Les hommes politiques, ces pompiers pyromanes

On s’inquiète à juste titre de la montée récurrente des violences urbaines, et autres scènes de pillage, y compris les soirs de fête. Mais nos gouvernements, eux-mêmes, ne sont-ils pas violents et ne donnent-ils pas le mauvais exemple ? La seule différence est que la violence d’État est légale, tandis que celle de la rue ne l’est pas. Tout n’est qu’une question juridique, au mieux un bon sujet au bac philo, j’en veux pour preuve l’analogie entre les violences intra-muros et les conflits internationaux, les deux étant intimement liés.

Ces cinq dernières années les dépenses d’armement dans le monde ont augmenté de 34%, la France est d’ailleurs le deuxième pays exportateur dans le monde, la guerre est redevenue à la mode et après cela, on s’étonne que les Kalachnikovs circulent librement dans les cités et s’achètent sur Internet. On est passé de l’ère de la diplomatie à celle de la force armée en Ukraine et au Moyen-Orient notamment, avant que demain un autre conflit de haute intensité ne surgisse quelque part ailleurs, pourquoi pas dans le Pacifique à propos de l’île de Taïwan.

En 1974, déjà, Yasser Arafat alors président de l’OLP, s’adressait aux délégués de l’ONU : « Je suis venu avec un rameau d’Olivier et une arme de combattant pour la liberté (il portait en effet un colt à la ceinture). Ne laissez pas le rameau d’Olivier tomber de mes mains ». C’est pourtant ce qui s’est passé.

Et après cela nos dirigeants, dont beaucoup sont des apprentis sorciers, et pour certains des réincarnations de César Borgia, entendent pacifier nos banlieues ? Ce serait à mourir de rire si la situation n’était pas aussi dramatique. Nos pays occidentaux sont en ébullition et la planète une marmite sur le point d’exploser, à un moment où quelques-uns s’apprêtent à allumer la mèche. Depuis quelques années, on voit ressurgir les Empires et leur besoin de conquête territoriale, la raison en est simple, pour survivre au chaos intérieur ces empires doivent exporter le chaos hors de leurs frontières. Il en va de leur existence, c’était déjà vrai avec l’Empire Romain ainsi que sous les tsars de la sainte Russie. Un orfèvre en la matière, l’un des zélés serviteurs de Vladimir Poutine, Vladislav Sourkov, aujourd’hui limogé par son maître, n’a-t-il pas écrit : « Toute société est soumise à la loi physique de l’entropie« , aussi stable soit-elle, en l’absence d’intervention extérieure, elle finit par créer le chaos en son intérieur. Cela était vrai sous l’Antiquité et cela l’a été également au XXème siècle avec pour les Américains les guerres désastreuses du Vietnam et d’Irak, et de la Russie avec son expédition militaire calamiteuse en Afghanistan. Autant de fiascos militaires historiques, mais où pendant ce temps les dirigeants de ces pays ont muselé leur opposition. Mieux vaut une bonne guerre chez les autres, qu’une guerre civile chez soi, et l’Ukraine est aujourd’hui la victime de cette sinistre stratégie de Vladislav Sourkov.

Quelles leçons a-t-on tiré depuis 2000 ans ? Aucune ! L’histoire est pourtant là pour nous éviter la répétition des erreurs du passé. On déplore, et à juste titre, les pillages de magasins de luxe sur les Champs-Élysées, mais que n’a-t-on dénoncé en 2014 l’annexion de la Crimée, en violation de toutes les lois internationales instaurées au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Qu’est devenu le respect de la souveraineté territoriale des nations votée par les Nations-Unies ? Qu’est-ce qui a changé depuis que Cortès a anéanti l’Empire Aztèque ? Aujourd’hui les nouveaux conquistadors appartiennent à la tech, et le tonnerre d’Internet et de l’IA a succédé à la foudre des mousquets du XVIe siècle.

Les prédateurs ont seulement changé de nom, et une fois de plus les gouvernements ne donnent pas le meilleur exemple.

On s’étonne de la violence, mais on ne s’étonne pas que moins de 10% des intervenants à l’ONU soient des femmes. Comment en être surpris lorsqu’on sait que « la politique n’est que la continuation de la guerre par d’autres moyens », une définition bien virile, née surement d’un esprit machiste. Résultat, à New-York on peut constater le niveau particulièrement élevé de testostérone qui flotte dans les couloirs des Nations-Unies. Qui se souvient encore aujourd’hui des propos prémonitoires de J. F. Kennedy à La Tribune de marbre des Nations-Unies, lors de la crise des missiles de Cuba : « … Jamais les nations du monde n’ont eu autant à perdre, ni autant à gagner. Ensemble nous sauverons notre planète, ou ensemble, nous périrons dans ses flammes ».

A force de jouer avec le feu, on finit inévitablement par déclencher un incendie, au niveau d’un pays, comme à l’échelle du globe, et aujourd’hui on ne compte plus le nombre de pyromanes et de foyers. On se rassurera en pensant que la sagesse, toute relative, des hommes politiques nous a jusqu’à ce jour protégé de l’apocalypse nucléaire, mais on s’inquiètera en pensant que depuis 1947, année au cours de laquelle les physiciens du projet Manhattan ont expérimenté leur bombinette atomique dans le désert du Nouveau- Mexique, l’aiguille de l’horloge du monde n’a jamais été aussi proche de minuit.

La situation actuelle n’est pas sans nous rappeler le sort des poissons abyssaux, habitués à survivre sous la pression des milliers de tonnes d’eau des océans, qui explosent lorsqu’ils remontent à la surface.

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain