« Nasir al-Din al-Tusi, philosophe du progrès », de Maxime Delpierre : persistance de la philosophie dans le chiisme médiéval
L’islamologue met au jour l’apport décisif de Nasir al-Din al-Tusi, penseur du XIIIᵉ siècle.
Par Meryem Sebti (philosophe) journal le monde du dimanche lundi 10/11-05/2025
Le commentaire des Isharat ( Indications ) d’Avicenne par Na ? ir al-Din al-? usi est une oeuvre majeure de la philosophie islamique. Non seulement il fonde une tradition exégétique, mais il fait triompher une figure « gnostique » de la philosophie d’Avicenne, précipitant la constitution d’un avicennisme « iranien » , où se rencontrent divers courants philosophiques, théologiques et spirituels de l’Islam (shi’isme, soufisme, etc.). Le conflit d’interprétation qui se joue avec le théologien ash’arite Fakhr al-Din Razi est décisif.
Car la défense d’Avicenne va de pair avec le projet plus général de constitution d’une théologie philosophique shi’iite, qui bientôt consacrera à son tour l’autorité de Ousi comme guide spirituel de son temps. Si, au milieu du chaos des invasions mongoles et de la chute du califat, la pensée du progrès traverse, comme un fil directeur, sa vie et son oeuvre, c’est qu’il conçoit la pensée comme progrès.
Une étude du commentaire des Isharat d’Avicenne par Nasir al-Din al-Tusi, oeuvre majeure de la philosophie islamique. Les conflits d’interprétation sont notamment évoqués, ainsi que le projet de constitution d’une théologie philosophique shi’iite. ©Electre 2025
Un portrait d’Avicenne, dont Nasir al-Din al-Tusi a commenté l’œuvre. BRIDGEMAN IMAGES
« Nasir al-Din al-Tusi, philosophe du progrès. Retour au sens d’Avicenne », de Maxime Delpierre, Vrin, 704 p., 58 €.
Depuis une vingtaine d’années, la réception de la pensée du philosophe persan Avicenne (980-1037) dans le monde islamique classique fait l’objet d’un profond renouvellement. Longtemps dominant, le discours qui voyait en lui l’un des derniers héritiers de la tradition grecque et annonçait la disparition de la philosophie en terre d’islam après le XIIe siècle ne tient plus face aux travaux récents. Le livre de Maxime Delpierre, Nasir al-Din al-Tusi, philosophe du progrès, s’inscrit dans cette dynamique, qu’il vient enrichir de manière décisive.
Né à Tus, dans une famille chiite, et mort à Bagdad, Nasir al-Din al-Tusi (1201-1274) est une grande figure de la tradition intellectuelle islamique, à la fois théologien de premier plan, philosophe, astronome et mathématicien. Il vécut dans une époque marquée par le chaos politique : les invasions mongoles, la destruction de la grande bibliothèque d’Alamut, la chute de Bagdad en 1258, marquant la fin du califat abbasside, sont autant d’événements qui