Mircea Eliade, Le sacré et le profane-Gallimard

« Voici un ouvrage d’autorité qui ouvre les yeux à lire avec un esprit de finesse »P B C

L’auteur examine dans ce volume la situation de l’homme dans un monde saturé de valeurs religieuses.
Son livre est une introduction à l’histoire des religions, une mise au point de nos connaissances dans ce domaine.

Cette perspective s’inscrit dans un processus plus global de sécularisation du monde et de la vie : « L’homme moderne areligieux […] se fait lui-même, décrit Mircea Eliade, et il n’arrive à se faire complètement que dans la mesure où il se désacralise et désacralise le monde » (Le sacré et le profane).

Fiche

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Le grand historien des religions, Mircea Eliade, dans ce livre qui supporte bien son titre, commence d’abord par le concept de « espace » : celui là né d’une hierophanie, c’est à dire une manifestation primordielle du sacré qui, pour l’homme « archaïque », lui permet de différencier l’espace « chaotique » uniforme ; en posant un « point fixe » – qui devient son « axis mundi » – l’homme ancien trouve une « géographie », se situe dans l’espace et donc jauge ses propres possibilités. L’homme moderne, même le plus loin du fait religieux, reste dans le même cas : le lieu du premier baiser, par exemple, retiendra ce caractère de « lieu saint » dans son subconscient.
Ce « point » est alors « sacralisé » par des balises « tangibles » : églises, temples, mosquées, … dont on retrouve les réminiscences – à un degré inférieur – jusqu’aujourd’hui quand, au seuil d’une porte, l’homme et la femme « modernes » ont conscience de pénétrer un « espace » – il faut préciser que les hommes n’ont pas le choix souverain des lieux, mais qu’ils « s’imposent » à eux (comme par exemple sur le lieu de mort d’un animal chassé, etc)
Ensuite, on aborde le temps, qui est défait de sa temporalité par l’accès rituel : l’homme « religieux » veut s’inscrire dans « l’Éternel maintenant » (l’accompli initié en Islam, le sûfi, est appelé « ibn al waqt », le « fils du moment ») plutôt que « le temps séculaire » qui mène à la mort, et cela se passe par des modalités pratiques qui sont un mimétisme de la cosmogonie originelle (en l’occurrence dans la symbolique des calendriers, les fêtes, etc). Ce rapport cyclique au temps, attesté dans toutes les civilisations antiques, a été rompu par le judaïsme et puis, surtout, l’Incarnation chrétienne ; l’auteur a traité de cette question plus en détail dans « Le mythe de l’éternel retour« .
Pour finir, nous bénéficions de considérations plus générales sur le divorce opéré par l’homme « moderne » avec la nature (le rôle de la terre-mère qui influe celui de la femme, etc) pour que Mircea Eliade finisse par dire qu’un homme stricto sensu « areligieux » n’existe pas : même le plus fervent « athée » garde des élans de religiosité dans ses actes les plus anodins, reflets de « mécanismes » ancestraux à peine dilués par la « modernité ».

 

Fiche de lecture

Le sacré et le profane selon Mircea Eliade

Le sacré et le profane ne se distinguent pas facilement. Mircea Eliade définit le sacré dans Le sacré et le profane comme ce qui n’est pas profane, c’est-à-dire ce qui ne fait partie intégrante des objets qui peuplent le monde naturel. L’historien des religions oppose ainsi deux modes d’être : celui de l’homme religieux, d’une part, pour lequel un acte peut être un sacrement, c’est-à-dire un rituel censé donner la grâce ; celui de l’homme moderne, d’autre part, pour lequel un acte n’est qu’un acte, forcément dépourvu de portée religieuse.

Le sacré et le profane se manifestent tout d’abord dans l’espace. Le sacré se présente en effet d’une certaine manière aux hommes, la « hiérophanie ». Celle-ci peut être simple, quand un objet incarne le sacré, ou bien complexe, quand il se manifeste par l’intermédiaire d’une personne (comme c’est le cas de Jésus-Christ pour les chrétiens, ou de tout prophète). « Pour l’homme religieux, écrit Mircea Eliade, l’espace n’est pas homogène » (Le sacré et le profane). Les lieux dans lesquels le sacré se manifeste par un signe (comme la foudre) deviennent eux-mêmes sacrés. Le cosmos, plus généralement, possède cette qualité parce qu’il est l’espace structuré par les divinités – c’est la cosmogonie – opposé au chaos, à l’espace inconnu. Ainsi, chaque fois que l’homme religieux crée quelque chose (une maison, par exemple), il imite la cosmogonie, c’est-à-dire la naissance du monde. Mircea Eliade explique que l’installation dans un territoire se fait, dans la majorité des civilisations, selon une logique identique : les hommes recherchent un point fixe, le centre, à partir duquel ils orientent des axes – ils forment ainsi l’espace sacré. L’espace profane est lui, en revanche, complètement homogène : il est dépourvu de points fixes ou d’orientations. Ainsi, dans les sociétés industrielles modernes, l’habitat est désacralisé comme une « machine à habiter » (formule de Le Corbusier).Haut du formulaireRecevez ma 

Mircea Eliade affirme que le sacré et le profane ont simplement changé de forme

Le sacré et le profane se manifestent ensuite dans le temps. Le temps sacré a, pour Mircea Eliade, la caractéristique d’être circulaire (il se répète), ce qui explique notamment la fonction des fêtes religieuses (les célébrations du Nouvel An, par exemple), qui est de reproduire la création du monde pour purifier le temps profane. Cette caractéristique explique l’obsession de la renaissance qui anime l’homme religieux : il retrouve le sacré notamment par l’intermédiaire du rite initiatique qui, en le faisant renaître, le fait reconnaître par ses semblables comme un nouvel être, purifié et désormais pleinement adulte. Pour autant, l’homme areligieux garde, dans son rapport au temps, toutes les traces de la religiosité, comme le montre son besoin de rites, de mythes et de symboles. « Pour lui aussi il existe, précise Mircea Eliade, outre le temps plutôt monotone du travail, le temps des réjouissances et du spectacle, le temps festif » (Le sacré et le profane). Le temps sacré donne également une importance toute particulière à son origine, dont le récit est fait à travers les mythes, qui retracent comment les dieux ont créé le monde, en font une vérité absolue et incitent les hommes à reproduire cette naissance par le rituel. Cependant, cette vision cyclique du temps a pris fin avec les religions juive et catholique, lesquelles conçoivent à la fois la présence de la divinité dans le monde et la fin des temps (apocalypse).

Le sacré et le profane imprègnent enfin la nature et l’existence humaine. La dimension religieuse de la nature apparaît dans la représentation que l’homme a de certains de ses éléments. Ainsi, le ciel symbolise la transcendance, la force, l’éternité, l’ascension et l’escalade, tout en rappelant à l’homme toute la distance qui le sépare de Dieu et, lors de certains phénomènes, la dangerosité de la puissance divine. L’eau étant elle imaginée comme antérieure à la création du monde, elle est vue comme un instrument de purification et de régénération, comme le montre le rite du baptême. La terre, enfin, évoque l’enfantement, ce pour quoi la femme lui est souvent assimilée. Si l’homme religieux perçoit ces éléments naturels comme la preuve de la sacralité des structures du monde, l’homme areligieux les a lui désacralisés en ne reconnaissant plus que l’émotion esthétique qu’ils peuvent susciter. Cette perspective s’inscrit dans un processus plus global de sécularisation du monde et de la vie : « L’homme moderne areligieux […] se fait lui-même, décrit Mircea Eliade, et il n’arrive à se faire complètement que dans la mesure où il se désacralise et désacralise le monde » (Le sacré et le profane). Tout en se purifiant des superstitions de ses ancêtres, il conserve paradoxalement l’héritage du comportement de l’homme religieux dont il est le produit. Mircea Eliade affirme plus fondamentalement que l’homme rationnel auquel est réduit l’individu moderne n’existe pas, parce que l’inconscient est façonné par le sacré.