Aïssa Maïga pose son « Regard noir » sur le milieu du cinéma.-FILM

« Il ne faut pas banaliser le regard porté sur des professionnels au nom de la couleur de peau : non à la racialisation

Une personne est une personne et c’est à nous de nous dire de nous organiser pour imposer le respect. P B CISSOKO

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  • La représentation des femmes noires à l’écran. Ce road-movie documentaire part à la recherche d’initiatives inclusives pour plus de diversité dans le cinéma. L’actrice Aïssa Maiga a notamment rencontré les cinéastes américains Ryan Coogler et Ava DuVernay, ainsi que les actrices françaises Nadège Beausson-Diagne, Sonia Rolland, Firmine Richard et Adèle Haenel.

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FRANCE 24

Sans langue de bois, l’actrice Aïssa Maïga confronte le monde du cinéma à son racisme systémique dans un documentaire, « Regard Noir », coréalisé avec Isabelle Simeoni. Un combat qu’elle avait entamé en 2018 avec la sortie de son livre, « Noire n’est pas mon métier » (éd. Seuil), suivie d’une montée des marches très symbolique au Festival de Cannes la même année, et de sa prise de parole aux César 2020 pour briser le silence sur le manque criant de diversité au cinéma.

Co-réalisé par Aïssa Maïga et Isabelle Simeoni, le documentaire « Regard noir » (Canal + le 16 mars à 22h45), voit l’actrice s’interroger sur les origines du racisme au cinéma, de la France aux États-Unis, en passant par le Brésil, et donne la parole aux concerné.e.s. Une enquête riche et nécessaire.

« Une fois, je suis arrivée sur un tournage, et on m’a dit : ‘On ne cherche pas de noire’. Je ne savais pas qu’être noir•e est un rôle », s’étonne l’actrice française noire Sabine Pakora (Black snake). Elle est l’une des nombreuses actrices noires prenant la parole dans Regard noir, un documentaire co-réalisé par l’actrice Aïssa Maïga (Bamako, Il a déjà tes yeux), qui le narre et le porte, et Isabelle Simeoni. Il est diffusé sur Canal + ce mardi 16 mars, à 22h45.

Ce documentaire d’1h15 mélange ces témoignages forts, à une enquête d’Aïssa Maïga à travers plusieurs pays, pour comprendre les origines de ce racisme, déceler ses expressions en donnant des outils de compréhension, et réfléchir aux solutions possibles. Regard noir explore ainsi les imbrications entre culture et société, et tend des responsabilités : à la culture de montrer une plus grande diversité, pour qu’à son tour, la société s’y habitue, évolue en ce sens, et demande ensuite à la culture de le faire encore davantage.

Un message dans la lignée du combat porté depuis plus de vingt ans par Aïssa Maïga, l’une des voix du manifeste Noire n’est pas mon métier. L’actrice a aussi marqué les César 2020 avec un discours puissant dénonçant le racisme du cinéma français.

Des rôles stéréotypés, découlant de biais racistes

Ce racisme est visible par le peu d’acteurs et actrices noir•e•s à l’écran, de cinéaste noir•e•s derrière la caméra, mais aussi, par le genre de rôles qui leur sont majoritairement proposés. Des rôles caricaturaux, venant renforcer des stéréotypes.

Pour Regard noir, deux générations d’actrices, dont certaines ayant participé au manifeste Noire n’est pas mon métier, font part de leur frustration face à cette situation figée, cette prise de conscience et ces remises en question qui n’arrivent pas en France.

Assa Sylla explique : « Je n’ai pas envie qu’on m’appelle que pour faire la fille au tempérament dur. » Firmine Richard fustige quant à elle les rôles de femmes de ménage auxquels on a longtemps voulu l’assigner. Tandis que Maïmouna Gueye dénonce une « image figée », comme si « l’Africain ne pouvait jouer qu’un certain genre. » « Ils ne veulent pas utiliser autre chose de moi », déplore-t-elle.

Je n’ai pas envie qu’on m’appelle que pour faire la fille au tempérament dur.

Les témoignages de ces femmes passionnées par leur métier, avides de rôles à leur hauteur, attestent, puisqu’il le faut malheureusement encore, du manque de diversité criant du cinéma français, mais pis encore, de son racisme lancinant. Se dégage un sentiment commun de gâchis, et l’impression que des générations d’acteurs et actrices noires ont été sacrifiés.

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Les biais sont pluriels, reflets d’attentes contradictoires, basées sur un imaginaire exotisant des personnes noires. La journaliste et autrice Rokhaya Diallo, aussi interrogée, le remonte, en ce qui concerne la France, aux « expositions coloniales » du début du XXe siècle, où des personnes racisées ont été exposées, comme des animaux, en plein Paris, dans des « zoos humains ». « L’imaginaire colonial, esclavagiste, a construit les noirs comme des corps sauvages et puissants, car non maîtrisés », explique-t-elle.

Une peur socialement et culturellement construite, qui a traversé l’Histoire, et a mené à des pratiques aussi racistes que la Blackface (à l’époque, des acteurs blancs se grimaient avec de la peinture noire pour imiter des personnes racisées). On en retrouve encore l’empreinte dans le fait que les acteurs noirs français sont encore souvent cantonnés à des rôles comiques, ou à des drames sociaux, observe Aïssa Maïga, qui sont « rassurants » pour l’inconscient collectif.

« En France, où sont les films sur la colonisation ? », s’interroge par ailleurs Rokhaya Diallo. « On n’arrive pas à se raconter, ni en temps réel, ni avec des décennies d’écart », regrette-t-elle, là où le cinéma états-unien a déjà plusieurs fois exploré le passé esclavagiste de son pays.

Le rôle social du 7e art

Le documentaire signale que ce manque de diversité à l’écran contraste avec les mouvements sociaux menés hors des salles de cinéma.

Les manifestations anti-racistes se sont multipliées dans de nombreux pays face aux crimes haineux, dont en France, notamment à travers l’affaire Adama Traoré, et les répercussions de l’affaire George Floyd. « Les gens qui ne voulaient pas voir ce qu’ils pensaient être de l’ordre du fantasme d’une communauté noire, toujours dans des discours victimaires, aujourd’hui, ils le voient », remarque Sonia Rolland (Tropiques criminels).

Aux États-Unis, le mouvement #BlackLivesMatter accompagne aussi l’avènement d’une nouvelle génération racisée qui dénonce les violences qu’elle subit, veut se faire entendre, et se voir à l’écran.

Là-bas, Aïssa Maïga rencontre plusieurs grands noms du cinéma noir. Comme Ava Duvernay (Dans leur regard), Oscarisée pour son documentaire The 13th (Netflix), Ryan Coogler (réalisateur de Black Panther) ou encore, l’acteur britannique Chiwetel Ejiofor (Twelve Years A Slave, Le garçon qui domptait le vent).

Si ces figures constatent une amélioration récente notable, et célèbrent leur fierté de faire un cinéma qui porte les causes anti-racistes et amène à plus de diversité, elles savent que la route est encore très longue.

Le documentaire diffuse ainsi un extrait d’interview où Viola Davis (How To Get Away With Murder), multi-primée aux cérémonies les plus prestigieuses, dit qu’elle a beau être décrite comme la « Meryl Streep noire », elle demeure beaucoup moins payée qu’elle, et ne se voit pas offrir autant de rôles.

On utilise notre imagination pour créer un monde qui n’existe pas.

En 2015, le racisme systémique du cinéma a été mis en lumière par le mouvement #OscarsSoWhite, dénonçant le manque criant de diversité dans les nominations, et notamment, pour le film Selma, film biographique sur Martin Luther King Jr, d’Ava Duvernay.

Depuis, l’Académie des Oscars s’est renouvelée pour être plus paritaire et inclusive, et le règlement pour le choix des nominations a inclus la diversité comme nouveau critère. « On utilise notre imagination pour créer un monde qui n’existe pas. Artistes et activistes marchent main dans la main », plaide la cinéaste, devenue membre du conseil de gouvernance des Oscars.

« Nous évoluons dans un monde post-colonial », abonde Ryan Coogler. « Le débat sur la diversité est un questionnement sur qui raconte les histoires, et qui peut les raconter. Chacun devrait pouvoir raconter ses propres histoires. »

Aïssa Maïga enquête aussi au Brésil où, malgré la part importante de la population noire, le cinéma est encore très peu ouvert aux acteurs et actrices noir•e•s. Là aussi, le reflet d’un racisme très imprégné dans la société brésilienne.

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Plaidoyer en faveur des quotas

Plusieurs interlocuteurs, notamment des directeurs et directrices de casting, le rappellent : l’argent est le nerf de la guerre dans le 7e art, en France et à l’étranger. Aussi bien pour financer des films, qu’avoir accès à ce milieu très inégalitaire et précaire.

Avec son succès colossal au box-office (plus d’1,3 milliard de dollars), Black Panther a notamment participé à montrer aux gros studios qu’un film porté par un casting presque entièrement noir peut attirer les foules, et rapporter gros.

Deux solutions sont notamment avancées pour aller vers plus d’équité et de diversité : recourir aux quotas, débat houleux en France, et mettre en place plus de castings ouverts à toutes les carnations.

« On ne peut pas attendre que le noir soit le seul à rééquilibrer notre place dans la société. Les blancs ont encore la clé du jeu, ils ont besoin de faire ce travail à nos côtés, et pas juste de se croire contre le racisme, mais de devenir des acteurs de l’antiracisme », défend aussi la conférencière Alexandra Loras.

Regard noir, documentaire d’Aïssa Maïga et Isabelle Simeoni, coproduction Zadig Productions & Nolita TV, diffusé sur Canal + le 16 mars, à 22h45

« Regard noir » : Aïssa Maïga confronte le cinéma à son racisme

Par Morgane Giuliani

Publié le 16/03/2021 à 08:00

Co-réalisé par Aïssa Maïga et Isabelle Simeoni, le documentaire « Regard noir » (Canal + le 16 mars à 22h45), voit l’actrice s’interroger sur les origines du racisme au cinéma, de la France aux États-Unis, en passant par le Brésil, et donne la parole aux concerné.e.s. Une enquête riche et nécessaire.

« Une fois, je suis arrivée sur un tournage, et on m’a dit : ‘On ne cherche pas de noire’. Je ne savais pas qu’être noir•e est un rôle », s’étonne l’actrice française noire Sabine Pakora (Black snake). Elle est l’une des nombreuses actrices noires prenant la parole dans Regard noir, un documentaire co-réalisé par l’actrice Aïssa Maïga (Bamako, Il a déjà tes yeux), qui le narre et le porte, et Isabelle Simeoni. Il est diffusé sur Canal + ce mardi 16 mars, à 22h45.

Ce documentaire d’1h15 mélange ces témoignages forts, à une enquête d’Aïssa Maïga à travers plusieurs pays, pour comprendre les origines de ce racisme, déceler ses expressions en donnant des outils de compréhension, et réfléchir aux solutions possibles. Regard noir explore ainsi les imbrications entre culture et société, et tend des responsabilités : à la culture de montrer une plus grande diversité, pour qu’à son tour, la société s’y habitue, évolue en ce sens, et demande ensuite à la culture de le faire encore davantage.

Un message dans la lignée du combat porté depuis plus de vingt ans par Aïssa Maïga, l’une des voix du manifeste Noire n’est pas mon métier. L’actrice a aussi marqué les César 2020 avec un discours puissant dénonçant le racisme du cinéma français.

Des rôles stéréotypés, découlant de biais racistes

Ce racisme est visible par le peu d’acteurs et actrices noir•e•s à l’écran, de cinéaste noir•e•s derrière la caméra, mais aussi, par le genre de rôles qui leur sont majoritairement proposés. Des rôles caricaturaux, venant renforcer des stéréotypes.

Pour Regard noir, deux générations d’actrices, dont certaines ayant participé au manifeste Noire n’est pas mon métier, font part de leur frustration face à cette situation figée, cette prise de conscience et ces remises en question qui n’arrivent pas en France.

Regardez « Aïssa Maïga pose son « Regard noir » sur le milieu du cinéma » sur YouTube

https://youtu.be/XR0VxpqYn6s