Sénégal : la dégradation qui expose une gouvernance en faillite

La récente dégradation de la note souveraine du Sénégal par l’agence S&P, rétrogradée de B à B- avec perspective négative, est un signal d’alarme. Elle traduit un affaiblissement de la crédibilité financière du pays et une inquiétude croissante sur sa gouvernance économique. Pourtant, à en croire le communiqué du ministère des Finances, tout semble sous contrôle. La République du Sénégal “prend acte”, réaffirme son engagement pour la transparence, et rassure sur sa capacité à honorer ses engagements. Mais cette posture défensive, presque désinvolte, masque mal la gravité de la situation.

Car en réalité, cette décision de S&P n’est pas une surprise. Elle fait suite à des semaines de doutes exprimés par les marchés et les partenaires internationaux sur la fiabilité des données budgétaires, la soutenabilité de la dette, et la capacité de l’État à tenir ses promesses financières. Le ministère tente de justifier cette baisse en invoquant la publication volontaire de nouvelles données provisoires sur la dette, issues d’un exercice de “fiabilisation” réalisé avec un cabinet international. Cet argument ne convainc guère. Car s’il faut désormais recourir à des consultants extérieurs pour réconcilier les chiffres, c’est que l’administration financière elle-même a perdu le contrôle de ses propres instruments. Cette perte de maîtrise n’est pas seulement technique, elle est politique.

Plus grave encore, le communiqué évoque discrètement la poursuite des discussions avec le FMI autour d’un cas de “misreporting”. En d’autres termes, le Sénégal est accusé d’avoir transmis des données erronées ou incomplètes à une institution financière majeure. Pour un régime qui s’est fait élire sur la promesse de rupture, de transparence et d’éthique, cette révélation a un goût amer. Elle alimente l’idée d’un pouvoir plus soucieux de communication que de rigueur, plus prompt à l’incantation qu’à l’action structurante.

Dans ce contexte, les assurances du ministère sur la bonne mise en œuvre du plan de financement pour 2025 sonnent creux. Certes, des ressources ont été mobilisées sur les marchés domestiques et à travers des emprunts publics. Mais cette stratégie repose de plus en plus sur des leviers fragiles : confiance érodée, prime de risque accrue, pression sur les taux. En parallèle, on annonce avec insistance que le rebasage prochain du PIB viendra “améliorer” les indicateurs de dette. Ce raisonnement technocratique donne l’impression qu’on cherche à corriger la perception plutôt que la réalité. Or, ni les chiffres retraités ni les effets d’annonce ne suffiront à restaurer la crédibilité du pays auprès des investisseurs.

Ce qui se dessine, c’est une gouvernance en déséquilibre, qui peine à passer du discours à la méthode. Le pouvoir, incarné par Ousmane Sonko et ses proches, semble davantage concentré sur la mise en scène de son autorité que sur la gestion rigoureuse des affaires publiques. L’économie sénégalaise, déjà sous tension, n’a pas besoin de postures, mais de décisions claires, de réformes solides, d’une planification lucide. Face à une situation aussi critique, la tentation du déni est une faute. Ce n’est pas par des communiqués rassurants que l’on évitera la défiance, mais par une démonstration concrète de compétence, de sincérité et de discipline budgétaire. Pour l’heure, cette démonstration se fait toujours attendre.

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