Dimanche dernier les électeurs tchadiens étaient appelés à participer à un scrutin et c’est sans surprise qu’ils ont réélu le maréchal-président Idriss Déby qui règne sur ce pays sans partage depuis 30 ans et qui briguait un 6ème mandat. Il était donc tout naturel qu’après le Sénégal, le Mali, et la Côte-d’Ivoire, j’interroge sur ce sujet notre invité, Ibrahima Thiam, président du mouvement d’opposition sénégalais « Un Autre Avenir ».
- Ibrahima Thiam, bonjour, on peut dire qu’en Afrique les jours se suivent et se ressemblent. Après la récente réélection de Sassou N’Guesso au Congo au pouvoir depuis 33 ans, voici un autre record qui vient de tomber, cette fois avec le Tchad et 30 ans d’un pouvoir absolu d’Idriss Déby. N’est-ce pas désespérant de constater ces dérives alors que beaucoup plaident pour l’exercice de seulement deux mandats de président de la République
- Ce simulacre de consultation électorale en est en effet la preuve. Au demeurant cette fois encore Idriss Déby n’avait aucun concurrent sérieux face à lui, tous ses opposants ayant été réduits au silence. Même le boycott du scrutin auquel avait appelé l’opposition n’a pas été suivi d’effet. Avec N’Guesso et Déby vous avez là deux exemples consternants de ce que l’Afrique ne voudrait plus avoir à vivre, à savoir des potentats qui en s’appuyant sur le népotisme abusent de leur situation et règnent avec un pouvoir sans partage. Le côté cynique de l’histoire est qu’en 2016, Idriss Déby avait annoncé dans son programme l’instauration d’une limitation des mandats dans la constitution. On voit ce que cette promesse est devenue. En 2020, comme si tout cela ne suffisait pas il s’est fait nommer maréchal par l’Assemblée nationale, juste avant de déclarer sa candidature à l’élection présidentielle d’avril 2021…
- Rappelons qu’Idriss Déby est arrivé dans les valises, d’Hissène Habré en 1990, Hissène Habré qui n’était pas lui-même un modèle de vertu et un grand démocrate.
- Vous avez raison Jean-Yves Duval, il est bon de rappeler que sous son règne la répression a fait quelques 40 000 morts et qu’Hissène Habré a d’ailleurs été condamné pour ces faits à la prison à vie pour crimes contre l’humanité par un tribunal spécial africain à Dakar en 2017.
- Le même Habré qui en s’enfuyant de N’Djamena avait d’ailleurs pillé les coffres du trésor public tchadien…
- C’est juste, ce qui lui a permis d’avoir un train de vie fastueux au Sénégal, où il s’était réfugié, avant que la justice ne le poursuive et le condamne.
- Pour en revenir à Idriss Déby, dont je rappelle qu’il a obtenu en France, dans les années 1970, une licence de pilote professionnel pour le transport de troupes, il a donc en tant que commandant en chef des forces armées tchadiennes, participé à l’entrée de Hissène Habré à N’Djamena en 1982, en contraignant Goukouni Oudeddei à s’exiler en Algérie …
- C’est exact, il a même été conseiller d’Habré pour la défense et la sécurité avant que leurs relations ne se détériorent jusqu’au jour, où avec l’aide des français, de la Libye et du Soudan il ne parvienne à chasser du pouvoir Hissène Habré devenu un personnage trop sulfureux. A plusieurs reprises cependant depuis 1990 il a été l’objet de tentatives de renversement de la part de rebelles, comme en 2008, où il a été encerclé dans son palais présidentiel. Et il n’est parvenu à se maintenir au pouvoir que grâce au soutien militaire de la France, qu’en retour il a remercié en envoyant des troupes au Mali pour participer à l’opération Serval, alors que Bamako risquait de tomber entre les mains des djihadistes.
- Justement, au-delà de cette amitié de « circonstances », le Tchad est aujourd’hui la cible de groupes terroristes, en particulier Boko Haram, rallié à l’Etat islamique.
- Tout à fait, mais pas seulement, car le Tchad est obligé de faire face à de nombreux défis militaires à ses frontières, il doit aussi gérer un grave conflit intercommunautaire entre éleveurs et agriculteurs dans ses provinces à l’est du pays, tandis que dans le Tibesti, au nord, et à la frontière avec la Libye, l’armée tchadienne affronte aussi des rebelles. C’est la raison pour laquelle la France est présente de façon quasi permanente depuis l’indépendance de cette ancienne colonie. D’ailleurs N’Djamena est le siège de l’opération Barkhane lancée en 2014 et ce pays participe à l’organisation du G5 Sahel avec la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
- Au-delà des questions liées au terrorisme, le sommet « Défi climatique et solutions africaines » de 2015, à mis en valeur le problème gravissime du lac Tchad,
- Son avenir est en effet préoccupant pour toute la région. Il faut savoir que la surface du lac a été divisé par 8 depuis 1973 et ce dossier, comme vous le dites, est très préoccupant au point qu’il est évoqué depuis plus de 20 ans lors de toutes les rencontres sur le climat, que ce soit à Copenhague, Rio ou Paris. La communauté internationale doit prendre conscience de la nécessité d’agir au côté du Tchad pour préserver cette réserve d’eau régionale vitale pour le Tchad mais aussi les pays frontaliers du lac comme le Cameroun, le Niger et le Nigéria à qui il fournit l’eau, soit plus de 40 millions de personnes. Pendant longtemps il a été un des plus grands lacs du monde, ce n’est plus le cas aujourd’hui et la NASA qui suit les variations du lac avec ses satellites prévoit dans une simulation climatique la disparition du lac à plus ou moins brève échéance. Ce qui serait une catastrophe épouvantable.
- On peut aussi s’étonner que ce pays, producteur de pétrole, reste aussi pauvre, comment l’expliquer ?
- C’est vrai que si en 2019, son PIB était encore de 3%, il est descendu à 0,6 % aujourd’hui, en grande partie parce que le pétrole, dont le pays est producteur depuis 2003 et qui génère près de 60% des ressources de l’Etat, a vu son cours baisser et que sa production a été suspendu en raison de la fermeture des frontières suite au coronavirus.
- J’ajoute que ce pays affiche un des taux les plus élevés de mortalité maternelle en Afrique centrale, un enfant sur cinq meurt avant sa cinquième année, selon la Banque mondiale, et que 42 % de sa population tchadienne vit en dessous du seuil de pauvreté.
- C’est tout à fait exact, et le Tchad est aujourd’hui classé par le Programme des Nations Unies, 187ème pays sur 189 pour l’indice de développement humain. L’actuel président a donc beaucoup à faire pour redresser une économie chancelante et espérons qu’il mettra ses 30 ans d’expérience à profit…. Il va de soi que je dis cela sérieusement pour le meilleur des tchadiens, mais avec une pointe d’humour aussi, on l’aura compris car je ne suis pas partisan d’une telle longévité en matière politique. C’est précisément le contre-exemple contre lequel je lutte et pourquoi je me bats au Sénégal.
- Je comprends, vous me permettrez toutefois de terminer cette émission « Cartes sur table » sur une note un peu plus positive, en rappelant que depuis une vingtaine d’années, on a découvert au Tchad des restes d’australopithèques vieux de sept millions d’années et que d’après certains scientifiques ils seraient les premiers représentants de la lignée humaine.
Il est temps maintenant pour moi de vous remercier Ibrahima Thiam …
C’est moi qui vous remercie, grâce à vous, nous pouvons ainsi réfléchir à la situation actuelle des pays africains en particulier comme nous l’avons fait précédemment avec le Sénégal, le Mali, la Côte-d’Ivoire et aujourd’hui le Tchad.
Interview réalisée par Jean-Yves Duval, Directeur d’Ichrono, et d’Ichrono FM et Rédacteur en chef de la radio Diasporavision édition française.