Véritable légende vivante au Sénégal, Modou Lô peut aujourd’hui se targuer d’être le sportif le populaire dans son pays, loin devant des stars du foot comme Sadio Mané. Il est le roi incontesté de l’arène sénégalaise depuis six ans et compte encore le rester après son combat plébiscité et très attendu contre le très sérieux challenger Sa Thiès, le 5 avril prochain. Avant cette affiche, le lutteur de 39 ans, rencontré à Paris, se confie en wolof sur son rapport avec le mystique, le MMA, la politique ainsi que sur son prochain successeur sur le trône.
RFI : Modou Lô, vous êtes le « roi des arènes » de la lutte sénégalaise depuis juillet 2019. Quelle importance ou dimension revêt ce titre au Sénégal ?
Modou Lô : Il faut savoir que la lutte sénégalaise est le sport le plus populaire dans notre pays, même devant le football quand il n’y a pas les grands événements comme la CAN ou la Coupe du monde. Quand tu es roi des arènes, tu es le champion de tous les lutteurs.
On fait de la lutte avec frappe, un sport très dur, de « Diambars » (guerriers), qui demande de la force, de la discipline et du courage. Quand tu es le meilleur dans ce domaine, c’est une grosse fierté. Mais être un champion, cela ne veut pas dire tout se permettre parce que tu as battu tout le monde. C’est un statut qu’il faut incarner dans ton attitude, dans ta façon de parler, de te comporter. C’est une grande responsabilité.
On subit donc beaucoup de pression…
Il y a moins de pression qu’on ne le pense à être roi des arènes. Car, on ne le devient pas du jour au lendemain. Le parcours pour y arriver est une formation et cela te forge psychologiquement à assumer le statut naturellement le jour où tu deviens le roi.
À quel moment avez-vous commencé à rêver de la couronne ?
Dès que j’ai débuté la lutte, j’ai commencé à rêver du titre. Dès mes premiers combats dans les « mbapatt » [des petits tournois de lutte traditionnelle organisés dans les quartiers populaires, NDLR], j’avais cette ambition. Le « mbapatt », c’est une école dans laquelle je me suis testé face à de gros morceaux et c’est là où je me suis persuadé que je pouvais entrer dans l’arène pour y faire une bonne carrière.
Mais le déclic est survenu lors d’un tournoi parrainé par la mairie de Dakar. J’avais gagné le titre lors de la deuxième édition après avoir perdu en finale lors de la première. Après ce tournoi-là, Birahim Ndiaye, un ancien champion de lutte, qui est aussi entraîneur et consultant à la télévision, m’a mis dans sa voiture pour me ramener chez moi et parler à mes parents. Il a dit à mon père que j’avais du talent et qu’avec un peu de soutien, je pourrais gagner ma vie avec la lutte et améliorer le quotidien de la famille. Cela m’a vraiment boosté.
Mais, c’était difficile pour mes parents, car, pour mon père, qui n’a jamais eu de lutteur dans sa famille, ce n’était pas imaginable de me voir dans l’arène. Ma mère était moins choquée parce que mon grand-père, que je n’ai pas connu, avait fait de la lutte. Comme quoi, même si c’est loin, j’ai quand même du sang de lutteur. Je l’ai pris comme un signe du destin.
Depuis quelque temps, vous êtes plus présent sur les réseaux sociaux, vous faites plus d’apparitions publiques et vous collaborez avec l’agence de communication Off the pitch. C’est une autre façon d’incarner le statut de roi des arènes ?
Oui, c’est bien de se rapprocher des fans et des gens qui suivent la lutte. J’ai un cheminement, un parcours, qui m’a permis d’arriver à ce niveau. Ce n’est pas un parcours simple et donc parfois, c’est bien de le partager pour inspirer les jeunes. Pour leur montrer que rien ne se fait du jour au lendemain, qu’il faut faire des sacrifices, travailler.
Actuellement [l’interview a eu lieu le jeudi 21 août, NDLR], je suis à Paris pour répondre à l’invitation de Next Sénégal, une plateforme de la diaspora, pour parler de mon parcours de sportif et d’entrepreneur. C’est une bonne initiative et je le fais vraiment avec un grand plaisir.
Est-ce qu’un roi des arènes doit être engagé politiquement ?
Je pense qu’en matière de politique, tout le monde a le droit d’avoir son opinion, de la partager, de discuter de cette opinion, parce que personne ne peut tout savoir sur tout. J’estime que j’ai droit à cette parole-là, mais pas forcément en m’engageant ou en m’affiliant auprès d’un parti politique ou en demandant de soutenir tel ou tel homme politique. Je n’ai pas encore cette posture-là, mais je ne me priverai pas de donner mon avis sur les affaires de la cité.
Après, en tant qu’enfant des Parcelles assainies et voulant le meilleur pour mon quartier, je n’exclus pas de m’engager localement après ma retraite sportive. Si j’ai la possibilité, avec la politique, d’avoir des opportunités pour le développement des Parcelles, et que les populations vivent mieux, je n’hésiterai pas.
Vous vous donnez encore combien de temps dans l’arène où l’âge limite des lutteurs est passé de 45 à 48 ans ?
Sincèrement, je ne pense pas aller jusqu’à l’âge limite. Même jusqu’à 45 ans, je ne pense pas. Je suis sur plein de projets et je compte faire quelques combats, puis décrocher et laisser la place à mes jeunes frères dans la même écurie que moi et qui sont talentueux. Il y a Franc, Gora Sock, Petit Lô, Calva, Seydina… la liste est longue. Ce sont de grands espoirs et s’ils sont bien encadrés, ils pourront accomplir de grandes choses dans l’arène.
On vous voit très proche de Franc, le nouveau phénomène de l’arène qui a battu successivement Bombardier, Ama Baldé et Eumeu Sène. Quelle est votre histoire ?
Notre histoire, ce sont d’abord les Parcelles assainies, notre quartier commun. Il habite à l’unité 7 et moi à l’unité 10. On a hérité de la même « malédiction » qui est l’amour de la lutte. Il est jeune, il est en train de faire une belle carrière. On s’est rapproché parce que j’avais besoin de sparring-partner et on me l’a recommandé. Il m’a permis, avec d’autres comme Gora Sock, de devenir meilleur, de progresser. Cela fait très longtemps qu’il m’aide dans mes entraînements. Il a toujours été présent dans la préparation de mes combats, très fidèle. Maintenant, il trace son chemin. C’est un très grand espoir, il est très, très fort, on n’a pas besoin de le présenter. Il est vraiment en train de percer dans l’arène. On a grand espoir qu’il ira aller loin.
Vous le voyez comme votre successeur ?
Bien sûr, il a déjà accompli quelque chose d’unique dans l’arène : 15 combats pour 15 victoires. C’est un immense exploit. Il est jeune, mais il a encore beaucoup d’expérience. C’est quelqu’un qui a réellement roulé sa bosse dans la lutte. Il n’hésitait pas à prendre son sac à dos et à aller faire des tournois dans tout le pays pour s’affirmer, s’entraîner et acquérir des compétences. Nous, on est là pour le soutenir, pour le supporter et pour l’aider à aller vraiment le plus haut possible.
Vous avez disputé 26 combats depuis le début de votre carrière en février 2006. Quel est le combat qui vous a le plus marqué ?
Mon premier combat contre Eumeu Sène, en 2014, m’a beaucoup marqué [Modou Lô remportera également la deuxième confrontation contre Eumeu Sène en juillet 2019 pour devenir roi des arènes, NDLR]. Ce fut un grand moment de lutte. Un combat qui a duré près de 30 minutes, il y a eu de la bagarre, de la lutte pure. Cela a été très dur, et Dieu m’a donné la victoire. Je n’ai jamais eu un combat aussi dur et qui a duré aussi longtemps.
Beaucoup de sportifs sénégalais, les footballeurs principalement, sont obligés de s’expatrier pour bien gagner leur vie. Est-ce que la lutte nourrit véritablement son homme au Sénégal ?
[Sans hésiter] Oui carrément ! La lutte s’est beaucoup développée ces dernières années. Avant nous, il y avait déjà des stars comme Falaye Baldé, Double Less, Mbaye qui vivaient de la lutte et ont pu se réaliser. Après, d’autres comme Tyson, Yékini ont amené la lutte à un niveau supérieur avec l’engouement et l’argent qui vont avec. Aujourd’hui, c’est notre génération, celle de Balla Gaye 2, qui fait encore plus évoluer la lutte. Donc oui, on peut très bien vivre de la lutte au Sénégal, en faire vivre sa famille, ses proches, et même des gens dont on ne soupçonne pas l’existence.
Cela étant, la carrière sportive est éphémère ; tu peux lutter au maximum aujourd’hui jusqu’à 45 ans, un âge où tu es encore jeune. Le sport, la lutte, te permet d’avoir des ouvertures pour explorer d’autres domaines. Aujourd’hui, je suis aussi dans l’entrepreneuriat. L’argent que je gagne dans la lutte me permet d’investir dans d’autres domaines, créer des emplois et en faire profiter à beaucoup de personnes.
Beaucoup de lutteurs ont investi le MMA depuis quelques années. C’est une possibilité pour vous ?
Non, honnêtement, le MMA, je le laisse à mes petits frères. Il y a déjà un de mes jeunes, « Petit Lô », qui est dedans avec d’autres espoirs des Parcelles. Aujourd’hui, je n’ai pas la volonté d’aller combattre en MMA. J’ai juste envie de finir tranquillement ma carrière dans la lutte avec frappe et puis de prendre ma retraite. Mais c’est vrai que le MMA est une belle ouverture pour la lutte sénégalaise. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des combats dans l’année donc, c’est une bonne chose pour les lutteurs qui n’auront pas l’impression de s’entraîner pour rien.
On ne peut pas parler de lutte sénégalaise sans parler de mysticisme qui est une partie intégrante de la préparation pour gagner. Les lutteurs usent de bains mystiques et de gris-gris pour s’assurer la victoire au-delà de la force et de la technique. Vous étiez cité comme l’un des lutteurs les plus mystiques de l’arène, mais lors de vos trois derniers combats victorieux, vous ne portiez aucun gris-gris, ce qui a même fait peur à vos fans. Quel était votre objectif ?
Pour moi, le mystique n’est pas si important qu’on ne le pense. On parle de sport d’abord. Moi, je considère le mystique comme faisant partie de la culture de la lutte au même titre que les chorégraphies avant les combats, un folklore qui fait plaisir aux amateurs et qui fait vivre la lutte. Vous savez, les compétitions sportives ont lieu partout dans le monde, mais c’est seulement au Sénégal qu’on mêle le mystique au sport, pensant que cela peut influer sur le résultat.
C’est vrai, j’y croyais un moment, mais, je me suis rendu compte au fil de ma carrière que ce n’est pas le mystique qui me faisait gagner. Pour s’assurer la victoire, il faut se donner à fond, à 100% dans le travail.
L’information fraîche, c’est l’officialisation de votre prochain combat contre Sa Thiès prévu le 5 avril 2026. Quelle est votre première réaction sur cette affiche très attendue ?
C’est vrai, ce sera un grand combat. Je peux même dire que ce combat était une demande sociale, tout le monde le voulait. J’ai toujours dit que le jour où je serais roi des arènes, je donnerais la chance aux jeunes. Je l’ai fait avec Ama Baldé, Boy Niang et Siteu. Je suis toujours sur cette lancée. Sa Thiès a fait dernièrement des combats très intéressants, mais il n’a jamais eu la chance de disputer un combat royal pour le titre de roi des arènes. C’est vrai qu’on a beaucoup parlé d’un combat contre Tapha Tine, mais les amateurs ont plébiscité Sa Thiès. Et c’est normal de faire plaisir aux amateurs.
La particularité, c’est que Sa Thiès est le frère cadet de Balla Gaye 2, qui vous a battu deux fois sur les trois défaites de votre carrière. Est-ce que ce sera une revanche par procuration ?
Non, absolument pas ! Sa Thiès, c’est le jeune frère de Balla Gaye 2, mais ce n’est pas une revanche. Ils sont frères, mais n’ont pas la même façon de lutter. C’est dans la logique de la lutte que je croise Sa Thiès. Il est sur mon chemin, je l’écarte et je continue ma route.
Est-ce que les amateurs, peuvent espérer une revanche face à Balla Gaye 2 ?
Cela aurait pu se faire, mais cela ne s’est pas fait. Je ne crois vraiment pas que cela se fera.
RFI