Reddition des comptes ou mise en scène des comptes ? (Par Ibrahima Thiam)

Le régime actuel avait promis la reddition des comptes. Une promesse noble, presque sacrée : traquer les détourneurs, assainir la gestion publique, rendre au peuple son argent volé. Sur le papier, rien de plus légitime. En campagne, c’était même devenu une mélodie populaire : les anciens ministres étaient peints en vampires budgétaires, symboles vivants de la gabegie.

Mais dix-sept mois plus tard, le grand ménage promis tarde à commencer. Aucun ancien ministre n’a été sérieusement mis en cause pour détournement ou gestion douteuse. Pas la moindre preuve tangible n’a été produite pour confirmer ces accusations répétées avec tant d’assurance. À croire que les scandales annoncés n’existaient que dans les discours électoraux.

En revanche, là où la machine judiciaire s’emballe, c’est sur un autre terrain : celui du blanchiment d’argent. Une avalanche d’interpellations et d’arrestations s’appuie désormais sur les rapports de la CENTIF. Des citoyens, souvent éloignés de la gestion des deniers publics, se retrouvent accusés, exposés, parfois brisés, pendant que ceux qui ont effectivement eu la main sur les caisses de l’État passent, eux, curieusement entre les gouttes.

Ainsi, la reddition des comptes s’applique non pas à ceux qui ont géré, mais à ceux qu’on peut facilement atteindre. Les vrais décideurs semblent jouir d’une étrange immunité morale, pendant que d’autres paient pour donner l’illusion d’une justice active.

Cette inversion des priorités laisse un goût amer. La promesse d’assainissement s’est transformée en stratégie de diversion. On occupe l’opinion publique avec des dossiers spectaculaires, pendant que les véritables affaires de gestion dorment tranquillement dans les tiroirs.

Il ne s’agit pas de défendre qui que ce soit. Il s’agit simplement de rappeler que la justice ne se rend pas à la carte, ni au gré des rapports qui arrangent.

La reddition des comptes ne doit pas devenir une arme de communication ou un instrument de vengeance. Elle doit rester ce qu’elle aurait toujours dû être : une exigence d’équité, de transparence et de vérité.

Car, au fond, le peuple n’attend pas qu’on arrête pour impressionner, mais qu’on juge pour convaincre.

Et pendant que les comptes ne se rendent toujours pas, une autre traque, plus insidieuse, s’installe : celle des paroles libres. On ne poursuit plus seulement les gestionnaires, on cible désormais ceux qui osent questionner,

critiquer, déranger. La parole indépendante devient suspecte, la pensée critique, subversive.

La reddition des comptes promise se mue en reddition des consciences. Et c’est peut-être là, le plus grand détournement de tous.

Ibrahima Thiam

Président du parti ACT