Au Mali, on en sait davantage sur les sept attaques menées mardi 1er juillet par le Jnim, groupe lié à al-Qaïda, dans les régions de Kayes et de Ségou. Sept localités ont été ciblées de manière simultanée le long des frontières du Sénégal et de la Mauritanie, dont la grande ville de Kayes, ou celles de Nioro du Sahel et de Niono. Une attaque coordonnée inédite sur laquelle les jihadistes ont diffusé de nouvelles revendications. De nouvelles précisions ont également été communiquées par l’armée malienne, dont la riposte a été plus vigoureuse qu’à l’habitude. De nombreuses questions restent toutefois en suspens.
Les jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim) affirment avoir tué une dizaine de soldats maliens et récupéré quantité d’armes et de véhicule à Niono, images du butin à l’appui. Aucun chiffre en revanche sur les pertes dans leurs rangs, aucune image non plus des soldats maliens tués, comme le Jnim le fait habituellement.
C’est que la riposte de l’armée malienne et de l’Africa Corps – les supplétifs russes qui ont pris le relai de Wagner et sont présents dans la zone de Niono – a été plus efficace qu’à l’habitude. Des témoignages font état d’échanges de tirs et de ratissages qui ont duré plusieurs heures, au terme desquelles l’armée a revendiqué au moins 80 « terroristes » neutralisés.
Succès de la riposte à Niono
Le chiffre avancé par Bamako et ses alliés semble surévalué pour de nombreux observateurs locaux et analystes sécuritaires, qui ne contestent pourtant pas le succès de la riposte, du moins à Niono. Les images diffusées par l’État-major montrent des dizaines de corps et un important arsenal pris aux jihadistes – armes et véhicules.
Aucun chiffre officiel en revanche sur les victimes civiles ou dans les rangs de l’armée et aucun bilan global fiable n’a pu être vérifié.
À Kayes, les dégâts visibles causés par les jihadistes sont très importants. Plusieurs sites civils, administratifs ou militaires y ont été ciblés. Et, selon le journaliste Wassim Nasr de France 24, qui dispose de canaux privilégiés au sein du Jnim, les jihadistes y ont pris en otage trois citoyens indiens et un chinois. Pas de précision supplémentaire, mais une cimenterie et une usine de fabrication de carreaux ont été attaqués dans des villages proches de Kayes. Peut-être s’agit-il d’employés de ces sites industriels.
Nioro du Sahel, Diboli, Molodo, Sandaré et Gogui
Les jihadistes du Jnim ont également visé mardi les positions de l’armée à Nioro du Sahel, Diboli, Molodo, Sandaré et Gogui. Le Jnim assure avoir temporairement « pris le contrôle de trois casernes et de dizaines de points militaires », sans détailler. L’armée n’y fait pas spécifiquement référence dans ses communiqués.
L’État-major assure en revanche que « ces attaques simultanées et coordonnées ont eu le soutien de sponsors étatiques », sans préciser lesquels – France ? Algérie ? Autres ? – et sans fournir aucun élément pour en attester. Ce type d’accusation est récurrente chez les autorités maliennes de transition, qui en ont fait un fonds de commerce pour tenter de fédérer les populations derrière elles, sans jamais dévoiler de preuves concrètes.
Couvre-feu
Un couvre-feu nocturne a été instauré dans la région de Kayes pour 30 jours reconductibles. La région de Ségou, également frappée mardi par les attaques, est déjà sous couvre-feu nocturne, comme plusieurs autres régions, depuis le mois dernier. La mesure avait été prise après une autre série d’attaques jihadistes, particulièrement meurtrières.
Enfin, l’armée malienne indique avoir mené mardi d’autres opérations dans les régions de Tombouctou et de Kidal, pour notamment « déjouer une embuscade terroriste », « détruire un véhicule logistique » et récupérer du bétail volé.
« Une réponse régionale est nécessaire face à la capacité d’action croissante du Jnim »
Bakary Sambe, directeur du centre de recherche Timbuktu Institute à Dakar et enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions de l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, livre son analyse après les dernières attaques simultanées du Jnim.
RFI : Que retenez-vous d’abord de ces sept attaques simultanées : la capacité d’action étendue du Jnim ou la riposte de l’armée malienne ?
Bakary Sambe : Ces attaques illustrent la capacité croissante du Jnim à orchestrer des opérations complexes, exploitant le vide sécuritaire et l’isolement de Kayes, pour déstabiliser le Mali et menacer ses voisins. La sophistication tactique, la robustesse logistique, et l’exploitation des dynamiques socio-économiques, soulignent la nécessité d’une réponse régionale intégrant la coopération transfrontalière, le partage de renseignements etc.
Une réponse régionale, c’est-à-dire qui impliquerait les armées sénégalaise et mauritanienne ?
Absolument, il faut mettre toutes les forces ensemble. Mais ma crainte est qu’aujourd’hui, malgré la volonté de circonscrire cette menace, il ne faudrait pas non plus commettre l’erreur tactique de se fier aux seules réponses strictement militaires qui ont toujours montré leurs insuffisances face à la guerre asymétrique qu’est le terrorisme.
Les attaques simultanées du Jnim marquent une montée en puissance dans la trajectoire récente du groupe terroriste, qui révèle une combinaison sophistiquée de tactique militaire, d’instrumentalisation des griefs (sociaux ou communautaires, NDLR) et de vulnérabilité socio-économique et culturelle.
Je crois que ces offensives, concentrées dans la région de Kayes, à la trisjonction Mali-Mauritanie-Sénégal, et dans la région de Ségou dans le centre du Mali, visent à exploiter la faiblesse structurelle de l’État malien, tout en consolidant l’influence du Jnim dans une zone vitale pour le ravitaillement de Bamako.
Ceci dit, la riposte de l’armée malienne et de l’Africa Corps a été plus vigoureuse qu’à l’habitude.
Oui, mais je pense que ces attaques s’inscrivent dans une logique de long terme, qui vise à asphyxier Bamako. Pour le cas du Mali, je pense que la coopération avec la Russie – à travers Wagner, puis Africa Corps – s’est révélée insuffisante. Une coopération transfrontalière est devenue maintenant nécessaire.
Il faut l’avouer : le Jnim a su profiter du vide sécuritaire laissé par (le retrait, NDLR) de la coopération internationale, la Minusma, l’armée française, mais aussi le fait que le Mali se soit soustrait des cadres régionaux de sécurité, et aussi de la Cédéao. Là où les pays de l’AES n’ont pas pu faire montre d’efficacité pour faire face au Jnim. Sans une réponse globale régionale coordonnée, tenant compte de toutes ces dimensions socio-politiques et culturelles, le Jnim risque de continuer d’exploiter des vulnérabilités régionales pour étendre son emprise.
RFI