Balai traditionnel face à la modernité – Au Sénégal, dès les premières lueurs de l’aube, les femmes, munies de balai, nettoient concessions et ruelles. Même si le balai moderne est plus utilisé, force est de reconnaître que celui traditionnel résiste.
Bés Bi le Jour | Adama Aïdara KANTE |
Au Sénégal, dès les premières lueurs de l’aube, les femmes, munies de balai, nettoient concessions et ruelles. Même si le balai moderne est plus utilisé, force est de reconnaître que celui traditionnel résiste toujours.
7 heures passées de quelques minutes. A l’est une couleur orangée montre le soleil en plein gésine. Il accouchera bientôt de ses premiers rayons qui viendront sécher la rosée matinale. Comme d’habitude, les femmes se lèvent avec l’astre pour démarrer les tâches ménagères. La première chose à laquelle elles s’adonnent souvent : balayer la cour de la maison. Et beaucoup utilisent encore le balai traditionnel à manche. Ce balai artisanal est un emblème domestique et féminin. Beaucoup de garçons qui ont tenté de balayer ont été souvent réprimandés par leurs parents. Parce que la société en a fait une affaire de femme. Dans tous les cas, ce balai résiste toujours au temps malgré l’usage de plus en plus fréquent des balais modernes. Mère de trois enfants, Absa Mbane est fidèle à son balai traditionnel car, d’après elle, «les tiges du balai traditionnel ont une connotation qui rassemblent et protègent la famille». Mme Faye, première épouse d’une famille polygame, de teint clair, taille élancée, drapée d’un «meulf» rouge blanc, renseigne qu’elle utilise trois sortes de balais : un balai long pour nettoyer les artères, la voie publique, un autre avec manche pour la maison et un balai court pour les toilettes. «Ce n’est pas parce que je refuse la modernité où j’aime me fatiguer, mais le balai local à ses secrets que les jeunes d’aujourd’hui ignorent. Non seulement c’est écolo mais également ça protège», insiste-t-elle.
«Avec le balai en plastique, il y a toutes sortes de maladies»
Dans une autre maison sise à Keur Mbaye Fall, Yaye Fall plus connue sous le pseudo de «Mère diamant noir» est catégorique. Chez elle, c’est le balai traditionnel la vedette de la propreté. «Ici, personne n’ose utiliser le balai moderne. Je ne badine pas avec ça et mes belles-filles le savent très bien. Les brindilles du balai viennent du sorgho et qui parle de sorgho fait référence à l’abondance. Nettoyer sa maison avec ses tiges peut rendre la maison prospère», explique-t-elle avec assurance. Elle poursuit : «Depuis que nous avons commencé à utiliser le balai en plastique, il y a toutes sortes de maladies, il y a des tensions dans les foyers, maintenant, c’est la précarité dans les familles. Revenons à l’orthodoxie et croyons à nos traditions que nous ont léguées nos grands-parents». La soixantaine consommée, Binetou Sarr, chapelet à la main droite, intervient dans la discussion et étale ses connaissances sur le sujet. Elle fait une révélation. «Beaucoup de mariages ne durent pas parce qu’on refuse la tradition. Au temps, lorsqu’une femme regagnait son domicile conjugal l’ustensile qu’on lui remettait en premier, c’était le balai et la calebasse qu’on appelle (lawtaan)», rappelle la dame, tout en regrettant que cette tradition soit négligée de nos jours. «Notre balai local résiste et continuera à résister au temps car celui dit cantonnier est éphémère», dit-elle.
Quand la nouvelle génération opte pour la modernité
L’histoire du balai n’est pas seulement l’affaire des mères de famille mais les vieux aussi ont leur grain de sel. Trouvé en train de nettoyer son enclos de moutons à l’aide d’un balai artisanal, Idrissa Goudiaby loue les qualités de cet outil. Selon lui, le balai artisanal est meilleur que celui dit cantonnier, privilégié par la nouvelle génération. «Les jeunes d’aujourd’hui sont des partisans du moindre effort. Ils ne savent pas que le balai local provient de la Casamance et renferme beaucoup de bienfaits et de secrets. Ces tiges étaient une sorte de preuve de souvenir des récoltes fructueuses. Mieux, elles étaient même un symbole de fertilité», se remémore le vieux Idrissa Goudiaby. Cependant, la nouvelle génération ne croit plus à ces pratiques ancestrales et parle de l’évolution du monde. Pour le jeune couple Sène, cela est révolu. «Quand je regagnais le domicile conjugal, on m’a donné un gros balai que je devais utiliser uniquement pour ma chambre pour, disaient mes parents, conjurer le mauvais sort. Mais moi, je ne l’ai utilisé que rarement. C’est mon mari qui m’a dit : ‘’tu enlèves ce balai de la chambre où tu sors de la chambre.’’ Quand ma mère l’a su, elle était dans tous ses états, mais après je me suis dite que ce sont des futilités. J’ai 12 ans de mariage Alhamdoulillah, je vis bien avec ma petite famille. Et pourtant j’utilise le cantonnier car je ne peux pas me courber pour balayer», explique Mme Sène.
«Le balai moderne nous évite les maux de dos»
Dibor Ndour est femme de ménage dans une entreprise. De son côté, elle dit : «Pourquoi vouloir se fatiguer alors que la modernité a tout réglé. Cela fait des années que je n’utilise plus ce balai local, si ce n’est que pour laver les carreaux des toilettes», insiste la dame habillée en robe Wax. «Moi, je ne connais pas le balai local car chez mes parents, on utilise que les balais cantonniers. Car c’est plus pratique, et ça nous évite les maux de dos. Nos grands-parents n’avaient pas le choix, c’est pourquoi ils utilisent le balai local. Franchement, dites-moi qui veut souffrir ?», s’interroge Fanta Sall Mbaye, roulant les yeux, les mains autour des reins. La jeune fille de poursuivre : «Je suis persuadée que certaines courbatures étaient dues au balai traditionnel, car elles se courbaient à tout moment pour balayer toute une maison, et souvent de grandes. Maintenant tout cela est révolu, on fait de faux ongles pour faire le ménage tranquillement car nous sommes modernes. Même les serpillères sont révolues. Les balais étaient donc une sorte de preuve ou de souvenirs des récoltes passées et fructueuses» renchérit-elle par un sourire.
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