Sénégal : Le malaise « Jeune Afrique »

Depuis près d’une semaine, Jeune Afrique cristallise les critiques au Sénégal. À l’origine de la controverse, un article publié le 28 avril dernier, intitulé « Jihadisme : le Sénégal est-il dans le viseur du JNIM ? », dans lequel le média panafricain, s’appuyant sur un rapport du Timbuktu Institute dirigé par le Dr Bakary Samb, évoque une tentative d’infiltration du Sénégal par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM). Une publication qui a immédiatement suscité un tollé.

Des voix s’élèvent, notamment au sein des organisations de la société civile et des sphères politiques, pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme une tentative de manipulation médiatique dans un contexte géopolitique sensible. Le Front pour une révolution anti-impérialiste, populaire et panafricaine (FRAPP), dirigé par le député Guy Marius Sagna (Pastef), a été l’un des premiers à réagir.

«Nous condamnons fermement la coïncidence troublante entre l’annonce du retrait progressif des troupes françaises et les récentes publications dans Jeune Afrique et sur RFI, qui laissent entendre que le Sénégal pourrait être la prochaine cible du groupe terroriste JNIM », a dénoncé le FRAPP, y voyant une stratégie des puissances impérialistes visant à conserver leur emprise sur l’Afrique sous couvert de lutte contre le terrorisme.

Dans la foulée, le Cadre de réflexion démocratique et patriotique CRDP-50 a appelé à des mesures plus radicales. Il demande au gouvernement de suspendre la diffusion de tous les supports de Jeune Afrique au Sénégal, cette fois non pas en raison des alertes sur le terrorisme, mais pour un autre article jugé tendancieux. Celui-ci remettrait en cause, selon le CRDP-50, la qualité du récent rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques.

Le dossier a désormais franchi le seuil de l’État. Selon le directeur de la Communication, Habibou Dia, une mise en demeure sera adressée à Jeune Afrique. Le gouvernement sénégalais reproche au média une série d’articles jugés diffamatoires, portant notamment sur le jihadisme, le rapport de la Cour des comptes, ainsi que le licenciement de fonctionnaires.

«Tous ces éléments ont été documentés dans un rapport. Le ministre nous a demandé d’agir. Les sanctions envisagées sont graduées : elles pourraient aller de l’expulsion du représentant local du média jusqu’à son interdiction complète. Nous n’en sommes pas là, mais des éclaircissements s’imposent », a précisé Habibou Dia.

Les réactions s’enchaînent jusque sur les plateaux de télévision. Sur Sans Limite, certains chroniqueurs appellent même à « se débarrasser » de Jeune Afrique, qualifié de « rambaaj » (fumiste). Le journal Yoor-Yoor, proche de Pastef, a titré à la une : « JA, le grand naufrage d’un média manipulateur ».

La défiance actuelle envers Jeune Afrique s’inscrit dans un climat sous-régional marqué par la méfiance croissante envers les médias occidentaux, en particulier français. L’influence politique présumée de ces médias alimente les soupçons. Une déclaration du président français exigeant que la presse relaie les positions de l’Élysée n’a fait qu’aggraver ce sentiment de méfiance, malgré les protestations internes de journalistes de France Médias Monde.

Historiquement, Jeune Afrique traîne une réputation controversée sur le continent. Accusé de chantage médiatique à des fins publicitaires, soupçonné de connivences avec certaines puissances occidentales, le média a été plusieurs fois au centre de polémiques. Son rôle lors de la crise post-électorale ivoirienne de 2010, où il a été accusé d’avoir diabolisé Laurent Gbagbo au profit d’Alassane Ouattara, reste dans les mémoires.

La crise actuelle n’est pas isolée. En août 2024, Jeune Afrique a été suspendu au Burkina Faso. Le président Ibrahim Traoré y avait dénoncé une tentative du média de redorer l’image du pays en échange de fonds. Au Mali, son correspondant a été expulsé dès 2022. D’autres médias internationaux comme la BBC ont également subi des suspensions ou des menaces similaires au Niger, au Tchad ou encore au Burkina.