Avec cette période de confinement qui a duré plusieurs mois, puis ce déconfinement ou nous devons respecter des distances sociales, le port d’un masque et l’usage du gel hydroalcoolique, mais aussi accepter la restriction des libertés publiques (déplacements, réunions, manifestations, etc.) beaucoup d’entre nous ont le sentiment d’avoir perdu une partie de leur joie de vivre. Finis les embrassades et les poignées de mains entre amis, les repas de familles nombreuses, les retrouvailles avec papy et mamie, les sorties en discothèques, etc. Sommes-nous aujourd’hui moins heureux qu’hier ?
Si on ramène le bonheur au niveau de vie, alors oui certainement. Et notamment pour tous ceux qui aujourd’hui ont grossi les rangs des chômeurs pour cause de COVID 19 et ceux qui demain seront victime des plans sociaux. Mais il y a parmi nous de trop nombreuses personnes qui réduisent le bonheur à la possession, aux biens matériels. Ainsi un gamin des rues jouant avec un ballon devrait nécessairement être moins heureux qu’un gosse de riches devant sa console de jeux, un adulte jouant à un jeux de société par rapport à celui qui fréquente le casino de Deauville ou de Bagnoles-de-l’Orne, une famille d’ouvriers habitant son pavillon de banlieue par rapport à ce couple de cadre occupant une jolie villa. Et on pourrait multiplier les exemples, les vacances dans le Massif Central par rapport à la croisière aux Maldives du cousin Pierre, la possession d’une Renault Twingo par rapport à l’Audi A8 du voisin, le petit dériveur à voile par rapport au yacht de votre directeur, etc. etc. L’insatisfaction matérielle est indéfinie, inchiffrable, inestimable.
Si le bonheur devait se jauger par rapport au niveau de vie alors il y existe en effet de grandes chances que vous soyez malheureux et déçu car par définition l’homme ne se satisfait jamais de ce qu’il a et s’envie toujours de quelque chose. Il est donc continuellement frustré. Oscar Wilde disait : « Il y a deux drames dans l’existence : ne pas avoir ce que l’on désire, et l’obtenir ».
En revanche si vivre heureux c’est vivre mieux que par le passé grâce au progrès et à une espérance de vie plus longue alors oui. Sauf que, comme au Moyen-Age, quand bien même on trimerait moins, on est à nouveau victime de nouvelles épidémies, tel ce virus venu de Chine. Il nous faut donc réapprendre et accepter de succomber à des maladies que nous pensions avoir vaincues, et ce n’est pas facile. Même inenvisageable pour beaucoup d’entre nous, « il suffit de donner de l’argent aux chercheurs afin qu’ils trouvent le vaccin, l’antidote », comme si tout était, là encore, une question d’argent. Cet argent, ce fric qu’on a élevé au niveau d’un nouveau dieu païen.
Alors malheureusement force est de constater que malgré les avancées scientifiques et les progrès technologiques l’homme est toujours plus veule, cupide et égoïste que jamais. Et pour quelle raison ? Parce qu’à choisir entre devenir meilleur et avoir de meilleures conditions de vie on a toujours préféré amélioré les conditions de vie. Platon écrivait : » l’appauvrissement n’est jamais fonction d’une diminution des richesses, toujours d’une augmentation de l’avidité« . Ce que Orwell, à nouveau lui, traduisait quelques siècles plus tard par ces mots : » Le but de l’homme n’a jamais été de demeurer humain, mais uniquement de demeurer vivant, vivant à n’importe quel prix« . Dommage que nos compatriotes n’aient pas mis à profit le confinement pour relire Platon, Aristote, Socrate, … Orwell et quelques autres.
Mais ce que nous vivons nous démontre qu’il n’est pas encore trop tard pour revoir certains de nos comportements, cesser d’être mu par l’appât du gain, par une quête effrénée de toujours plus d’argent, de modérer notre instinct exacerbé de conservation et de placer d’autres principes, y compris de vie, des valeurs au dessus de tout. Et plutôt que prétendre changer le monde, commençons par nous changer nous-mêmes.
Prenez par exemple la politique, qui nous envahit quotidiennement et par seulement en période électorale. Du temps des Grecs elle représentait l’occupation la plus élevée, celle qu’on doit porter aux affaires de la cité. Pour Socrate la politique se confondait d’ailleurs avec la philosophie. Qu’est-elle devenue ? Quel spectacle nous offre-t-elle aujourd’hui ? Affligeant, consternant ! Aujourd’hui elle se résume pour beaucoup à la recherche des honneurs, des prébendes diverses (voitures de fonction, billets d’avion gratuits, gardes du corps, etc. ) et tout est monnayable et n’est qu’affaire de marchés, « mondiaux » d’ailleurs et on voit les conséquences dramatiques de la délocalisation de nos entreprises. On le « paie » au prix fort ! Nous sommes tous, à tour de rôle « démarcheurs » ou « démarchés ». Il est vrai qu’à un moment la démocratie athénienne a transformé l’agora, la place de l’assemblée, en une place de marché car la décadence guette toute civilisation (Grecque, Romaine, Ottomane, Egyptienne …)
On ne cherche plus désormais à gagner le cœur des hommes mais à attiser leur goût du lucre. ce que ni les Sumériens, ni les Babyloniens n’avaient jugé utile de faire. Et ils vivaient très bien. Cette nuit j’ai fait un rêve : Et si cette crise sanitaire inédite depuis plus d’un siècle, cette pandémie, nous permettait de devenir un peu plus altruistes et un peu moins individualistes, égocentriques ? Si elle nous avait fait comprendre la vraie valeur des choses, de l’amour, du temps, des amis, de la nature et son monde animal et un peu moins celle de l’argent érigé en veau d’or ? Et si chacun, là où il est, apportait sa pierre à l’édifice, et si de cette pierre brute on la taillait, la polissait avec le projet de bâtir une nouvelle société, plus généreuse, plus solidaire, plus respectueuse des individus comme de l’environnement, plus humaine. La cruelle épreuve que nous traversons nous y invite, ne résistons pas.
Je vous vois venir, vous allez me taxer d’idéaliste. Sans doute, mais promettez-moi quand même d’y réfléchir.
Jean-Yves Duval, Directeur Ichrono