Pascal BONIFACE ; 50 idées reçues sir l’état du monde ; mondialisation, guerres et conflits, duels Chine/Eats–Unis, Covid-19… Qui dirige le monde ?

Nous sommes confrontés à un monde complexe qui

semble de plus en plus difficile à décrypter et de jour en jour

plus dangereux. Dès lors, renoncer à le comprendre peut

être tentant, abandonnant ces questions à quelques

professionnels hautement spécialisés. Ces derniers se feront

un plaisir de définir un champ clos interdit aux non-initiés

afin de préserver leur situation de monopole. La seconde

tentation, tout aussi regrettable, est la simplification

extrême. La grille de lecture est réduite à deux paramètres

opposés (bien/mal, amis/ennemis, nous/les autres) censés

servir de moyens de compréhension universelle. Le monde

se résume à deux composantes, et il est aisé d’en choisir

une. Il est nécessaire de réaliser que, y compris dans un

monde globalisé, les points de vue peuvent être différents.

Pourtant, parler simplement des affaires mondiales ne

signifie pas nécessairement de les simplifier de manière

excessive, pas plus que le jargon des spécialistes n’est gage

d’intelligence des situations.

Les questions internationales n’échappent pas aux idées

reçues. Penser qu’elles n’encombrent que l’esprit du grand

public, par exemple, en serait une de taille. Elles circulent

également chez les professionnels de la géopolitique, qu’ils

soient responsables politiques, diplomates, officiers,

experts, enseignants, chercheurs ou journalistes. Si parfois

certains les font circuler à dessein parce qu’ils estiment

qu’elles correspondent à leurs convictions ou leurs intérêts,

elles sont la plupart du temps propagées de bonne foi. On

répète ce qu’on a entendu maintes fois et on finit par y

croire. Elles deviennent des évidences dont on ne discute

plus le fondement, de peur d’apparaître comme peu au fait

des réalités à défendre un point de vue qui tranche avec la

majorité. Ces idées reçues sont d’autant plus fortement

enracinées que ceux qui les véhiculent le font souvent en

toute sincérité et sont honnêtement convaincus de ce qu’ils

avancent. On les trouve un peu partout, et pas seulement

sur Internet : journaux, magazines, livres – y compris parmi

les ouvrages érudits – et débats politiques en fourmillent.

Ainsi, il faut éviter un raisonnement binaire qui ferait des

réseaux sociaux le coeur du complotisme et des médias

mainstream une source indubitable de vérité. Il y a des

erreurs et même parfois des manipulations grossières dans

les médias dits « mainstream » qui sont souvent contredites

sur les réseaux sociaux. Très souvent, elles ont l’apparence

du vraisemblable : elles ne sont pas complètement

fantasmatiques, mais semblent relever du bon sens. À force

de les voir circuler, elles se parent de la vertu de l’évidence.

Généralement, elles sont issues d’une réalité à partir de

laquelle se développe un contresens.

J’ai choisi de traiter cinquante idées reçues parmi les plus

répandues sur les affaires mondiales. Après avoir énoncé

l’évidence et les raisons de celles-ci (indiquées en italique

dans une bulle), je me suis efforcé de montrer l’envers du

décor, la réalité qui se cache derrière l’apparence.

Le livre a rencontré son public, ce qui montre que la

volonté de s’informer, et donc de dépasser les idées reçues,

existe. C’est pour cela que nous publions une 11 édition

actualisée. Certaines idées reçues contenues dans les

éditions précédentes ont disparu. C’est bon signe, cela

prouve que la pédagogie fonctionne, que le public s’informe

et fait preuve de sens critique. D’autres, nouvelles, sont

apparues. D’où la nécessité de poursuivre le travail.

e

C’est vrai, je l’ai lu dans un

livre

Le livre est le symbole du savoir et de sa transmission aux yeux

du public. Celui qui en écrit se distingue du simple lecteur. Le

livre représente le fruit dun travail de longue haleine, mélange

de réflexions et de connaissances approfondies.

À lheure dInternet et de la télévision, il conserve un statut et un

prestige particuliers par ce quil suppose de références, de

vérifications et de crédibilité scientifique.

Croire que ce qui est dans un livre ne peut qu’être la vérité

est une erreur que font souvent les étudiants ! Combien de

fois ai-je entendu cette phrase venir ponctuer, voire

renforcer leurs démonstrations ? Simplement, les livres ne

sont pas tous des textes neutres se contentant de retracer

les faits et de les resituer dans leur contexte.

L’exemple des manuels d’histoire est intéressant : ils

reflètent très fortement l’idéologie nationale au moment de

leur rédaction. Il suffit de consulter en parallèle d’anciens

livres d’histoire français et allemands – sur la Première

Guerre mondiale, par exemple – pour constater que les

mêmes faits ne donnent pas lieu à la même description, et

encore moins à la même interprétation.

Certes, ces deux

pays se sont considérablement rapprochés, au point qu’il

existe désormais un manuel d’histoire commun dont

l’objectif est de « poser les bases d’une conscience

historique commune chez les élèves allemands et français

». Mais le simple fait que ces deux pays puissent s’entendre

sur leur histoire commune atteste de leur rapprochement

idéologique actuel, et le fait que cette publication conjointe

soit présentée comme une exception montre la difficulté de

l’exercice.

À quand, par exemple, un manuel d’histoire

commun à la France et à l’Algérie ?

En dehors des manuels, il existe bien entendu une

multitude d’essais dans lesquels l’auteur défend une thèse,

prend position, parfois de façon ouverte, mais parfois

également de façon masquée dans le but d’influencer

subrepticement le public en faveur de ses idées, soit parce

qu’il y croit sincèrement, soit parce qu’il a un intérêt à le

faire croire. Les sujets d’apparence plus neutre (économie,

biologie, par exemple) peuvent abriter des thèses

parfaitement engagées. Avant d’ouvrir un livre, il est

recommandé de savoir qui écrit (universitaire, journaliste,

personnalité engagée), d’où il écrit (pays, institution,

époque) et pourquoi (suite à quel événement ou en

prévision de quelles échéances), afin d’en déduire à travers

quelles « lunettes » l’auteur observe la réalité et la

retranscrit pour son lecteur. Celui-ci est en droit d’exiger de

l’auteur qu’il lui fournisse des éléments fiables et vérifiés

(dates, chiffres, noms, etc.). L’analyse ne sera, quant à elle,

jamais parfaitement neutre, quel que soit l’effort

d’objectivité de l’auteur.

Ainsi, tout ce qui est écrit dans les livres, y compris

d’ailleurs dans celui-ci, est contestable. Un lecteur averti en

vaut deux !

Les experts aident à comprendre les événements

Les experts ont acquis au fil du temps une solide connaissance

du domaine sur lequel ils sexpriment. Contrairement aux

journalistes, souvent généralistes, ils se sont spécialisés sur un

sujet bien défini. Ils représentent un savoir particulier et leur

avis est scientifique. Leur statut est une garantie de sérieux et

dobjectivité pour le public.

L’objectivité et la neutralité peuvent-elles exister sur des

sujets aussi sensibles et aussi importants que les relations

internationales ?

Certainement pas !

Un expert peut avoir développé une connaissance

approfondie du sujet sans pour autant être un gage d’objectivité.

L’expertise ne présuppose pas la neutralité.

L’expert peut être soumis à des influences, selon son

parcours personnel, ses origines, les milieux qu’il fréquente,

etc. Tout au plus peut-on attendre d’un expert un point de

vue intellectuellement honnête, et qu’il exprime sa pensée

en fonction d’un raisonnement, fût-il personnel.

Sa scientificité est censée limiter au maximum – mais non pas

empêcher – toute subjectivité.

La question devient plus délicate lorsque des experts

s’inventent des titres universitaires inexistants, des

fonctions fantaisistes (ou se revendiquent de structures au

titre ronflant, qui ne sont en fait que des coquilles vides), à

la seule fin d’impressionner le public et de l’induire en

erreur. Nous sommes là en présence de cas de manipulation

de l’information : l’expert en question va développer un

point de vue faussement objectif et scientifique, alors qu’il

parle au nom d’intérêts privés ou étatiques, auxquels il

adhère par conviction ou tout simplement parce qu’ils

constituent pour lui une source de revenus. Le fait, entre

mille exemples, que des « experts » aient pu affirmer avant

le déclenchement de la guerre en Irak que le pays disposait

d’armes de destruction massive – ce qui était faux mais qui

était censé justifier la guerre aux yeux de l’opinion – montre

que certains ont pour fonction de manipuler l’opinion plutôt

que de l’éclairer. Il faut faire attention aux « intellectuels

faussaires » qui essaient, non pas d’éclairer l’opinion, mais

de la tromper, pervertissant le débat démocratique.

Et que penser, par exemple, de ces « experts » qui se

précipitent sur les plateaux télévisés afin de commenter un

attentat terroriste, alors qu’ils ne disposent d’aucun des

éléments de l’enquête ?

Si, heureusement pour eux, « les paroles s’envolent », ils contribuent à décrédibiliser l’information et les médias et, de façon indirecte, à nourrir les théories du complot.

Faussaires et complotistes représentent les deux faces d’une même pièce.

Le développement des canaux d’information suscite celui du recours aux experts aux

qualités et intégrités inégales. Seul le recul permet d’analyser leur  .

Très souvent, les déclarations à l’emporte pièce sont privilégiées sur les raisonnements argumentés.