Malgré la percée du candidat d’extrême droite au premier tour, c’est finalement le pro-européen Nicusor Dan qui a remporté dimanche l’élection présidentielle en Roumanie. Intellectuel engagé, le maire centriste de Bucarest a bâti sa carrière politique sur la lutte contre la corruption qui gangrène la classe politique roumaine.
L’Union européenne peut pousser un ouf de soulagement. Nicusor Dan, qui s’est fait connaître en luttant contre la corruption à Bucarest, a remporté la présidentielle en Roumanie, dimanche 18 mai. Un engagement que le discret maire pro-européen de la capitale veut désormais mettre en œuvre dans l’ensemble du pays.
Il faisait face à une équation complexe au lendemain du premier tour : comment rattraper le retard de 20 points sur son adversaire, le nationaliste George Simion ? Profitant d’un important report de voix, il a finalement remporté le duel avec plus de 54 % des suffrages grâce à la forte mobilisation des Roumains, « un moment d’espoir » qu’il a salué devant des partisans survoltés.
« Il faut aussi souligner que Simion a été très mauvais dans l’entre-deux tours et ses discours radicaux et brutaux l’ont desservi », estime sur France 24 l’historienne Catherine Duraudin, en rappelant que l’ancien hooligan ultranationaliste a multiplié les outrances, notamment en comparant la France au régime iranien.
« La participation a été historique face au risque que représentait le candidat de la droite radicale », explique de son côté Joséphine Staron, directrice d’étude et relations internationales du cercle de réflexion Synopia. « On peut donc estimer que beaucoup d’électeurs ont voulu faire barrage et que ce n’est pas à 100 % un vote d’adhésion pour Nicusor Dan « .
Une image de probité
À 55 ans, Nicusor Dan a décidé de se lancer dans la course après « le choc » du 24 novembre, quand l’élection a été dominée par Calin Georgescu – une figure d’extrême droite que personne n’attendait – puis annulée sur fond de soupçons d’ingérence russe.
Il s’est vu en homme providentiel après avoir constaté que l’ascension de l’extrême droite était en grande partie due au rejet d’une classe politique « corrompue » et « arrogante », aux manettes depuis la fin du communisme en 1989. C’est donc avec son thème favori qu’il est parti au combat, sous le slogan « La Roumanie honnête ».
« Cela ne peut pas continuer ainsi, nous voulons du changement », disait-il la semaine dernière à ses partisans. « Il nous reste encore un petit pas à faire pour que nous disposions enfin d’autorités capables de bâtir ensemble la Roumanie dont nous rêvons », et de surmonter « la haine et les divisions ».
Les analystes estiment que son absence relative de bagage politique a joué en sa faveur dans un pays où les hommes politiques sont invariablement perçus comme corrompus. Pendant la campagne, son mode de vie simple a été abondamment commenté. Nicusor Dan loue une petite maison de trois pièces dans un quartier défavorisé de Bucarest où il vit avec sa compagne et ses deux enfants.
« Nicusor Dan n’a jamais eu de problèmes d’intégrité ni été accusé de corruption », rappelle l’analyste politique Costin Ciobanu au site Balkan Insight. « Dans un pays où la corruption est un problème pour une grande partie de la population, il est perçu comme un politicien honnête ».
Modéré, le centriste s’est posé en candidat « anti-establishment » lors de la campagne, à l’image de son rival d’extrême droite, expliquait sur l’antenne de France 24 Oana Popescu-Zamfir, directrice et fondatrice du centre de réflexion GlobalFocus. « Nicusor Dan est un candidat plutôt réformiste, qui a mis en avant son expérience au sein d’une ONG et s’est présenté en indépendant ».
Brillant mathématicien
S’il prône le changement au niveau interne, il ne compte en revanche rien changer en matière de politique étrangère : son soutien à l’Ukraine est infaillible et son engagement européen aussi. Une carte qu’il a mise en avant pour l’emporter face à « l’isolationniste » George Simion.
Nicusor a notamment promis des pourparlers rapides avec les partis pro-européens et pro-Otan lui qui a déjà négocié des majorités en tant que maire indépendant de la capitale roumaine pendant deux mandats.
Né le 20 décembre 1969 à Fagaras, en Transylvanie (centre), où il a voté dimanche en hommage à ses racines, Nicusor Dan est un petit prodige des mathématiques.
Vainqueur à deux reprises des Olympiades internationales, il part étudier dans les années 1990 en France, d’abord à Normale Sup puis à la Sorbonne où il décroche un doctorat.
De retour en Roumanie, ce chercheur et professeur à l’université se tourne vers l’activisme civique, militant contre le développement urbain illégal et pour la préservation des bâtiments historiques.
À la tête de son association « Sauvez Bucarest ! », il gagne des dizaines de procès et se fait connaître du grand public.
Ce qui lui donne des envies de politique, même si cette carrière l’accapare aujourd’hui trop au goût de sa fille, raconte à l’AFP ce père de deux enfants.
Un profil de « gestionnaire »
Le militant fonde un parti réformateur devenu USR en 2016, mais le quitte sur un désaccord car il préfère ne pas prendre position en ce qui concerne les sujets LGBT+, dans un contexte d’hostilité en Europe centrale et orientale.
Après deux tentatives infructueuses, Nicusor Dan accède en 2020 à la mairie de Bucarest avant d’être facilement réélu quatre ans plus tard.
Il se vante d’avoir modernisé le système de chauffage et les installations sportives, tout en sauvant la ville de la faillite. Ses détracteurs lui reprochent son manque d’aplomb et de charisme. S’il reconnaît ne pas être « un grand communicateur », il dit avoir fait des progrès au fil des ans.
« Il est davantage dans un registre de gestionnaire mais c’est vraiment un type honnête » qui maintiendra la Roumanie sur « le droit chemin », estime auprès de l’AFP le politologue Sorin Cucerai.
Tout heureux à l’annonce de sa difficile qualification au premier tour, ce candidat indépendant s’est montré combatif dans l’entre-deux-tours et a occupé l’espace médiatique tandis que son adversaire laissait souvent sa chaise vide. Comme pour effacer l’image d’intellectuel réservé qui lui colle à la peau.
Avec AFP