L’image est puissante mais il faut la repenser. Pape B CISSOKO
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Le photographié dans la photographie se présente visuellement à nous. Il est proprement vu. Regardant une photo, c’est lui qu’on voit. En personne. A la lettre, il est perçu. Le photographié dans son paraître n’est supposé redevable qu’à la pure photogénie. Il s’agit de restituer la photographie au phénomène, au visible, et de la soustraire du même coup aux commodités du discours spécialisé, théorique, esthétique, critique. Voir reste donc ici une affaire constante. Méditer sur ce que nous voyons, et dire comment nous le voyons dans une photo. On aura soin pour cela d’invoquer la naïveté préservée d’une vision profane, qui n’est même pas celle d’un amateur. Plus que cela, c’est la volonté phénoménologique qui est requise pour voir, exactement voir, une photographie.
© Editions Jérôme Millon 1985 – 2023
Aux nouvelles technologies de l’image et aux enjeux actuels de la culture.
Cet essai phénoménologique d’Édouard Pontremoli s’adresse au lecteur soucieux de comprendre la photographie comme modalité particulière du visible. Pour ce philosophe, la phénoménologie constitue la méthode la plus appropriée « pour faire droit à la spécificité du mode d’apparaître photographique ». La photographie se singulariserait par une exceptionnelle aptitude à faire vrai. Une disposition « naturelle » que seule la réduction phénoménologique, par une mise entre parenthèses de la culture et de l’histoire, permettrait d’élucider. En d’autres mots, Pontremoli vise à expliquer « l’intensité originaire » de la photographie en désengageant la science, l’esthétique et la sociologie de son parcours réflexif et discursif. Pour définir cette expérience sensible de la photographie, l’auteur procède à une réflexion approfondie sur ce qu’il qualifie être « l’énigme de la photogénie ». Qu’est-ce donc que cette photogénie? « Un pouvoir naturel, dira Pontremoli, de porter les choses visibles à la rencontre de notre regard présent ».
Il souhaite démontrer que la photographie, par son effacement de la manipulation humaine, possède un pouvoir photogénique permettant aux êtres et aux choses « d’illuminer leur propre manifestation ». Là réside « l’excès du visible ». Selon lui, le photographié dans son paraître n’est redevable qu’à la pure photogénie.
Peut-être vous dites-vous déjà que le vocabulaire phénoménologique pourrait vous peser ? Une fois compris ce qu’entend l’auteur par « photogénie », « paraître » ou « photographié », la lecture se simplifie considérablement. Pontremoli fait peu usage du vocabulaire souvent bien abstrus de la phénoménologie. Qui plus est, les qualités littéraires pourront être appréciées par le lecteur moins familier avec ces « effets de style » phénoménologiques : « Photographie. Émanation des choses. C’est leur souffle qui dépose leur épiderme sur les parois de la boîte noire ».
De petits bijoux de phrases qui ne sont pas sans évoquer par moments la plume de Roland Barthes.
Bien que nettement plus affirmatif dans ses allégeances phénoménologiques, il faut en effet rapprocher, dans leurs visées méditatives, Pontremoli du Roland Barthes de La chambre claire. D’ailleurs Pontremoli cite abondamment Barthes soulignant ainsi les moments marquants de cette première approche très embryonnaire d’une phénoménalité de la photographie. Pontremoli a cependant le mérite de transgresser l’obsession de Barthes pour le référent : « l’image conservée n’est pas un vestige du passé, un témoin fragmentaire du naufrage, une relique. C’est un corps glorieux qui s’anime dans l’encadrement arbitraire du support et s’impose à nos yeux ». Pour Pontremoli, le photographié marque toujours de sa présence réelle l’expérience sensible du regard qui le scrute.
Ce souci de l’expérience sensible actuelle peut toutefois paraître paradoxal si l’on prend en considération le fait que l’auteur a choisi de ne pas élaborer ses réflexions phénoménologiques à partir d’images spécifiques. En refusant son incarnation, il fait de la photographie un « personnage » quasi mystique.
Certes ce parti pris généraliste sert magnifiquement bien la dimension littéraire de l’ouvrage mais nous laisse pantois quant à la rigueur philosophique. À cet égard que penser de son énoncé en introduction dans lequel il nous prévient de ne pas faire grand cas des préoccupations esthétiques, comparant à plusieurs reprises peinture et photographie, et émettant des jugements esthétiques d’une naïveté parfois déconcertante. En outre, ses commentaires nous laissent totalement perplexes quant à ses connaissances de l’art du XXème siècle : « La photographie, elle, n’est tâcheronne que lorsqu’elle affiche des prétentions directement esthétiques, et qu’elle s’évertue précisément à ne pas ressembler » –
« Dans son entourage artistique, la photo fait figure de parent pauvre avec ses manières dociles et réalistes ».
On croirait lire Baudelaire… Bref l’auteur aurait gagné à demeurer entièrement fidèle à cette volonté phénoménologique de se soustraire « aux commodités du discours spécialisé, théorique, esthétique, critique ».
Quoiqu’il en soit l’ouvrage présente un caractère méditatif extrêmement prenant et constitue une merveilleuse aventure littéraire, poétique. En fait, ce livre plaira beaucoup s’il est abordé comme une fiction où la photographie agit comme personnage central :
Ce texte est reproduit avec la permission de l’auteur.© Christine Desrochers « La photo dérange, comme si venue du fond du monde commun, elle ne quittait jamais l’insolite et inaccessible outre-monde du temps écoulé ».