Pouvoirs renforcés pour quel résultat ? (par Baye Assane Fall)

L’annonce de l’élargissement des prérogatives du Premier ministre aurait pu marquer un tournant. Sur le papier, elle suggérait une volonté de rééquilibrer l’action publique, de renforcer la coordination gouvernementale, peut-être même d’insuffler un nouveau souffle à une machine d’État qui peine à répondre aux urgences sociales. Mais très vite, une question s’est imposée : à quoi sert la puissance institutionnelle lorsqu’elle ne produit aucun effet concret sur la vie des citoyens ?

À observer la scène politique actuelle, on a parfois le sentiment que l’accumulation de pouvoirs n’est devenue qu’un exercice de communication. Comme si l’on voulait rassurer l’opinion sur l’unité du duo exécutif, mettre en scène une cohérence qui peine à convaincre, alors que les murmures de dissensions au sommet se font insistants. On exhibe des textes, des décrets, des schémas administratifs, comme pour masquer un vide de résultats. Pendant ce temps, les Sénégalais, eux, restent dans l’attente une attente longue, silencieuse, épuisante.

Les nouvelles compétences du Premier ministre ressemblent alors à une architecture sans fondations. On peut la décrire, la commenter, la justifier mais elle ne tient pas debout. Car à quoi bon disposer de pouvoirs élargis si la trajectoire économique demeure incertaine, si les prix continuent de peser sur les ménages, si les étudiants sont toujours confrontés à des retards de bourses, si tant de jeunes diplômés errent dans un marché du travail sans débouchés ? Le décalage entre l’ambition institutionnelle et la réalité sociale devient presque vertigineux.

Ce qui frappe, finalement, ce n’est pas tant le renforcement des prérogatives que l’absence de vision qui devrait les accompagner. Le pays n’a pas besoin d’un Premier ministre « super fort » ; il a besoin d’un Premier ministre utile. Utile pour clarifier les priorités, utile pour affronter les défis structurels, utile pour engager des réformes qui parlent à ceux qui se lèvent tôt, qui espèrent, qui peinent. L’efficacité politique ne naît pas de l’accumulation des titres, mais de la capacité à transformer le quotidien.

Il y a, dans cette mise en scène du pouvoir, quelque chose d’irréel, presque théâtral. Comme si l’on changeait les costumes, les décors, les dialogues sans jamais réécrire l’intrigue. Et le public, c’est-à-dire les citoyens, finit par connaître la pièce par cœur.

À force de doter le Premier ministre de compétences toujours plus vastes, on pourrait croire que rien ne lui résiste sauf, paradoxalement, les problèmes qui comptent vraiment. Une étrange mécanique où le pouvoir se multiplie tandis que l’impact se réduit. Une contradiction qui interroge : à quoi bon étendre l’autorité si son exercice reste sans effet pour ceux qui subissent les difficultés les plus dures ?

Tant que ces nouveaux pouvoirs ne seront pas convertis en politiques publiques concrètes, tant que l’on donnera le sentiment que la réforme institutionnelle prime sur la réforme sociale, la rupture annoncée restera un mirage. Et les Sénégalais continueront de regarder cette scène politique où les décisions semblent s’adresser à tout le monde sauf à eux.

Baye Assane Fall
Responsable stratégie et prospective du parti ACT