Le fantôme de Marthe Richard hante le palais Bourbon

80 ans après la fermeture des maisons closes suite à la loi  « Marthe Richard », du nom d’une ancienne prostituée devenue conseillère municipale de Paris, voici qu’un député du Rassemblement national, Jean-Philippe Tanguy, se propose de les rouvrir. Et l’économiste du parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella propose même d’en faire des « coopératives » gérées par les péripatéticiennes elles-mêmes, et non plus par des tenancières de bordel. Sacré nom, voilà l’extrême droite qui s’érige en défenseur des demoiselles de petite vertu, ce qui ne manque pas d’être cocasse.  

Depuis 1805, la prostitution, le racolage a bien changé, et aux allées du Bois du Boulogne, ou au tapinage sur les grands boulevards, ont succédé des appartements de type Airbnb car l’achat d’actes sexuels est désormais interdit sur la voie publique. En soi, la proposition du député Tanguy n’est pas révolutionnaire, les maisons closes existant toujours en Belgique et en Allemagne et tolérées en Espagne. Selon le parlementaire RN cette pénalisation du client, qui date de 2016, a eu pour effet de renvoyer les prostituées à des conditions  de travail sordides et à exercer le plus vieux métier du monde dans l’insécurité la plus totale, notamment pour cause d’agressions et de violences. Ce qui n’est pas faux. Rappelons cependant que le proxénétisme, qui génère des profits colossaux, n’est rien moins qu’une forme d’esclavage humain et comme tel est interdit par la loi, et moralement choquant.

La morale, parlons-en justement ! Dans une biographie romancée du cardinal Grente, que j’ai écrite il y a quelques années,*  j’ai rapporté comment l’Evêché de la Sarthe possédait, entre la Première guerre mondiale et la seconde, plusieurs « claques » dans le quartier du Vieux-Mans,  actuellement dénommé cité Plantagenêt. Chaque mois, l’évêque percevait ainsi, à sa grande honte, les loyers, le « pain de fesse ». L’ecclésiastique, surnommé « pète en soie », (à cette époque les dignitaires de l’église, comme les nobles, portaient des sous-vêtements en soie), avait bien tenté d’évincer ces locataires un peu gênantes, mais un moratoire lié à la guerre 14-18 interdisait d’expulser les locataires de leur logement, elles comme les autres. Il avait par ailleurs de bonnes raisons de leur en vouloir car, en plus du trouble qu’elles provoquaient autour de sa résidence épiscopale, elles faisaient concurrence à son office du dimanche matin, en détournant de la messe un certain nombre d’hommes plus soucieux d’aller butiner la belle que d’écouter les saintes évangiles. Celui qui fut l’un des cardinaux-électeurs du nouveau pape, lors d’un concile à Saint-Pierre de Rome, dut prendre son mal en patience et attendre des jours meilleurs, à savoir l’année 1946. Les fidèles purent dès lors se rendre tranquillement à la cathédrale, sans avoir à détourner pudiquement les yeux sur ce commerce licencieux, inavouable et condamné par l’église. Ironie de l’histoire, les maisons closes étaient aussi appelées « maisons de tolérance », or les bigotes, elles, étaient intolérantes sur le sujet. Ces maisons étaient pourtant, à l’époque, le lieu où les familles  bourgeoises déniaisaient le fils boutonneux et un peu timoré.

Le problème est qu’aujourd’hui la plupart des filles exercent leur métier, le plus vieux du monde avec celui d’espion, dans la clandestinité et que les autorités préfèrent s’attaquer directement aux réseaux. La prostitution est d’ailleurs l’une des sources de financement parmi les plus lucratives des différentes maffias, avec le racket, l’extorsion de fonds, le trafic de drogue et de cigarettes, etc. Qu’on se rassure, l’Etat y retrouve son compte car les prostituées sont imposées et doivent s’acquitter de l’impôt sur le revenu. L’argent n’a pas d’odeur, c’est bien connu. Une question se pose : comment Bercy contrôle-t-il le nombre de passes de ces demoiselles ? Sur ce point, le code général des impôts est muet comme une carpe !

Structure juridique « les coopératives » ne changeront pas grand chose au problème, hormis la disparition des « mères maquerelles » chargées d’administrer les lupanars . Jusque-là, on connaissait surtout les coopératives viticoles, laitières, fromagères, d’huile d’olive, etc. pas sûr que le paysage français y gagnerait avec des « coopératives du sexe ».

Verra-t-on, à nouveau, demain dans nos villes, des immeuble reconnaissables à leur lanterne rouge, avec leurs petits salons et d’accortes hôtesses en déshabillés vaporeux ? Reconnaissons que cette proposition de l’élu RN est surprenante, tant le sujet est loin des préoccupations habituelles de ce parti. Il aura eu le mérite du moins de nous sortir de la torpeur d’une séquence budgétaire interminable. Nul doute que si débat parlementaire il devait y avoir, il serait passionnés dans un hémicycle inflammable.

Je me pose une autre question : De la même façon qu’il existe déjà au sein du palais Bourbon une buvette fréquentée assidument par certains députés, Jean-Philippe Tanguy imagine-t-il l’ouverture d’une « coopérative du sexe » dans l’enceinte de l’assemblée nationale ? Et que pense de tout cela les députés féministes ?  Affaire à suivre.

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain