Deux mois après les révélations explosives de la Cour des comptes sur la gestion calamiteuse des finances publiques entre 2019 et mars 2024, la machine judiciaire s’est enfin mise en branle. Le ministère public ne veut plus rester spectateur face aux dérives documentées noir sur blanc dans le rapport final de la juridiction financière. Ce 17 avril 2025, le Procureur de la République financier, El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla, a annoncé l’ouverture d’une enquête. En ligne de mire : plusieurs anciens ministres de l’Économie et des Finances.
L’alerte est venue du sommet. Le 3 avril, le Premier président de la Cour des comptes a transmis un référé accablant au ministre de la Justice via le Procureur général près la Cour d’appel. Ce document, qualifié de « lourd de conséquences pénales », a déclenché l’intervention immédiate de la Division des investigations criminelles (DIC), saisie le 14 avril. Objectif : faire la lumière sur ce que la Cour appelle désormais « une gestion en marge de la légalité républicaine ».
Un trou de près de 670 milliards FCFA dans les recettes fiscales
Derrière les beaux discours budgétaires, la réalité est beaucoup moins reluisante. Le rapport montre que l’État a laissé s’accumuler près de 670 milliards FCFA de recettes non recouvrées. Des créances fiscales oubliées, des droits de douane non perçus, des procédures bâclées : la gestion des ressources de l’État a été tout sauf rigoureuse.
Et le pire : les services des Douanes et des Impôts n’ont même pas pu fournir des données fiables sur les exonérations fiscales pour 2022 et 2023. Une opacité intolérable quand on sait que les exonérations ont explosé, atteignant 1 481 milliards FCFA en cinq ans.
Sukuk 2022 : 114 milliards FCFA introuvables
Mais l’affaire la plus choquante reste l’emprunt obligataire de 2022. Présenté comme un montage islamique « vertueux », ce sukuk s’est transformé en gouffre financier. La Cour des comptes dénonce un virement opaque de 247 milliards FCFA sur un compte dont l’ouverture n’a jamais été formalisée. Sur cette somme, seuls 90 milliards sont retournés au Trésor. Le reste, soit 157 milliards, s’est volatilisé. Aujourd’hui encore, 114,4 milliards restent sans explication. Silence radio du côté des anciens ordonnateurs.
Endettement, comptes truqués et incohérences à la pelle
Entre 2019 et 2023, les dépenses publiques ont explosé, atteignant 21 007 milliards FCFA, tandis que la masse salariale bondissait de 75 %. Mais ces chiffres cachent de graves irrégularités. L’État a transféré 2 562 milliards FCFA à des structures sans existence juridique. Des entités fantômes, des SNPE, qui ont avalé près d’un tiers des fonds publics… en toute illégalité.
Quant aux chiffres officiels sur la dette, ils ne collent pas. L’écart entre les montants déclarés par le gouvernement et ceux vérifiés par la Cour dépasse les 80 milliards FCFA. Même chaos sur les comptes bancaires : un différentiel de plus de 100 milliards FCFA sur les disponibilités enregistrées. L’État semble avoir perdu la trace de son propre argent.
Un crédit de 105 milliards FCFA passé en douce
La gestion s’apparente parfois à une véritable opération clandestine. En janvier 2022, l’État a contracté un prêt de plus de 105 milliards FCFA auprès d’une banque privée, sans en informer l’Assemblée nationale ni préciser l’objet de l’emprunt. Les fonds n’ont jamais transité par le Trésor. Et pourtant, 80 milliards ont déjà été remboursés, dans un flou comptable total. Ce prêt fantôme a ensuite été camouflé dans une autre levée de fonds de 200 milliards FCFA. Du maquillage financier digne d’un thriller.
481 milliards de dépenses irrégulières
Entre crédits non budgétisés, comptes spéciaux alimentés sans couverture, et dépenses invisibles, les décaissements irréguliers atteignent la somme astronomique de 481,42 milliards FCFA. Ce chiffre effarant remet en cause tout le discours sur les « excédents budgétaires ». La Cour rectifie : il ne resterait en réalité que 123 milliards FCFA, contre 604 milliards initialement annoncés.