« J’ai pendant longtemps utilisé cet ouvrage lors de mes enseignements à l’IUFM de Franche-Comté-Besançon pour aiguiser les regards et les esprits des futures enseignants et cadres de l’éducation nationale- Un ouvrage culte ». J B CISSOKO
« Aucun enfant ne naît noir et il faut plusieurs jours pour que la peau se pigmente. L' » identité » des jeunes Noirs de France elle non plus n’a rien d’immédiat. Elle est une construction culturelle traversée de confusions où se mêlent idéologie de la race, mémoires douloureuses ou mutilées, racisme réel ou fantasmé, bonnes ou moins bonnes intentions de la société » blanche « . Quel regard les enfants français de parents africains portent-ils sur la France, sur le » bled « , sur la culture de leurs parents, sur eux-mêmes ? Sont-ils aidés, ou au contraire gênés, par des termes comme » intégration « , » origines « , » communauté « , » métissage culturel » ? Le metteur en scène et dramaturge Jean-Louis Sagot-Duvouroux nourrit ce débat de son expérience personnelle et professionnelle : très impliqué dans la vie artistique du Mali, il s’est marié dans ce pays et son fils a la double nationalité. Il a également mené de nombreuses actions éducatives en banlieue parisienne. A partir de multiples exemples, il décrit avec une grande finesse la condition et les aspirations de ces filles ou garçons, originaires d’Afrique mais aussi des Antilles, bons ou mauvais sujets, français par choix ou parce que c’est comme ça, qui font tous partie de notre jeunesse. »J L S DUVAUROUX-
», Michèle Dacher -Voici un livre intelligent, vivant, lumineux sur la construction de l’identité des enfants français fils et filles d’Africains noirs. L’auteur base sa démonstration sur la société malienne où il a vécu et où il s’est marié.
J.-L. Sagot-Duvauroux part de la constatation que la désignation « Noir » « Blanc », ne se réfère pas, comme le langage y invite, à une pigmentation, mais à des représentations dominées par l’histoire de la suprématie blanche, laquelle imprime une dissymétrie absolue entre les deux identités.
L’enfant noir en France baigne dans la culture nationale dominante, y compris dans la langue française qui dénie sa langue maternelle. Il est un petit Français susceptible de s’éveiller à la malianité de son père alors que le regard d’autrui lui impose sans cesse d’être un petit Malien susceptible de s’ouvrir à la francité.
Le métissage culturel qu’il est censé vivre est une imposture car il est boîteux : l’enfant ne connaît rien de la « grande histoire » africaine qui n’est pas enseignée à l’école, il ne connaît pas non plus les savoirs généalogiques qui ont structuré l’identité de ses parents, sa culture africaine se réduit à quelques éléments folkloriques qui ne peuvent faire le poids devant l’écrasante omniprésence de la culture ambiante.
De plus, les pères immigrés transmettent de l’Afrique des images erronées parce que figées, telles que la grande misère du pays, qui justifie leur immigration, alliée à une vision aussi idyllique que fausse de la société malienne.
Enfin le rêve du retour est celui des pères et non celui des fils, encore moins des filles. L’enfant noir ne peut pas dire aux Maliens restés au pays la vérité sur la réalité sociale française car ceux-ci ne veulent pas l’entendre :
ils veulent venir consommer dans le « centre commercial de la planète. » Les enfants français à peau noire doivent donc se construire sur cet ensemble de faux semblants. Par ailleurs, l’auteur évoque les graves échecs, pour la construction de la personnalité de l’enfant noir, du voyage au « bled » où les attentes des pères immigrés, de leurs enfants français et de la famille malienne sont toutes fondées sur des malentendus. Il montre l’écartèlement de l’enfant noir entre la loi des pères africains qui apparaît dévalorisée et inefficace dans le contexte social où ils vivent et la loi française qui ne remplit pas pour eux sa fonction symbolique.
En effet, les nombreuses difficultés rencontrées en France font d’eux des citoyens de seconde zone dont l’origine est vécue comme un handicap ; d’où la tentation de la délinquance, c’est-à-dire de l’adoption d’une loi opposée. Les refus de la société française à leur égard leur interdisent de voir dans leur intégration un projet universel de liberté comme l’avaient vu les immigrés blancs des générations précédentes.
Mais la nécessité de trouver un ersatz de structuration qui leur permette de mettre des mots sur ce qu’ils sont et ce qu’ils vivent peut les conduire à choisir une religion étrangère à la France : l’islam, ; à instrumentaliser d’autre part leur origine africaine par la nécessité de donner une réponse au regard de l’autre : ils vont racialiser leur identité et revendiquer leur blackitude, d’un mot américain qui les distancie à la fois de la France et de l’Afrique. Ce retour à la race traduit une révolte contre la République vécue comme une marâtre, appel mortifère et suicidaire. L’auteur note que la démocratie impériale s’est présentée comme un processus permanent de progrès, où ceux qui n’y trouvaient pas leur compte étaient considérés comme de simples retardataires, mais que pour la première fois quelqu’un s’est opposé à ce consensus global : Oussama Ben Laden, signifiant la fin des espoirs collectifs et le retour aux hiérarchies raciales.
J.-L. Sagot-Duvauroux examine ensuite la situation des filles d’immigrés et constate qu’elles sont dramatiquement opprimées par une misogynie patriarcale de plus en plus fascisante en même temps qu’elles passent, en Afrique, pour des filles trop libres. Mais elles tiennent mieux que leurs frères leur place dans la société française car elles peuvent s’identifier à l’humiliation de leur mère sans s’opposer à leur francité.
4Il rappelle par quelques exemples de trajectoires différentes, que tous les Noirs ne se ressemblent pas. Il trace un bref historique de la figure du Nègre. Il conclut sur un constat fort sombre qui serait à discuter longuement : les progrès de l’Europe se seraient faits au prix de l’écrasement du reste du monde, produisant une véritable scission entre deux humanités, deux vérités étanches. Il s’en suivrait une crise du langage, les mots ne signifiant plus la même chose pour les uns et les autres ; une crise de la citoyenneté, les symboles communs ayant disparu et l’argent devenant la seule échelle de valeurs unanimement reconnue ; une crise de la mondialité, les gens circulant à travers la planète tandis que les autorités nationales ne cherchent qu’à renforcer les barrières ; une crise de l’histoire enfin arrivée au bout de sa course au progrès et au bonheur. Il rêve d’une réconciliation entre l’Europe et l’Afrique sur le modèle de la sinankuya, la relation à plaisanterie du monde mandé.
Référence papier
Michèle Dacher, « SAGOT-DUVAUROUX, Jean-Louis, 2004, On ne naît pas Noir, on le devient », Journal des africanistes, 75-2 | 2005, 158-160.
Référence électronique
Michèle Dacher, « SAGOT-DUVAUROUX, Jean-Louis, 2004, On ne naît pas Noir, on le devient », Journal des africanistes [En ligne], 75-2 | 2005, mis en ligne le 27 mars 2007, consulté le 07 juin 2024. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/163 ; DOI : https://doi.org/10.4000/africanistes.163