On éprouve parfois quelques difficultés à situer spontanément la Tanzanie sur la carte de l’Afrique. Elle est en effet « enclavé » entre le Kenya, l’Ouganda au Nord, le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo à l’Ouest, la Zambie et le Malawi au sud-ouest et le Mozambique au Sud. C’est dire si ses frontières avec les pays voisins sont multiples. Il ne faudrait pas non plus oublier que ce pays deux fois plus grand que la France, compte près de soixante millions d’habitants, essentiellement des Bantous. A noter encore que ce pays, né au lendemain de l’indépendance, de l’union du Tanganyka et de Zanzibar est membre du Commonwealth depuis 1961.
Si j’ai souhaité en parler ce midi avec notre invité, Ibrahima Thiam, président du mouvement d’opposition sénégalais « Un Autre Avenir », c’est que ce pays vient de porter à sa présidence la première femme de son histoire. Un évènement inédit, assez peu commun, pour être salué comme il convient.
- Ibrahima Thiam : Que pensez-vous de l’accession à la présidence de la République de Samia Sulu Hassan, qui certes n’a pas été élue mais qui, en sa qualité de vice-présidente, vient de succéder à John Magufuli, décédé voici peu dans ses fonctions ?
- Je vous félicite JY. Duval pour le choix de ce thème pour notre émission « Cartes sur table » car en effet à 61 ans, voici une femme qui rejoint le cercle très fermé sur le continent, et même dans le monde, des femmes devenues chef d’Etat. C’est assez rare pour être salué comme il convient, même si Samia Suluhu Hassan n’est pas une inconnue pour la population tanzanienne ni pour les instances internationales. Celle qui vient de prêter serment au palais, à Dar es Salaam, occupait en effet le poste de vice-présidente, ce qui était déjà une première dans le pays, et il lui revient maintenant d’occuper la présidence pour la période restante du mandat de cinq ans, c’est-à-dire jusqu’en 2025. Elle a ainsi quatre ans devant elle pour mettre en œuvre ses idées, notamment pour l’émancipation des femmes tanzaniennes.
- Je précise que, c’est elle qu’est revenu le soin d’annoncer le décès du président qui n’apparaissait plus sur le devant de la scène politique depuis plusieurs semaines. Et j’ajoute aussi que cette mère de quatre enfants sera l’une des deux seules femmes actuellement au pouvoir en Afrique, avec l’Ethiopienne Sahle-Work Zewde. A la seule différence, que les fonctions de cette dernière sont honorifiques, ce qui ne sera pas son cas. Je connais votre attachement, Ibrahima Thiam, à la cause des femmes en Afrique, et cette arrivée à la magistrature suprême représente tout un symbole, que vous inspire-t-elle ?
- Vous avez raison Jean-Yves Duval, c’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur et vous me donnez l’occasion de rappeler que dans mon premier livre « Un nouveau souffle pour le Sénégal », j’ai consacré un chapitre entier à ce sujet. J’y indiquais que la femme sénégalaise avait gagné en indépendance et en autonomie toutes ces dernières années, au point d’être présente dans tous les domaines économiques, que ce soit les secteurs du commerce, de l’agriculture, de la micro-entreprise, et dans certains foyers il n’est pas rare qu’elle tienne le rôle traditionnel de l’homme. Par ailleurs, en matière politique Abdoulaye Wade a introduit l’égalité entre les hommes et les femmes en obligeant au respect de la parité dans les collectives locales, ainsi qu’au Parlement où il y a 50% d’hommes et 50% de femmes à siéger et à légiférer. C’est un pourcentage que peu de pays occidentaux et européens peuvent se prévaloir. Et de ce point de vue l’arrivée au pouvoir d’une femme en Tanzanie va faire progresser la cause féminine sur le continent africain. Les barrières du sexisme tombent ainsi progressivement, les unes après les autres et je m’en félicite.
- Revenons si vous le voulez bien à la Tanzanie, sujet qui nous occupe aujourd’hui. Voici donc une femme musulmane, qui est née à Zanzibar, alors qu’on sait que cet archipel a toujours eu des relations houleuses avec la Tanzanie continentale, n’y voyez-vous pas là une sorte de pied de nez à l’histoire ?
- Vous pourriez ajouter qu’elle est originaire d’une famille modeste, dont le père était instituteur et la mère femme au foyer, ce qui ne l’a pas empêché d’acquérir un Master en « développement économique communique » qu’elle a en partie obtenu à l’université du New-Hampshire aux Etats-Unis. Zanzibar en effet a longtemps été un sultanat indépendant, qui a ensuite connu une période révolutionnaire, avant d’intégrer la Tanzanie dans les années 1960, au moment de son indépendance, après que ce pays ait connu la colonisation allemande et Britannique. Les difficultés auxquels vous faites allusion ont trouvé leur origine dans des difficultés d’intégration entre Dar Es Salaam et Zanzibar, difficultés liées à des problème d’immigration, d’identité. Au fil du temps les conflits se sont apaisés dans la région et ont disparu avec l’établissement d’une République unie qui a harmonisé les systèmes politiques. Mais vous avez raison, de temps en temps on a vu ressurgir un climat de contestation, une relation ambigüe, une forme de résistance de Zanzibar face au gouvernement central puis les choses sont progressivement rentrées dans l’ordre, quand bien même tout n’est pas parfait.
- Après avoir été longtemps une fonctionnaire onusienne, la nouvelle présidente a entamé une carrière politique dans les années 2000, en entrant au Parlement de Zanzibar, puis un peu plus tard à l’Assemblée nationale tanzanienne ….
- …. Oui, sans oublier qu’elle a aussi été plusieurs fois ministre, à Zanzibar pour commencer, comme ministre des femmes, de la jeunesse, du tourisme et du commerce, puis au niveau national. Par ailleurs depuis plusieurs années, elle incarnait, en tant que vice-présidente, le visage de la Tanzanie à l’étranger, où elle représentait régulièrement le président Magufuli.
- On dit d’elle aussi, qu’elle est une ardente défenderesse de l’environnement …
- C’est exact, elle a d’ailleurs fait interdire l’usage des sacs plastiques, ce qui en Afrique, n’est pas une mince affaire. Femme de caractère, elle a eu quelques fois des « mots » avec le président quand elle ne partageait pas certains de ses choix ou décisions, mais elle lui est restée loyale jusqu’au bout.
- Est-ce que l’on connaît d’ores et déjà quelques-unes des orientations qui seront les siennes au cours des prochains mois ?
- Elle va sans doute vouloir modifier sensiblement l’image autoritaire qu’avait impulsé son prédécesseur. Celui-ci avait en effet muselé l’opposition et combattu les défenseurs des droits et les médias. A son crédit on peut dire qu’il lutté efficacement contre la corruption et qu’il a conduit avec succès quelques grands travaux, raison pour laquelle il était surnommé le président « bulldozer ». Il faudra à la nouvelle présidente manœuvrer habillement car le clan Magufuli, qui est encore très puissant, ne lui facilitera sans doute pas toujours la tâche. On peut aussi penser qu’elle devra faire face à la montée en puissance de quelques rivalités politiques.
- On prétend qu’elle est attendue sur la gestion de la pandémie de Covid 19, à laquelle la Tanzanie n’échappe pas.
- C’est très juste, car son prédécesseur, qui était un fervent catholique, a souvent dit que le pays s’en sortirait grâce à la « prière », raison pour laquelle il n’avait pas imposé de mesures efficaces pour combattre la Covid. Or la nouvelle présidente va devoir faire face à une vague de décès, soi-disant imputables à des « pneumonies » affectant même des personnalités et cette affirmation ne trompe personne.
- Si l’on ajoute, à croire certaines ONG, qu’elle devra aussi ouvrir un nouveau chapitre concernant l’Unité nationale, le respect des libertés, de la justice et de l’Etat de droit, ainsi que de la démocratie, le travail ne va pas lui manquer…
- Vous avez raison, c’est plus le temps, sans doute, qui lui manquera pour mener à bien tous ces chantiers essentiels au développement de la Tanzanie, mais à l’heure ou elle prend ses fonctions, accordons à Samia Suluhu Hassan, un peu de temps pour se retourner et surtout donnons toutes ses chances à cette première femme tanzanienne présidente de la République. En tant que chef d’Etat, et femme, elle n’a, doublement, pas droit à l’échec.
Interview réalisée par J.Y Duval, Directeur d’Ichrono et Ichrono FM