« La situation actuelle pose des équations que nous devons aborder. Rien ne doit pas être occulté dans notre situation actuelle où l’homme est perdu et doit faire des choix. Choisir c’est éliminer alors quelle éthique ? »P B CISSOKO
Les vies perdues faute d’examens et de soins médicaux classiques ou suite à des suicides, les vies brisées des patrons de bar, des artistes ou des petits commerçants, les vies zombies des étudiants devant leurs écrans, des gamins masqués à l’école, des voyageurs testés et retestés valent-elles moins que les vies prolongées ? C’est le débat que nous devons avoir face à la perspective d’un reconfinement, écrit Gaspard Koenig.
Dans Les Echos, Gaspard Koenig appelle à rationaliser l’équation de la gestion de la crise de la Covid-19 en étudiant le rapport entre le temps de vie prolongé et le temps de vie gâché.
Selon Gaspard, la vie avec la Covid-19 et les mesures sanitaires qui l’accompagnent sont vouées à perdurer indéfiniment plongeant le monde dans « l’état d’urgence permanent ». La question de la valeur de l’effort des jeunes actifs sur le long terme se pose alors. Gaspard rappelle que sur la population des 15-44 ans, on dénombre 60 décès de la Covid-19 sans comorbidité depuis le début de la crise alors qu’on compte, sur la même période, environ 10 000 arrêts cardiaques et 20 000 AVC pour cette même population.
« La manière dont cette question est tournée aujourd’hui appelle une réponse évidente. Ralentir l’économie pour sauver des vies : qui peut y être opposé ? »
Gaspard explique que l’on ne « sauve » pas les vies mais qu’on les prolonge. Le coût de cette opération dépasse certainement celui du ralentissement de l’économie. Il faut aussi évaluer le coût des vies gâchées : celles des personnes privées d’examens et de soins médicaux, celles des restaurateurs, des artistes ou encore des étudiants.
Gaspard explique que les décisions politiques d’aujourd’hui sont le fruit d’une gestion de la crise sanitaire guidée par les médecins, fidèles à leur serment d’Hippocrate, alors que le Parlement est écarté par le Gouvernement.
« On aboutit ainsi à une équation très différente, avec deux variables de même nature : temps de vie prolongé contre temps de vie gâché ; années gagnées sur la mort contre années perdues pour la vie. »
Gaspard appelle à rationaliser la gestion de la crise. Afin de parvenir à un débat éclairé, il faudrait pour Gaspard ajouter aux chiffres d’engorgement des services hospitaliers ceux du temps de vie prolongé et du temps de vie gâché.
« Ce que l’on peut d’emblée conclure, c’est que le choix collectif face à cette équation reflète la santé morale d’une société. »
Gaspard rappelle enfin que dans les années 1960, la grippe de Hongkong, comparable à celle de la Covid-19 en termes de victimes, n’avait pas suscité de changement du quotidien pour les populations. Cette différence révèle un bouleversement du rapport à la vie et à la jeunesse dans nos sociétés.
Autres points de vues
COVID-19 : VIES SAUVÉES OU EXISTENCES GACHÉES
22.01.2021 – Philippe LEDUC, Directeur, THINK TANK ECONOMIE SANTE
Bref Santé 21-03 . Alors qu’un confinement plus ou moins stricte se profile, la petite musique de ceux qui dénoncent ces mesures sanitaires au nom de la liberté s’amplifie. L’intérêt du plus grand nombre – jeunes et actifs – est-il supérieur à celui des plus vulnérables, des plus malades et bien sûr des plus âgés. Cette forme de Darwinisme assumé et de sélection naturelle ne manque pas de surprendre. C’est un principe éthique largement partagé depuis au moins un siècle qui est remis en cause.
Le plus brillant de ces « rénovateurs libéraux », Gaspard Koenig, dans Les Échos du 20 janvier s’interroge : « Pourquoi, et pour qui, nous donnons-nous tant de peine ? » arguant que le « nombre de patients décédés sans comorbidité est de 60* dans parmi les 15-44 ans. » … « On ne sauve jamais de vie, on ne fait que les prolonger. » Que faut-il choisir « des vies prolongées ou des vies gâchées » ou encore « années gagnées sur la mort contre années perdues pour la vie. » Pas fou, il ne tranche pas le débat de manière explicite mais sa préférence ne fait pas de doute « le choix collectif face à cette équation reflète la santé morale d’une société. » dit-il. En effet.
En fait, la question est tout simplement mal posée. Mieux l’exprimer simplifie le débat : Faut-il laisser mourir les vieux et les plus vulnérables. Qui, comment, où ? Et dans quelles conditions pour ne pas embouteiller les services de réanimation au détriment des « normaux » ? La réponse est évidente.
Concentrons-nous plutôt sur la recherche de mesures de santé publique innovantes et sur la manière de mobiliser, comme par exemple l’auto-confinement ou l’auto-isolement des plus vulnérables, proposée par le Conseil scientifique mais non retenu par les pouvoirs publics.
* non pas sur tous les décès, mais uniquement sur ceux certifiés par voie électronique : 29.000 sur les 68.802 morts à cette date.
Gaspard Koenig est le fils de Jean-Louis Hue, ancien directeur de la rédaction du Magazine littéraire, et de la critique littéraire Anne-Marie Koenig. Après une scolarité au lycée Henri-IV, Gaspard Koenig est admis à l’École normale supérieure de Lyon en 20022, effectue une année d’échange universitaire à l’université Columbia, puis obtient l’agrégation de philosophie en 2004