«Minuit une»: Amel Bent veilleuse de nuit

Elle avait disparu de tous nos écrans depuis deux ans. Amel Bent nous livre ses nuits les plus sombres sur Minuit une. Un album introspectif, où elle s’adresse à sa grand-mère défunte, sa mère, ses enfants ou encore elle-même. Porté par des musiques et des paroles percutantes.

RFI Musique : D’où vient le titre de ce nouvel album Minuit une ? 

 Amel Bent : Quand j’ai commencé à gratter « Décharge mentale », il était autour de minuit et pour les besoins de la rime « Minuit une, je sors de mon lit » sonnait bien. Minuit, c’est l’heure du crime, la fin d’un jour, le début d’un autre. C’est criant de réalisme. On imagine l’écrin, le contexte, le silence des rues. Pour moi, la nuit a longtemps été une source d’angoisse et d’ébullition… Quand j’ai commencé la vie d’artiste, cette ébullition pouvait se justifier en veillant tard avec des musiciens, en faisant des sessions nocturnes. Je pensais être un oiseau de nuit. La maternité a remis les pendules à l’heure (rires). Quand j’ai vécu le deuil de ma grand-mère, fin 2023, je me suis retrouvée seule la nuit, à raisonner à l’infini, comme lorsque j’étais enfant. Mais cette source d’angoisse et de chagrin s’est transformée. Ce sont devenus des moments de récupération pour m’écouter à nouveau. Qui m’ont permis d’aborder ces thèmes pour mon disque. 

 Vous rendez hommage à votre grand-mère sur « Mima », aux sonorités orientales. Que vous a-t-elle apporté ?

La liste est tellement longue ! Elle a été une nounou, une maman de substitution dans mes moments de rébellion, un père comme je n’en avais pas. Elle a fait de moi une femme qui ne s’est jamais sentie oppressée en tant que telle. Ainsi, lorsqu’on me faisait des remarques déplacées, je pensais qu’elles étaient liées à ma condition de pauvre ou de banlieusarde.  Parce que j’ai été élevée par cette femme qui symbolise la puissance, le charisme. Ma mère pensait que je ne trouverais jamais de mari, car j’ai été élevée en amazone. Et puis de l’amour avec un grand « A » toujours.  

 « Décharge mentale » aborde la charge mentale. Cela vous a touché personnellement ?

Je l’ai ressentie pendant la fin de vie de ma grand-mère. On devait être dans l’action parce qu’elle avait besoin de nous et qu’on était devenues aidantes pour cette vieille dame de 90 ans. J’ai écrit « Décharge mentale » pendant ces deux mois et demi de fatigue physique et émotionnelle. Je sortais d’un disque et d’une tournée qui s’étaient très bien passés. La descente est difficile ; ça fait 20 ans que je chante et je n’y arrive toujours pas… On en sort fébrile, très triste. J’ai attaqué le lendemain les jours de garde à l’hôpital, c’était très dur.

 Le clip de cette chanson cumule déjà plus de 15 millions de vues sur les réseaux. Comment expliquez-vous son succès ?

Peut-être d’avoir exprimé naïvement un moment où j’étais dans le dur. C’est tellement réel que beaucoup s’y sont reconnus. « Décharge mentale », pour moi, ce n’était même pas une chanson, c’était comme ma « to do list » avec des rimes ! Ce qui m’a décidé à l’enregistrer, c’est que les gens se mettaient à pleurer en l’écoutant. Je l’ai faite écouter à une dame, huit mois avant la sortie du disque, au lavomatique, et elle s’est mise à pleurer. Ma sœur qui venait d’accoucher, et même ma meilleure amie qui semble avoir une vie de rêve, se sont effondrées. Je crois qu’il n’y pas une seule femme, mère ou pas, qui ne soit pas concernée par les problématiques du quotidien, ce que nous demande la société, l’école, les parents… On est tout le temps sollicitées.

 Vous chantez « Météore » avec le rappeur Nadjee dont le flow est assez incroyable. Comment l’avez-vous rencontré ?

Grâce à une photo Instagram que j’avais prise à l’envers par mégarde ! (Rires) Je ne savais pas qu’on pouvait les retourner. En tapant  « à l’envers » dans la barre de recherche, je suis tombée sur la chanson de Nadjee. J’ai adoré, j’ai cherché qui était ce gars qui m’avait fait pleurer avec quatre mesures. Il n’avait pas encore sorti d’EP, je lui ai immédiatement écrit avec son sens du rythme, son flow et une mélancolie qui semble plus forte que lui. On avait travaillé sur le précédent disque et le revoilà ici.

 Dans « Personne » en duo avec Susanoô, rappeur, mais aussi producteur (RK, La Fouine, Ninho ou YL), vous chantez « je crie, mais il n’y a personne » …

C’est la solitude qu’on subit comme une prison intérieure. On peut être très entourés, mais comme emmurés. Ce sont des moments terribles, cette prison psychologique où on est coupés de tout et même parfois de soi. J’avais eu un coup de cœur pour Susanoô en le voyant chanter Aznavour qui est mon idole absolue. Quelque chose m’a intrigué, il est venu en studio et on a fait le morceau en une après-midi.  

 Ce morceau, ainsi que le très rock « Sous l’eau », sont traversés par la mélancolie…

Je raconte ce qu’il se passe quand on est en bas et comment on remonte. Ce disque aurait été sombre sans lumière. Je veux partager avec les gens le fait qu’on frôle tous la rupture, mais qu’on peut s’en sortir en trouvant des ressources en soi et chez les autres. Et qu’on peut profiter de ces moments pour se poser les bonnes questions.

 Vous avez co-écrit et co-composé « Triste » avec Vita mais aussi Vianney. Qu’apporte-t-il à votre musique ?

Quelque chose de lumineux. C’était un morceau beaucoup plus triste avant qu’il n’intervienne dessus. J’étais vraiment triste (rires) tout le temps partout. Il dit la même chose, mais avec plus de nuance.

Vous avez fait chavirer le festival de Cannes pour votre rôle dans Ma Frère. Vous y jouez une femme qui console et apaise les tensions. Est-ce que c’est ainsi que vous voyez votre métier de chanteuse ?

 Oui, carrément ! Je pense même que c’est ma mission sur terre. Cela a commencé petite, je me souviens de ma tante qui venait à la maison manger et me tendait une pièce pour que je lui chante une chanson. Elle me disait « ça me fait du bien au cœur ». Pour moi, chanter c’est s’offrir un moment de communion. Je regarde les gens dans les yeux. C’est comme une offrande, on se console sans se connaître.

 Après une tournée dans toute la France, vous serez au mois d’avril 2026 à l’Accor Arena de Paris pour un concert exceptionnel. Comment les envisagez-vous ?  

À chaque fois, comme les plus beaux rendez-vous de ma vie. Si à terme, comme les chanteurs d’avant, je pouvais ne plus faire que ça, cela serait génial. J’aimerais être sur scène six mois de l’année. C’est tout ce que j’aime. Ça me rend heureuse. Je compte les jours.