les lecteurs »
A lire absolument pour comprendre la politique étrangère américaine des 40 dernières années, notamment la phobie américaine d'un retour d'un axe Eurasie, donc le refus des routes de la soie...... Remplacer Russie par Chine, et la situation actuelle s'éclaire. Compléter cette lecture avec le dernier livre d'Allison, "vers la guerre......".
*Programmatique
Le hasard est parfois troublant : l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine a commencé alors que j’étais en pleine lecture de ce qui apparaît comme une sorte de testament de Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller à la sécurité des Etats-Unis sous Jimmy Carter. Dans ce livre, écrit pour ses étudiants alors qu’il était professeur à Columbia, Brzezinski expose sa théorie de la politique des Affaires étrangères américaine après la chute du mur de Berlin.
Convaincu, comme de nombreux géopoliticiens avant lui, que le continent eurasiatique est la clé de la domination mondiale, il considère que les deux puissances dominantes ou en devenir, la Russie et la Chine (l’ouvrage a été écrit en 1997) doivent être refoulées (pour la Russie) et/ou contenues (Chine). Pour cela, les Etats-Unis disposent de deux alliés, à l’ouest de l’Eurasie, il s’agit de l’Union Européenne, espace économique prospère mais dépendant du parapluie militaire américain, à l’est, il s’agit du Japon, peu ou prou dans la même situation.
Brzezinski analyse la structure de l’Europe et montre combien le fameux couple franco-allemand est un rouage essentiel dans la construction européenne. Loin de penser que cette « nouvelle » structure est un potentiel concurrent à l’Amérique, son conseil est d’appuyer son extension et son approfondissement dans le but avoué de gagner de l’influence en Europe de l’Est et, but ultime, prendre pied en Ukraine et en Azerbaïdjan, le premier de ces pays étant jugé essentiel pour la sécurité des Etats-Unis. Bien entendu, en mars 2022, ce texte prend un tour prophétique et troublant… toutes les actions menées en sous-main par l’OTAN et l’UE prennent tout leur sens à la lumière de ce bréviaire néo-conservateur : Sans l’Ukraine, la Russie perd une part significative de sa puissance et de son influence géopolitique, le pays contrôlant l’isthme baltique (entre Baltique et Mer noire) et explique pourquoi Moscou a toujours veillé à garder sa tutelle sur le pays… sans parler des liens consubstantiels et historiques qui unissent les deux pays.
La « possession » ou la perte de l’Ukraine déterminera le futur de la Russie et fera basculer tous les Balkans caucasiens (les anciennes républiques d’Union Soviétique musulmanes qui bordent le sud du pays de la Mer Noire à la Mongolie) : Aujourd’hui tiraillés entre les impérialismes chinois, russe, turc et américain, ces pays détiennent d’immenses réserves d’énergie et sont à ce titre des zones essentielles à contrôler (et le seront de plus en plus à mesure que les réserves du golfe s’amenuisent).
Ainsi, l’Ukraine est un pivot géopolitique essentiel au maintien de l’Amérique comme super-puissance : « un scénario présenterait un grand danger potentiel : la naissance d’une grande coalition entre la Chine, la Russie et peut-être l’Iran, coalition « anti-hégémonique » unie moins par des affinités idéologiques que par des rancunes complémentaires. Similaire par son envergure et sa portée au bloc sino-soviétique elle serait cette fois dirigée par la Chine. Afin d’éviter cette éventualité, aujourd’hui peu probable (texte écrit en 1997), les Etats-Unis devront déployer toute leur habileté géostratégique sur une bonne partie du périmètre de l’Eurasie, et au moins, l’ouest, à l’est et au sud. » . A l’ouest (Ukraine), l’habileté géostratégique des Etats-Unis s’est manifestée avec le soutien aux « révolutions de couleur ». Poutine et la Russie ne pouvaient pas tolérer cela et ont agi en conséquence.
Le sud (les fameux Balkans caucasiens) dès lors tomberont sans coup férir si la Chine n’est pas en capacité de prendre le relais d’une Russie défaillante (ou occupée ailleurs). C’est là le véritable enjeu des prochaines décennies, savoir si l’Empire du milieu sera capable de tenir le rôle de super-puissance qu’on lui promet. Dans ce nouvel ordre mondial (traduit par le changement de pivot opéré sous Obama), l’est de l’Eurasie est donc appelé à jouer les premiers rôles et pour les Etats-Unis, ainsi que le souligne Brzezinski, son alliance avec le Japon devient de plus en plus vitale. C’est le principal enjeu des années à venir : est-ce que l’alliance américano-nipponne sera en mesure de freiner l’expansion économique, culturelle (voire territoriale) de la Chine dans la région indopacifique…
Un ouvrage essentiel pour comprendre ce qui se passe actuellement dans le monde…
Fiche
« Que dit vraiment Le Grand Echiquier de Zbigniew Brzeziński
Souvent cité pour illustrer l’impérialisme américain, j’ai voulu savoir ce que disait Brzezinski, le politologue et ancien conseiller à la sécurité américaine, dans son livre.
Qui était Brzeziński ?
Politologue américain, fils d’un diplomate polonais, Zbigniew Brzeziński fût doctorant puis professeur à Harvard et dans plusieurs universités. Sa thèse portait sur le totalitarisme soviétique. Il fut également expert au Center for Strategic and International Studies de Washington. Auteur de plusieurs études et analyses sur le bouleversement et le rôle des États-Unis dans le monde, il devient conseiller politique au Département d’État de 1966 à 1968. Dans Between Two Ages: America’s Role in the Technetronic Era (1970), il affirme qu’une politique de coopération plus étroite entre les pays riches est nécessaire pour prévenir l’instabilité globale émergeant de l’accroissement des inégalités. Il cofonde alors, avec le multimilliardaire David Rockefeller, la commission Trilatérale en 1973, qu’il dirige jusqu’en 1976.
Brzezinski ensuite a été conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter de 1977 à 1981. En tant que tel, il a été un artisan majeur de la politique étrangère de Washington, soutenant une politique plus agressive vis-à-vis de l’URSS, en rupture avec la Détente antérieure, qui mettait l’accent à la fois sur le réarmement des États-Unis et l’utilisation des droits de l’homme contre Moscou. Il est resté, jusqu’à aujourd’hui, une référence en matière de politique étrangère aux États-Unis, et même souvent cité en France.
En 1976, il participe alors à l’écriture du discours inaugural de Carter, qui envoie un fort signal aux dissidents soviétiques en rupture avec la politique de détente. Cela lui vaut des critiques à la fois de l’URSS et des États d’Europe de l’Ouest. Brzeziński voyage aussi à Pékin en 1978 afin d’amorcer la normalisation des relations sino-américaines et prolonge ainsi la diplomatie du ping-pong initiée par Nixon. Cela a pour conséquence la rupture des relations diplomatiques en 1979 avec Taïwan, jusqu’alors allié fidèle de Washington.
Brzezinski, artisan de l’expansion de l’Otan ?
Il est aussi l’un des artisans de l’Opération Cyclone par laquelle Washington soutient les moudjahidins afghans dès juillet 1979. Brzeziński déclara que l’aide provoquera l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS, ce qui se produit effectivement en décembre. Deux décennies plus tard, en se félicitant que les Soviétiques se soient épuisés dans le piège afghan , il répond à l’accusation d’avoir provoqué l’intervention soviétique : “Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent”. Brzezinski devint à cette période membre de la National Endowment for Democracy, qui se donne pour objectif de financer les mouvements pro démocratie dans le monde.
En 1990, il critique l’euphorie après la fin de la guerre froide, symbolisée par les thèses de Fukuyama sur la « fin de l’histoire ». Il s’oppose à la guerre du Golfe en affirmant qu’elle nuit à la crédibilité des États-Unis, notamment dans le monde arabe, thèses qu’il répète dans Out of Control (« Hors de contrôle », 1992). En 1995, Brzezinski utilise alors pour la première fois le mot tittytainment pour arriver à la conclusion que « dans le siècle à venir, deux dixièmes de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale ». Il critique ensuite l’hésitation de l’administration Clinton à intervenir contre la Serbie dans la guerre en ex-Yougoslavie et s’oppose à la première guerre de Tchétchénie en dirigeant le Comité américain pour la paix en Tchétchénie formé en 1999. Après l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, il se méfie à nouveau de Moscou et devient l’un des soutiens importants de l’expansion de l’OTAN aux États post-soviétiques.
La planète selon Brzezinski
vocation des Etats-Unis à guider la planète, à en contrôler les ressources énergétiques, à déployer partout leur armée…
www.monde-diplomatique.fr
Que raconte Le Grand Echiquier ?
Pourquoi et comment les Etats-Unis d’Amérique sont-ils devenus les garants de l’ordre mondial ? Quel rôle peut jouer l’Europe face à cette arrogante suprématie ? Zbigniew Brzezinski montre que les Etats-Unis, pour maintenir leur leadership, doivent avant tout maîtriser le Grand Echiquier que représente l’Eurasie (Europe et Asie orientale), où se joue l’avenir du monde.
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En 1997, Brzenzenski écrit Le Grand Échiquier, qui fût traduit la même année chez Hachette en France. La théorie exposée dans cet ouvrage se base sur l’idée que l’amélioration du monde et sa stabilité dépendent du maintien de l’hégémonie des États-Unis. Toute puissance concurrente est dès lors considérée comme une menace pour la stabilité mondiale. Son discours est franc et direct, ce qui n’exclut pas un certain cynisme. Contrairement à l’unilatéralisme du président George W. Bush, il est plutôt pro-européen dans la mesure où selon lui la suprématie des États-Unis, le seul pays qui peut sauver le monde du chaos (sic), ne peut être pleinement réalisée et les USA ne peuvent atteindre leurs objectifs qu’en travaillant avec l’Europe. Selon ses propres mots : « Sans l’Europe, l’Amérique est encore prépondérante mais pas omnipotente, alors que sans l’Amérique, l’Europe est riche mais impuissante ». Il voit dans l’alliance américaine-européenne un axe qui permettrait à chacune des parties de devenir plus puissante tout en ayant une influence plus forte sur la paix et le développement dans le monde.
Six ans après l’effondrement du bloc soviétique, le livre de Zbigniew Brzezinski propose une nouvelle vision géostratégique devant permettre à l’hyperpuissance américaine de maintenir sa position hégémonique sur la planète. Par géostratégie, il fait référence à la gestion stratégique des intérêts géopolitiques, qu’il assimile à une partie d’échecs. Celle-ci se jouera sur le « grand échiquier » que constitue la masse continentale eurasiatique. En Eurasie, espace névralgique et source de puissance, les États-Unis devront veiller désormais à ce qu’aucune puissance ou entité ne les défie en s’érigeant en dominateur.
Le Grand échiquier de Zbigniew Brzezinski
Ouvrage recensé – Le Grand échiquier, L’Amérique et le reste du monde, Paris, Bayard éditions, 1997. Du même auteur …
Des analyses contradictoires
Les politologues Stéphane François et Olivier Schmitt minimisent la signification du Grand Échiquier : ils y voient une référence classique de l’anti-américanisme. Ayant les mêmes défauts que tous les géopoliticiens, Brzezinski a une approche déconnectée de toute considération pour les souhaits des populations locales, et s’exprime en termes généralistes sur une situation stratégique qui serait idéale pour les États-Unis. Prenant les écrits de Brzezenski pour l’exposition de la grande stratégie de Washington, des sphères d’extrême droite pensent ainsi avoir trouvé la preuve (dans ce livre) de la rapacité américaine, et l’explication unique de tous les événements survenus depuis la chute du mur de Berlin.
Inversement, l’universitaire Gilbert Achcar voit dans Brzeziński le « gourou de l’administration Clinton », celui qui avec son successeur Anthony Lake, a convaincu le président Clinton d’étendre l’OTAN vers l’Est pour refouler et encercler la Russie. S’inspirant des théories de Halford Mackinder et de Karl Haushofer, Brzeziński résume ainsi les objectifs stratégiques qu’il assigne aux États-Unis : « prévenir la collusion et maintenir la dépendance sécuritaire parmi les vassaux, garder les tributaires dociles et protégés, et empêcher les barbares de se regrouper ». Selon Achcar, Brzeziński, motivé par une hostilité à la Russie « quasiment obsessionnelle », serait l’un des grands responsables de la « nouvelle guerre froide » qui caractérise le XXIe siècle.
Brzezenski sur L’Ukraine
En mars 2014, au moment de crise ukrainienne, il appelle dans le Washington post à agir pour ne pas laisser Poutine l’emporter. Brzenzenski dénonce l’agression de Poutine et demande un sursaut de l’Occident.
Opinion | What is to be done
Zbigniew Brzezinski was national security adviser from 1977 to 1981. Regarding the Russian aggression against Ukraine…
www.washingtonpost.com
Brzezinski a également écrit nombreux autres livres : La révolution technétronique, Illusions dans l’équilibre des puissances, L’Amérique face au monde,…Dans la vidéo qui suit, il donnait un entretien à la chaine France 24.
Ci dessous, une photographie du Shah d’Iran avec Atherton, Sullivan, Vance, Carter et Brzeziński, en 1977.
Mort en 2017
L’influent politologue Brzezinski est mort le 26 mai 2017 à Falls Church en Virginie, à l’âge de 89 ans. Certains analystes estiment qu’il aura laissé derrière lui comme plus grande réussite la normalisation des relations américano-chinoises. D’autres pensent qu’il a participé à déployer l’empire américain sur le monde. Si son passage aux responsabilités fût bref, il a continué par la suite à influencer les décisions et à intervenir régulièrement dans le débat public américain pour donner son avis notamment sur la politique étrangère.


