Huit ans après sa sortie de prison et trois ans après son divorce d’avec Laurent Gbagbo, Simone Ehivet vise désormais la magistrature suprême en Côte d’Ivoire. Retour sur le parcours singulier de cette femme politique de 79 ans.
Née le 20 juin 1946 à Moossou, près de la station balnéaire de Grand-Bassam (sud-est de la Côte d’Ivoire), Simone Ehivet est la cadette d’une fratrie de quinze enfants. Orpheline de mère à l’âge de 5 ans, elle est élevée par son père, un gendarme. Après des études primaires à Moossou, Bouaké (centre) et Béoumi (centre), elle décroche son baccalauréat en 1970 au lycée classique d’Abidjan.
Passionnée par les lettres, elle obtient une licence à l’université d’Abidjan rebaptisée Félix Houphouët Boigny en 2012. Puis Simone Ehivet se forme à l’École normale supérieure d’Abidjan. Son parcours académique la mène ensuite à Paris-XIII, en France, où elle décroche une maîtrise, puis à Dakar, au Sénégal, où elle soutient un doctorat sur le langage tambouriné en 1981.
Du professorat à la lutte politique
De retour en Côte d’Ivoire, Simone Ehivet devient professeure de lycée et s’investit dans des mouvements syndicaux. Elle finit par diriger l’un d’entre eux : le syndicat des professeurs d’université. Mais très vite, la politique prend le dessus. En 1982, sous le régime du parti unique de Félix Houphouët-Boigny, elle cofonde clandestinement le Front populaire ivoirien (FPI) aux côtés d’autres militants dont Laurent Gbagbo, qu’elle épousera en 1989.
« Elle a été une militante engagée », se souvient Pascal Affi N’Guessan. « Elle faisait partie de ceux qui coordonnaient les cellules clandestines du FPI sur le terrain, pendant que Laurent Gbagbo était en exil », poursuit l’actuel président du Front Populaire ivoirien.
Après une première tentative infructueuse en 1990 à l’avènement du multipartisme, Simone Ehivet est élue députée d’Abobo, à Abidjan, en 1995 et elle préside le groupe parlementaire FPI. « Je la suis depuis les années 1990 alors que j’étais une jeune élève », raconte Bénédicte Konan, aujourd’hui cadre du Mouvement des générations capables (MGC), le parti de Simone Ehivet. « C’est elle qui m’a donné l’envie de faire de la politique. Elle a réussi à s’imposer dans un environnement dominé par des hommes », conclut cette militante des premières heures.
Du palais présidentiel à la prison
En 2000, lorsque Laurent Gbagbo accède au pouvoir après l’élection face au général Robert Gueï, Simone Ehivet devient première dame. Femme influente, elle joue un rôle central dans la mobilisation des bases militantes, notamment face à la rébellion qui a éclaté en 2002. Avant la chute du pouvoir FPI, elle était chargée de la stratégie politique de l’école du parti. Pour ses partisans, elle est une résistante qui s’oppose aux pressions de la rébellion, de la France et de la communauté internationale. Alors que, à l’époque, ses adversaires l’accusent de tous les maux.
L’élection de 2010 et la crise post-électorale qui s’ensuit bouleversent sa trajectoire. Retranchée aux côtés de son époux dans le sous-sol de la résidence présidentielle dans le quartier chic de Cocody, elle est arrêtée avec lui le 11 avril 2011. Laurent Gbagbo est transféré à Korhogo (nord) puis aux Pays-Bas. Simone, elle, est détenue à Odienné, dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire. Condamnée en 2016 à 20 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’État », elle bénéficie en 2018 d’une amnistie décidée par Alassane Ouattara, au nom de la réconciliation nationale. « En dépit de toutes les épreuves qu’elle a subies, quand elle sort de prison, elle n’a pas renoncé à son combat et à ses convictions. Elle est restée droite dans ses bottes. C’est ce qui m’a marqué chez elle », témoigne Franck Kouassi, coordonnateur régional du MGC dans le Gbèkè.
Une nouvelle page politique
Après sa libération, Simone Ehivet prend ses distances avec son mari Laurent Gbagbo, acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) et qui apparaît au grand public, aux côtés d’une autre femme, Nady Bamba. Le divorce est acté en 2023 par un tribunal d’Abidjan. Une rupture personnelle mais aussi politique : Simone Ehivet fonde en août 2022, le Mouvement des générations capables (MGC), affirmant vouloir incarner une alternative.
Mais quelle est la véritable force de cette nouvelle formation ? Selon Dr Edie Guipié, un politologue, il est « difficile d’évaluer le poids politique de ce parti vu qu’il n’a pas participé à une élection ». Cet analyste rappelle toutefois que « lors des dernières élections municipales, le MGC s’en est sorti avec cinq postes de conseillers municipaux grâce à ses alliances ». Puis de conclure : « La présidentielle va constituer un test grandeur nature pour ce jeune parti. »
La validation de la candidature de l’ancienne première dame par le Conseil constitutionnel a suscité un regain d’espoir chez ses partisans. « On a toujours eu des hommes à la tête de ce pays. Pourquoi ne pas essayer une femme ? » s’interroge une militante. Avant d’ajouter : « Simone Ehivet a les compétences pour diriger la Côte d’Ivoire. »
RFI