibliothèques ; ils donnent ainsi à la tradition africaine la forme qui permet à la culture occidentale de lui reconnaitre une valeur : le livre . » Le concours du directeur de Présence Africaine a été d’autant plus décisif dans cette promotion de ce pan du patrimoine des Africains que le conte n’intéressait pas du tout alors les maisons d’édition occidentales.
Capitalisant sa riche expérience aussi bien dans la gestion de la revue que de la maison d’édition et tirant des enseignements de ses discussions multiformes et constantes avec ses collaborateurs, Alioune Diop prit conscience de la nécessite de franchir un nouveau pas. Ainsi, naquit l’idée d’un échange de vive voix avec une bonne partie de l’intelligentsia pour réfléchir sur la … présence des Africains et de leur diaspora dans le monde moderne.
Ce projet entra dans l’histoire sous la forme d’un Congrès mondial des Écrivains et Artistes noirs, en 1956, à la Sorbonne, à Paris. La comparaison de ce banquet culturel avec la rencontre au somment des leaders du Tiers-monde, à Bandoeng, en Indonésie, en 1955, est, à elle seule, suffisamment révélatrice du succès qu’il a connu.
Mais, dans la mesure où toute initiative menée à terme en appelle souvent une autre, Alioune Diop dut ouvrir un nouveau chantier : la création de la Société Africaine de Culture. En fait, ce projet résulte de la nécessite de rationaliser les énergies. Précisément, la multiplication des tâches a commandé la mise sur pied d’une structure dont la vocation est d’organiser des colloques, des conférences et des festivals dans la perspective du même esprit qui structure aussi bien la Revue que la Maison d’édition.
À l’actif de la SAC, ces deux rencontres historiques qui furent ses manifestations les plus emblématiques. D’abord, la tenue du second Congrès des Écrivains et Artistes Noirs, en 1959. Loin d’être réduit à une simple réédition de celui organisé trois ans auparavant à Paris, il a eu une double originalité. Il a été accueilli à Rome, précisément au Capitole, attestant du coup de l’extension du mouvement de la France vers l’Italie qui, pourtant comptabilisait une communauté noire de loin moins importante que celle de l’Hexagone. S’y était ajouté le choix du thème, « L’unité des cultures négro-africaines », plus substantiel que celui du 1er Congrès, « La crise de la Culture ».
Le second rendez-vous initié par la SAC a été l’organisation, en terre sénégalaise, du Premier Festival Mondial des Arts nègres. Tant par le pays d’accueil, par la diversité et la richesse des participations, par la nature des questions abordées que par l’esprit qui l’a enveloppé, ce banquet de la Culture est entré dans la postérité comme un évènement sans précédent. Revenant sur ce rendez-vous exceptionnel, cinquante ans après, donc avec ce recul que requiert une lecture lucide des faits historiques, Wole Soyinka écrit : « Nous avons accueilli à bras ouverts les descendants des victimes des violentes dispersions qui ont duré des siècles. Nous avons exhumé et rétabli des valeurs rejetées, négligées ou vilipendées de nos sociétés brisées. Nous avons participé à cette communion qui consistait à récupérer les voix brouillées de ce continent des mains de ceux qui s’étaient approprié le droit fondamental des indigènes, seuls gardiens légitimes de leur héritage. »
Évidemment, comme tous les hommes, notamment ceux qui se mettent au service des grandes causes, Alioune Diop a connu bien de déceptions.

Parmi celles-ci, la tournure prise par l’organisation au Nigéria du deuxième Festival Mondial des Arts Nègres n’est sans doute pas la moindre. Cependant, par ces actes fondamentaux – associés à bien d’autres, analysés ailleurs avec beaucoup plus de pertinence et des détails par des biographes du Sénégalais- Alioune Diop a réussi à relever l’essentiel des défis découlant de son idée de la culture comme lieu de synergie des énergies.
Fidèle à ce principe directeur, il a assuré une contribution irremplaçable à l’affirmation de l’identité culturelle des Noirs et à leur présence dans le monde contemporain. Ainsi, si comme le pense Philippe Verdin, « Alioune Diop est l’inventeur de l’Afrique », c’est au sens où très précisément le Fondateur de Présence Africaine, a eu « à révéler la civilisation africaine au monde, et d’abord aux Africains eux-mêmes. » Dans cette même dynamique, le poète –président avait baptisé son illustre compatriote « Le Secrétaire permanent de la Culture » .
Alioune Diop a d’autant gagné plus en notoriété que son option du vecteur culturel, en réussissant à déjouer les pièges du culturalisme, a largement favorisé l’éclosion politique du courant acquis à l’indépendance immédiate des colonies. Pour preuve, si le numéro 14 de la revue Présence Africaine, publié en 1953, est considéré comme un tournant historique ce n’est pas uniquement à cause du nombre remarquable de signatures de Noirs. Il constitue un tournant pour avoir surtout servi de tribune à ceux qui étaient parmi les plus radicaux de l’époque. Ainsi, nonobstant les autres articles tel celui du jeune David Diop, « Étudiant africain devant le fait colonial », il faut relever avec force le texte de Majhmout Diop : « L’unique issue : l’indépendance totale. La seule voie : un large mouvement d’Union anti-impérialiste. »
La portée « subversive » de cet article apparait au grand jour dès qu’on réalise qu’il constitue pratiquement l’ossature du « Manifeste » à la suite duquel le Parti Africain de l’Indépendance, d’obédience marxiste-léniniste, sera porté sur les fonts baptismaux.
C/ Du fil et de l’aiguille
Mais ce parcours, tant magnifié par nombre d’intellectuels et leaders politiques en Afrique, en Amérique et en Europe, a suscité cette interrogation : quelles sont les qualités créditées à Alioune Diop et qui lui auraient permis de négocier avec succès bien de zones de turbulence ?
Revient souvent, dans les témoignages de ses collaborateurs et ses proches, son aptitude à faire don de soi afin que l’autre soit. Ce « principe fécond de l’effacement », déjà susmentionné, trouve son prolongement dans sa remarquable capacité d’écoute, doublée d’une propension à toujours fédérer. Aussi, s’installant dans une posture presque stoïque, a-t-il prêté attention aussi bien à ceux qui sont acquis à sa cause qu’à ses contradicteurs.
Cette qualité, pense Philippe Verdin, apparait comme une conséquence de l’influence du Père Maydieu. Ce dernier, dont « la largesse de vue » avait littéralement subjugué le natif de Saint-Louis du Sénégal, écrivait entre autres : « Ce n’est pas uniquement avec ceux qui me ressemblent avec qui j’aime désormais faire route. J’ai plus besoin encore de ceux qui me sont dissemblables. Qu’ils me sont chers tous ces frères qui ont choisi d’autres routes que les miennes, routes dont je pressens la convergence. »
Cette disposition d’esprit, conjuguée à son talent d’organisateur, lui a permis de bien tenir ce rôle des plus flatteurs dans la culture africaine, à savoir celui qui « use du fil et de l’aiguille », métaphore renvoyant au fédérateur. Ainsi, à chaque étape de son parcours, il a su unir les énergies nécessaires à la réalisation des tâches. À la première séquence, il a gagné la confiance de quelques figures de proue de la Résistance française, au nombre desquels Jean Paul Sartre, Emmanuel Mounier et Georges Balandier.
Ces membres constitutifs du comité de patronage vont fortement appuyer le noyau dur de la future revue Présence Africain, composé de Jacques Rabemananjara, Paul Niger, Guy Trirolien, Gabriel Lisette, Sourou Migan Apithy, Louis Béhanzin, François Amorin, Anani Santos, Abdoulaye Ly, entre autres.
La seconde séquence est celle qui laisse apparaitre un Alioune Diop dont la volonté de nouer le dialogue et de tout régler par le dialogue est soumise à rude épreuve et par son expérience personnelle et par la trajectoire empruntée par le colonialisme. Elle sera marquée par la présence en force d’intellectuels africains, comme signalé plus haut, avec le tournant de 1953. Attentifs à l’évolution du mouvement étudiant, Alioune Diop réussira à les intégrer parmi les auteurs censés animer à la fois la revue et la maison d’édition. Parmi eux, Cheikh Hamidou Kane, Abdoulaye Wade, Douta Seck, Assane Seck ! Ce dernier, retiendra la postérité, a eu la délicate tâche de prononcer l’oraison funèbre sur la tombe du fondateur de Présence Africaine en sa qualité, à l’époque, de Ministre de la Culture de la République du Sénégal.
Il est évident qu’il a fallu à Alioune Diop une bonne dose de générosité et une expertise certaine pour réussi à fédérer à chaque étape des intellectuels de si fortes personnalités. Il en a fallu aussi pour se résoudre à se mettre au second plan, afin d’offrir à tout un chacun la possibilité de s’exprimer. Cet effacement lui a valu, entre autres, le surnom de Socrate noir. Le qualificatif, à notre connaissance, est certes de Senghor, mais repris par maints auteurs dont Philippe Verdin.
Toutefois, ce surnom mérite d’être relativisé. Si cette comparaison s’avère pertinente sous le rapport de « l’art d’accoucher les esprits », elle montre ses limites au regard du patrimoine écrit, laissé par Alioune Diop. Diriger des intellectuels, comme il est parvenu à le faire, suppose certes souplesse et fermeté, mais exige avant tout le sens de l’horizon. Celui-ci se traduit par une certaine clairvoyance qui permet de savoir où poser le pied, afin d’initier des actions hardies constituant le socle d’une démarche unitaire.

Pour s’en convaincre, il suffit de réaliser que tous les grands rendez-vous, sous la direction d’Alioune Diop, sont souvent précédés par la production de textes majeurs qui en déterminent l’esprit et en fixent les modalités. S’intègrent aussi dans ce patrimoine, toutes ces productions soigneusement élaborées à l’occasion des conférences et des colloques. Cette idée est confirmée par Marcella Glisenti : « … Dans chacune de ses pages, on retrouve sa prudence dans l’énoncé des idées, son respect de la vérité et de la recherche, son intelligence profonde de l’âme des choses. »
Conscient de la richesse de ce patrimoine, nous avions réservé le fin mot de notre intervention au panel de Nouakchott à ce vœu formulé depuis 2010 : « celui de voir les universités africaines, les centres de recherche, la Communauté Africaine de Culture et Présence Africaine mutualiser leurs ressources pour publier l’essentiel des articles, des préfaces et discours rédigés par Alioune Diop. »

D/ De l’actualité d’un engagement
Quarante ans après le décès d’Alioune Diop, notre monde est l’objet de bien de mutations. Certes, des avancées significatives sont à noter sur les domaines politique, économique, social et technologique. Mais, des contradictions majeures continuent à hypothéquer dangereusement l’espoir de voir notre globe devenir désormais un havre de paix. La logique marchande, qui irrigue la mondialisation, bouche l’horizon non sans tout réduire en termes de rentabilité, de productivité et d’employabilité. L’idéologie de « la fin des idéologies » qui a accompagné le règne de l’ultralibéralisme a disqualifié le rêve et l’utopie. Du coup, elle étouffe dans l’œuf toutes velléités de faire émerger une pensée de rupture par rapport au désordre dominant.
Et, l’actualité de Alioune Diop est indissociable du fait qu’aujourd’hui encore la culture se décline sous un double rapport. Elle fonctionne, d’abord, comme instance de la créativité qui passe par une réappropriation critique de ce que les peuples africains ont produit durant des millénaires. Cette condition réunie favorise le dialogue fécond avec d’autres civilisations dans la perspective de mettre à profit ce qu’elles ont inventé de meilleur pour en faire des biens universels. Ensuite, la culture demeure l’un des cadres les plus appropriés pour servir de réceptacle au pluralisme et à l’expression de la diversité des opinions.
Pour parvenir à détecter dans la grisaille du moment, les signes avant-coureurs d’un monde de liberté de paix et de justice sociale, s’impose la nécessité de voir clair en nous-mêmes. Ce besoin, qui se pose dans l’ordre de l’urgence, renvoie non seulement à l’engagement d’Alioune Diop mais aussi aux grandes rencontres qu’il savait initier pour poser les problèmes de l’insertion de l’Afrique dans le monde. Certes, il est loisible de rappeler l’existence de la Communauté Africaine de Culture, mais elle n’a ni l’envergure ni le dynamisme encore moins le sens de l’initiative de son ancêtre, la SAC.

On le sait, la nature a horreur du vide. Faute de structures appropriées pour organiser des débats, assortis de recommandations dont elle assure le suivi, ce sont des mobilisations par à-coups qui se voient. Ce sont de bonnes volontés, conscientes de l’urgence des échanges sur des questions déterminantes sur notre présence sur cette planète qui s’activent pour avoir quelques signatures qui ont le mérite d’inviter à la réflexion.

Pour illustration, la pertinente réponse, sous la direction du Sénégalais Makhily Gassama, de l’Afrique à Nicolas Sarkozy . Accueilli le 26 juillet 2007 au pays de Cheick Anta Diop et dans l’enceinte même de l’Université qui porte le nom de l’illustre savant, le président de la République française avait pris le parti de réchauffer devant des étudiants médusés les vieilles thèses ethnocentristes sur l’a historicité des Africains !
Dans le même esprit, plus de quatre-vingt universitaires et hommes de culture, dont Wole Soyinka et Makhily Gassama, s’adresseront, sur le modèle épistolaire, aux leaders du continent noir. Très précisément, « un large collectif d’intellectuels de différents pays d’Afrique et du monde entier interpelle les dirigeants du continent africain face à la pandémie de Covid-19, déplorant « les logiques de profit et de monopolisation du pouvoir ». Ils appellent à « repenser la santé comme un bien public essentiel », à « saisir ce moment de crise comme une opportunité afin de revoir les politiques publiques » pour la protection des populations » ;
En dépit des mutations en profondeur en cours, la configuration de notre monde confère beaucoup de fraicheur à l’œuvre d’Alioune Diop. Ainsi, l’Afrique de notre rêve restera une perspective fuyante tant que ses filles et ses fils riches de leurs différentes sensibilités, « armés de sciences jusqu’aux dents » et dotés d’éthique de la responsabilité n’échangeront pas dans des cadres autonomes pour mettre à la disposition du continent ce qu’ils auront retenu de meilleur. Dès lors, revendiquer l’héritage du fondateur de Présence Africaine consisterait entre autres à :
– S’exercer à créer des structures au moins sous-régionales pour favoriser les grands débats sur les questions qui agitent le continent. Leur mise en place est d’autant plus importante que l’implantation des universités nationales a l’inconvénient de défavoriser le brassage des étudiants de différentes nationalités. Les réseaux sociaux pourraient beaucoup contribuer à faciliter un tel commerce. Par expérience ni les universités, souvent gangrénées par la bureaucratie ni les institutions internationales, focalisées sur leur propre agenda, ne sont habilitées à créer ces structures ;
– S’évertuer à conserver notre patrimoine, à l’enrichir mais aussi à nous acquitter d’un devoir de mémoire sans être lié de quelque façon à la logique de nos États ; nous donner les moyens de célébrer les anniversaires de femmes et d’hommes qui ont sacrifié leur vie au service du continent et/ou de commémorer des évènements déterminants dans l’évolution de notre continent ;
– Encourager la collecte de documents, la récupération de manuscrits et tapuscrits et de quelques objets à même d’être versés dans notre patrimoine.
Philosophe/ Écrivain
Président de la section sénégalaise de la Communauté Africaine de Culture(CACSEN)

REPERES BIBLIOGRAPHIQUES

Boulaga, Fabien Éboussi, La crise du Muntu, Paris, Présence africaine, 1977 ;
Césaire, Aimé :
– Le Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine, 1956 ;
– Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1950 ;
Diop Cheikh Anta Diop :
– Civilisation ou Barbarie, Paris, Présence Africaine, 1981 ;
– Nations nègres et culture, Paris, Présence Africaine, 1956 ;
Gassama, Makhily, L ’Afrique répond à Sarkozy, contre le discours de Dakar, Paris, éditions Philippe Rey, 2008 ;
Glisenti, Marcella, Pourquoi cet ouvrage, in Hommage à Alioune Diop, Fondateur de Présence Africaine, édition des amis italiens de Présence Africaine, Paris, avril 2010, p.12
Mel, Frédéric Grah Alioune Diop, le bâtisseur du monde noir, Presses Universitaires de Côte d’Ivoire, ACCT, 1995, Abidjan.
Tempels Placide, La Philosophie bantoue du Révérend Père Tempels, Paris, Présence Africaine, 1949 :
Verdin, Philippe, Alioune Diop, le Socrate noir, Paris, Lethielleux, Groupe Desclée de Brouwer, 2010
Williams, Éric Capitalisme et Esclavage, Paris, Présence Africaine, 1998 ;
Diop, Alioune « Niam n’goura ou les raisons d’être de Présence Africaine », Présence Africaine N° 1 ;
Senghor, Léopold Sédar, Allocution prononcée en décembre 1980, à l’occasion du Pré-colloque du 3ème Festival Mondial des Arts Nègres (FESTAC) à l’Université de Dakar sur le thème « Dimensions mondiales de la Communauté des Peuples Noirs ».
Sy, Alpha Amadou,
– « Alioune Diop, l ’organisateur et l’intellectuel », communication présentée au Festival Littéraire, Traversées mauritanides, Nouakchott, du 05 au 09 décembre, 2010. Panel : « Hommage aux plumes posthumes : Téné Youssouf Gueye, Ousmane Moussa Diagana, Habibould Mahfoud et Alioune Diop », Salle de Spectacle du Centre Culturel Français Antoine De Saint-Exupéry.
– « Alioune Diop ou l’utopie culturelle comme moment dans la dynamique de l’émancipation politique », Université Alioune Diop, Bambey, 17/12/2013 ;

Soyinka, Wole, « À propos du 50 anniversaire du 1er Festival de la Race noire », Adresse aux participants du colloque sur Le Cinquantenaire du Premier Festival Mondial des arts Nègres, Hôtel Ngor Diarama,7-10 novembre 2016, traduction de l’anglais par Marie-Aida Diop Wane.
Aux dirigeants du continent africain : face au Covid-19, il est temps d’agir !
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/130420/aux-dirigeants-du-continent-africain-face-au-covid-19-il-est-temps-dagir
13 avril 2020, consulté le 22/05/2020.