Mohamed Mbougar Sarr, écrivain : « L’histoire n’est pas réversible, on ne peut pas défaire des siècles de colonisation »

Le lauréat sénégalais du prix Goncourt 2021 s’interroge sur le sens du souverainisme tel qu’il s’incarne aujourd’hui en Afrique de l’Ouest, entre exaltation du passé précolonial du continent et mépris du jeu démocratique.

Quelle place pour l’Afrique dans un monde fragmenté ? A l’heure où le multilatéralisme subit une attaque sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Le Monde donne la parole à plusieurs personnalités originaires du continent. Ecrivain, scientifique, cinéaste, juriste ou influenceuse, installés hors de leur terre natale, ils se confient sur leur perception du basculement en cours et sur l’avenir qu’ils imaginent pour le continent le plus jeune de la planète.

Dans ce premier épisode, l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021 pour son roman La Plus Secrète Mémoire des hommes, met en garde contre la mythification et l’instrumentalisation politique de l’histoire coloniale.

Vous êtes né à Dakar, avez étudié à Saint-Louis-du-Sénégal avant de vous installer en France, où vous vivez aujourd’hui. Qu’est-ce qu’être Africain pour vous en 2025 ?

C’est être exposé à une constante menace sécuritaire, écologique et politique. Surtout, c’est être encore dépendant de ce que les pays dits riches veulent bien nous accorder. Quand cinq présidents africains s’humilient et sont humiliés à la Maison Blanche, ils l’acceptent au nom de la survie économique de leurs pays [les dirigeants du Liberia, du Sénégal, de la Mauritanie, de la Guinée-Bissau et du Gabon ont été reçus à Washington le 9 juillet pour une rencontre consacrée officiellement à des questions commerciales, d’investissement et de sécurité]. Voir ces chefs d’Etats pétrifiés, tenter de convaincre Donald Trump de l’utilité de leur pays pour les Etats-Unis, m’a beaucoup affecté. C’était une mise en scène aux relents