Suppléance inédite, dérive dangereuse : le piège du nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale

La récente adoption du nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale s’inscrit dans une démarche d’ouverture qu’il faut saluer. Elle vise à moderniser les règles parlementaires en associant, pour une fois, l’ensemble des groupes politiques, y compris l’opposition et les députés non-inscrits.

Cependant, au cœur de cette dynamique, un article retient l’attention par sa portée alarmante : l’article 15.

Sous couvert d’organiser la vacance du poste de Président, il introduit une faille de gouvernance sans précédent. Nous sommes face à suppléance sans pouvoir, une élection sans arbitre désigné, un Parlement réduit au silence tant que son Président n’est pas élu.

Une situation inédite et dangereuse que cette tribune entend démontrer point par point.

L’article 15 aborde enfin un sujet resté depuis longtemps dans l’ombre à savoir la vacance du poste de Président de l’Assemblée nationale. Il évoque trois cas : démission, empêchement définitif, décès. Jusque-là, rien à redire.

Cependant, alors qu’on attendait une procédure de continuité, on découvre une suspension pure et simple du pouvoir législatif.

Le texte interdit toute activité parlementaire tant que le Président n’a pas été remplacé, sans fixer de délai ni prévoir un mécanisme d’intérim. C’est un saut manifeste dans le vide institutionnel. Un verrou silencieux inséré au cœur du fonctionnement démocratique.

Partout où la démocratie est prise en compte, le vide institutionnel est comblé par des mécanismes clairs et opérationnels.

En France, le doyen d’âge, assisté des deux plus jeunes secrétaires, préside les séances jusqu’à l’élection d’un nouveau Président (article 2 du Règlement). Aux États-Unis, un « Speaker pro tempore » est immédiatement désigné dans une liste préétablie pour assurer l’intérim. Dans des pays africains comme le Bénin ou le Ghana, un vice-président (souvent le premier élu ou le plus âgé) assure automatiquement l’intérim sans interruption des travaux parlementaires. Ces systèmes assurent la continuité du pouvoir législatif. Le nouveau règlement sénégalais, lui, transforme un vide fonctionnel par la pratique en blocage légalement assumé.

Avant 2025, même sans texte explicite, la suppléance pouvait s’imposer naturellement. Le Premier Vice-Président assumait l’intérim, selon son rang et la coutume parlementaire.

L’article 9 du règlement de 2002 précisait que les Vice-présidents « peuvent le suppléer », fondant ainsi une suppléance de fait.

Avec cette nouvelle réforme, ce Vice-président ne supplée plus. Il constate, informe et s’éloigne. Aucune fonction, aucune capacité d’action. Même pas une compétence d’urgence.

La vie parlementaire est suspendue dans l’attente d’une élection dont le calendrier reste ouvert.

L’Assemblée passe ainsi d’un silence interprétable à un silence réglementaire absolu. Une République parlementaire en veille.

L’ambiguïté culmine dans cette phrase sibylline : « L’élection est présidée par un Vice-Président. » Mais lequel parmi les huit ? Sur quels critères ?

Ce flou ouvre la voie à toutes les manœuvres et peut aboutir e légitimement à la contestation de l’autorité de séance et donc la fragmentation de la procédure élective.

Ce vide peut même devenir un outil stratégique. Une vacance volontairement prolongée pourrait neutraliser l’Assemblée au moment le plus critique.

La réforme aurait dû instituer une suppléance active, assurée par le Premier Vice-Président ou à défaut le doyen d’âge non candidat, fixer un délai impératif pour organiser l’élection d’un nouveau Président, désigner clairement l’autorité présidant la séance élective et autoriser la poursuite d’actes administratifs essentiels en cas de vacance prolongée.

Cette réforme du règlement intérieur aurait pu être un signal fort de maturité démocratique. Mais dans sa version actuelle, elle consacre une anomalie dangereuse : un Parlement mis en pause, faute de procédure de continuité claire.

Et face à ce genre de silence réglementaire, la responsabilité des députés majorité comme opposition est de le briser.

Il n’est pas trop tard pour corriger le texte et inscrire dans notre droit parlementaire les principes de stabilité, de continuité et de clarté.

Thierno Bocoum, Président AGIR- LES LEADERS