« Le PR A SY pense juste, il dit juste et analyse juste sans tricher, pour éclairer et indiquer les possibilités et stopper les manquements, les limites et dérives qui frappent le pays, les populations, les institutions, la République la Nation. Il pense la globalité sans se fixer pour manifester sa liberté de penseur actif. Le retour du même ie que rien que n’a évolué, tout est comme nul …je pensais que chaque fait est une école , apprendre analyser et tirer les leçons pour progresser vers l’avant non ici on recule on on « progresse en reculant » -comment comprendre » » P B CISSOKO
Dans sa préface à notre ouvrage, Le 23 juin ou la souveraineté reconquise, Mame Less Camara, restituant l’esprit de cette mémorable journée, écrit : elle « marque un type d’intervention populaire inédit dans le processus électoral sénégalais, en refusant l’adoption par vote parlementaire d’un ticket électoral qui s’inscrivait clairement dans la mise en place d’un mécanisme de dévolution du pouvoir, donc de confiscation et de détournement de la volonté générale ». Au Pr Ibrahima Thioub de renchérir : « « Il n’y a jamais eu une manifestation d’une telle ampleur dans l’histoire politique du Sénégal ».
La forte charge citoyenne du 23 juin, l’esprit républicain qui a présidé à la confirmation, par les urnes, du verdict de la rue en mars 2012 et l’espérance suscitée par cette séquence de l’histoire politique du Sénégal avaient laissé penser que la question du troisième mandat serait l’objet d’un enterrement de premier plan. Sous l’éclairage du cours politique, il se donne à lire que, dix ans après les chaudes manifestations du 23 juin, ni la débauche d’énergie citoyenne ni l’éthique républicaine voire la simple rationalité politique, n’ont contribué à faire dorénavant de cette question du troisième mandat un impensable politique.
Bien vrai que le Président Macky Sall n’a pas encore franchi le rubicond en se dédisant publiquement, toutefois il a posé un certain nombre d’actes que des analystes, des membres de la société civile et les militants de formations politiques d’opposition considèrent comme des signes avant-coureurs de son retour sur son engagement public de ne pas briguer un troisième mandat. Nous renvoyons le lecteur aux publications consacrées à ce sujet, au nombre desquelles nos deux articles La question du troisième mandat ou l’éthique républicaine confrontée à la ruse politicienne et Nous remettre en cause, afin de ne pas compromettre notre projet républicain.
Cette question du troisième mandat et toutes les perversions qui corrodent le système politique sénégalais semblent s’inscrire dans la logique du retour du même où les acquis les plus consistants ont la durée de vie d’une rose. Dès lors, la curiosité est de savoir qu’est- ce qui, au-delà des limites intrinsèques au projet démocratique lui-même, constitue un véritable goulot d’étranglement qui hypothèque la maturation de la démocratie sénégalaise.
Le Sénégal, pour avoir miraculeusement conjuré le syndrome du pouvoir kaki et instauré, dès 1981, le multipartisme intégral, a été considéré comme la « vitrine de la démocratie » en Afrique de l’ouest.
Légalement porté à la magistrature suprême, en vertu de l’article 35 faisant du Premier ministre le successeur du président Senghor démissionnaire, Abdou Diouf, en quête de légitimité républicaine, organisa le scrutin de février 1983 avec un couplage des législatives avec la présidentielle. Mais en l’absence d’isoloir et de cartes d’identification, la fiabilité de ces consultations en prit un sacré coup. La fraude était suffisamment massive pour inciter Cheick Anta Diop, leader du RND qui avait fait les frais de la limitation arbitraire des partis par Senghor, à refuser de siéger à l’Assemblée nationale.
De l’entrée en scène violente d’une jeunesse, d’autant plus désespérée qu’elle n’avait pas encore été préparée à faire de la carte électorale son arme, conjuguée aux proportions surréalistes qu’avait prise la fraude, résulteront les rudes confrontations postélectorales de 1988. Le pouvoir, systématiquement acculé, eut recours au bâton pour contrôler l’espace politique. Ainsi, des leaders emblématiques de l’opposition politique, notamment Abdoulaye Wade et Amath Dansokho, seront embastillés.
En 1993, en dépit de l’adoption enthousiaste d’un code qualifié de consensuel et la présence inédite d’observateurs internationaux, le syndrome de la contestation postélectorale ne fut pas jugulé. Pire, le système électoral sénégalais manifesta toute sa porosité en étalant son incapacité à empêcher l’organisation d’une fraude massive, au nez et à la barbe des bien respectables observateurs.
L’intensité de la contestation a été telle que le Président du Conseil constitutionnel, Mr Kéba Mbaye, décida de rendre sa démission presque à l’ultime phase du processus électoral. Cette démission du Juge électoral a été d’autant plus significative qu’il avait, lui-même, présidé la Commission cellulaire devant rédiger le code de 1992. Et pour ne rien simplifier, cette crise trouvera son prolongement dans ce fait rarissime dans les mœurs politiques sénégalaises, à savoir l’assassinat de Maitre Babacar Sèye qui venait d’être à peine nommé au poste laissé vacant par le Magistrat Kéba Mbaye.
À considérer que 1993 clôt le cycle des fraudes à des échelles surréalistes, il reste que les contestations postélectorales lui survivront. Sous les effets conjugués de luttes politiques, de l’expression larvée de la conscience citoyenne et des retombées du Sommet de La Baule de juin 1990, Abdou Diouf parviendra à élaborer un cadre institutionnel un tant soit peu propice à l’expression démocratique.
Toutefois, les immenses enjeux de la conservation du pouvoir vont être à la base d’un glissement opéré au niveau du contentieux électoral. Ainsi la question du fichier électoral va devenir pendant trois bonnes décennies le lieu de cristallisation de toutes les crises pré comme post électorales.
Lors des législatives de 1998, l’alerte fut donnée suite à une insolite coïncidence entre l’amendement Niadiar Sène, portant le nombre de député de 120 à 140, et l’existence d’un surplus de 11 0000 voix que le fichier ne parvenait pas à résorber. Mais le cours politique révèlera que cette incohérence du fichier électoral ne l’était qu’en apparence. En vérité, elle résultait d’une logique politique qui cherchait à faire gagner au parti socialiste une majorité confortable au moment où sa population électorale ne cessait de se rétrécir.
Édifiée par cette expérience, l’opposition politique, faute d’avoir un candidat unique créera des cadres unitaires, dont le Front pour la régularité et la transparence des élections (FRTE). Sur toile de fond d’une crise multiforme, avec le concours des différents démembrements de la société civile et l’engagement de citoyens lambda de plus en plus ouverts sur les questions de la cité, les partis politiques, coalisés autour de Maitre Abdoulaye Wade, réalisèrent, le 19 mars 2000, la toute première alternance politique au Sénégal.
Certes, aujourd’hui encore, le fichier demeure un des points d’achoppement entre le pouvoir et l’opposition. Cependant, sous bien des rapports, cette focalisation sur la fiabilité du fichier est sujette à caution, en tant qu’il a servi de support aux locales de 2009 et à la présidentielle de 2012.
En tout état de cause, le Pape du Sopi, conscient qu’il a hérité d’un système électoral de moins en moins poreux, a préféré changer de mécanisme de conservation du pouvoir. Il s’
agit du tripatouillage constitutionnel qui a été une des thématiques traitées dans notre ouvrage L’espace politique de l’Afrique francophone 25 après le Sommet de La Baule. Et très précisément, la dernière tentative, assortie du projet de dévolution monarchique du pouvoir, a engendré cet acte de reconquête de la souveraineté des Sénégalais que symbolise le 23 juin.
Aujourd’hui, le spectre du troisième mandat qui hante le quotidien de beaucoup de Sénégalais participe du retour du même. Cette récurrence des perversions qui parasitent le cours démocratique ne traduit pas une quelconque malédiction encore moins une supposée inaptitude du peuple sénégalais à s’approprier de l’idéal démocratique. Elle témoigne plutôt d’une contradiction beaucoup plus structurante : le projet d’ancrer le pluralisme politique dans une économie de rente.
Au Sénégal, avec l’absence de grands agriculteurs et de capitaines d’industrie, l’espace du pouvoir reste la principale, voire l’unique source d’accumulation de richesses. Partant, à la faveur du démantèlement des sociétés nationales, l’espace présidentiel est devenu le lieu d’une poussée démographique antinomique aux exigences de la gouvernance vertueuse. Ce n’est donc pas un hasard si, depuis plus de trois décennies, aucun régime n’a pu honorer son engagement à se passer du Sénat et du Conseil économique, à mettre un terme au cumul des mandats et à réduire la taille de l’attelage gouvernemental. Or, ce mode d’accumulation, qui alimente le clientélisme et la corruption, parasite le développement économique qui sert de réceptacle au jeu démocratique.
Pour preuve, avec un taux de mortalité de 72%, les PME, regrette Babacar Diagne, restent confrontées « à l’accès aux marchés publics et à la dette intérieure de l’État, tellement colossale qu’elle plombe » leur trésorerie. On pourrait multiplier les exemples avec le bradage des ressources foncières, minières et halieutiques. Dès lors, l’urgence de tout pouvoir – actuel ou à venir – est de développer les sciences et les techniques, de révolutionner les moyens de communication et de garantir les droits humains sur toile de fond de promotion du patrimoine culturel. Telle est l’une des conditions afin de garantir au Sénégal la chance de relever le défi démocratique, tout en faisant face à la féroce compétition que lui impose la mondialisation que meut la logique froide du marché.
Ce pari met en demeure la classe politique, dans son entièreté, à faire preuve de plus de principe que d’appétit. Commémorer le 23 juin et, dans le même mouvement, rendre hommage à tous ceux qui ont payé un lourd tribut pour un Sénégal meilleur, reviennent à faire de ce pari pour l’avenir une utopie toute positive.
Philosophe/ écrivain