Au village de Teug Daara (commune de Thiakhar, département de Bambey), la poterie est devenue un moyen d’autorisation des femmes. L’activité est certes compromise par plusieurs difficultés, mais ces dames ne comptent pas abandonner. Elles sont motivées par l’ambition de préserver ce legs transmis par leurs devancières.
BAMBEY – Le long de l’axe Diourbel-Bambey, particulièrement à Keur Saër, le décor est charmant, sublime par endroit. À intervalles réguliers, est exposée une panoplie de produits potiers allant des encensoirs aux canaris et d’autres objets d’art plus ou moins colorés conçus et fabriqués par des mains expertes pleines d’ingéniosité et de créativité. Difficile de passer sur cet axe, sans être séduit par ces trésors qui témoignent du savoir-faire local. Les amateurs de poterie seront surpris de découvrir des produits si merveilleux. Malgré la chaleur accablante, de bonnes dames bien dressées derrière leurs étals sont à pied d’œuvre pour accueillir de potentiels acheteurs, leur présenter leurs produits. De temps à autre, quelques véhicules s’immobilisent.
On dévore des yeux, marchande, achète. Ce business, qui attire l’attention des voyageurs, fait partie de l’identité de Keur Saër, village logé dans la commune de Thiakhar. Et pourtant, ces objets d’art ne sont pas fabriqués sur place. Elles sont l’œuvre des femmes de Teug Daara, situé à 5 kilomètres. Pour accéder à cette agglomération, la voiture ou la moto doit franchir le passage à niveau du chemin de fer, puis souler encore quelques minutes. Arrivé sur place, le visiteur aperçoit l’avancée des semis des champs de mil et d’arachides.
La localité n’est pas animée en cette matinée du jeudi 23 janvier 2025. Le développement des cultures et la fraîcheur qui sévit témoignent qu’on est en plein hivernage certes, mais les villageois sont restés dans leur domicile respectif. Ils ont pris congé des travaux champêtres après une forte pluie enregistrée pendant les premières heures de la matinée. Le calme plat qui règne dans les champs est souvent déchiré par les gazouillements des oiseaux ou les bruits des charrettes en partance pour Ker Saër.
L’hivernage avance donc à grands pas au village de Teug Daara, grâce aux grandes quantités de pluies survenues pendant ces derniers jours. Mais ces eaux ne sont pas favorables à la production d’encensoirs et de canaris. Elles ont d’ailleurs ralenti cette activité. C’est ce que nous révèle Khady Diop, habitante de la contrée et productrice d’encensoirs et de canaris. La dame informe avoir observé une pause depuis environ un mois. Trouvée à son domicile, la dame supervise les travaux domestiques effectués par ses filles.
À Teug Daara, les encensoirs et canaris font partie du décor. On les retrouve presque dans toutes les concessions. Ces matériels sont produits à partir du mélange d’argile et du kaolin. Selon Khady Diop, le mixage de ces deux produits leur permet d’avoir la matière de base pour effectuer la fabrication. Après cette première étape, elles vont cuir l’objet fabriqué dans un four artisanal pour le rendre plus dur.
Extraction de kaolin à Bambey
La description faite par cette dame paraît simple, mais sur le terrain, la pratique relève du parcours d’un combattant. Amy Gackou indique qu’il existe des opérations préalables à la fabrication à savoir la collecte de l’argile et du kaolin. Elle informe également qu’il leur est difficile de trouver de l’argile et du kaolin. Si le premier est extrait dans leur village, le second est à rechercher à Bambey (vers l’autoroute à péage Ila Touba). L’extraction des ressources du sous-sol exige beaucoup d’efforts physiques et financiers. Ces braves femmes sont contraintes d’aller dans les brousses, creuser pour trouver l’argile et le kaolin.
Après leur extraction, ces deux éléments sont pilés et tamisés avant d’être mélangés pour la fabrication. La productrice souligne qu’elles ont mis en place une organisation leur permettant d’alléger la cherté du transport. Pour ce faire, ces villageoises ont privilégié la solidarité. Cette planification consiste à voyager ensemble à Bambey, en louant une charrette à 1000 FCfa. Fatou Thiam souligne que ce système est plus solidaire et dissipe les contraintes d’insécurité. « C’est compliqué d’aller trouver une voiture de transport à la route nationale parce que nous quittons ici après la prière de l’aube. Nous passons la journée dans les carrières, puis au retour, nous payons le transport de nos sacs à 500 FCfa l’unité », fait-elle remarquer.
À l’heure actuelle, ces dames ont suspendu leurs travaux de production. D’après Fatou Thiam, l’hivernage n’est pas favorable à l’extraction de l’argile et à l’utilisation des deux fours artisanaux du village. Ces deux instruments ne suffisent pas pour satisfaire les besoins de la centaine de femmes de Teug Daara. Malgré cette insuffisance, certaines d’entre elles parviennent à produire 30 encensoirs ou 15 canaris par jour. Elles profitent de l’occasion pour solliciter, des bonnes volontés, un four électrique leur permettant d’augmenter leurs productions et réduisant leurs efforts physiques. « Dans le passé, une Ong nous avait dotées d’un four, mais le matériel n’a pas duré. Il était alimenté par gaz. Nous voulons un four électrique qui pourra nous soulager », plaide Daro Thiam.
Mévente causée par l’autoroute Ila Touba
À Teug Daara, la fabrication des poteries est une tradition qui se transmet par liens de parenté ou d’alliance. Le village est habité par des forgerons. Les premières femmes du village avaient décidé de se consacrer à cette activité pour soutenir leur mari en raison de la faiblesse de leurs revenus. Aujourd’hui, le rituel est perpétué, malgré les difficultés. Après leur fabrication, les poteries sont vendues au village de Keur Saër. Mais depuis quelques années, le business est au ralenti. Fatou Cissé Thiam estime que cette baisse est liée à l’ouverture de l’autoroute Ila Touba. La septuagénaire souligne que son stock est resté intact depuis un mois. « J’avais acheté une valeur de 75.000 FCfa pour les revendre pendant le Grand Magal de Touba, mais je n’ai pas réussi à les écouler. L’autoroute à péage nous a beaucoup handicapées », regrette-t-elle.
Mais cette situation ne décourage pas ces braves dames. Fatou Thiam précise qu’elles sont obligées de continuer l’activité dans le but de préserver ce legs et les transmettre aux générations à venir. Elles ont aussi trouvé des astuces pour rendre attractifs leurs produits. L’innovation majeure consiste à inventer de nouveaux modèles d’encensoirs et de pots de fleurs, les peindre et les orner. Les plus ambitieuses, elles, ont décidé de se déplacer dans les grandes villes comme Dakar, Saint-Louis, Ziguinchor, Kolda pour écouler leurs marchandises. « Nous recevons des commandes venant de l’intérieur du pays. Il s’agit de grands commerçants qui font de l’achat pour la revente », conclut Mme Niasse.