
Le Bachirisme ( Souleymane Bachir DIAGNE) : entre réactualisation des héritages et illusion d’un nouveau courant -Imam Malick
Mr à Mr MBENGUE de m’avoir confié cet article instructif..
Quand on se demande « Quelle est la philosophie de Souleymane Bachir Diagne ? », on ne cherche pas simplement à savoir de quels auteurs il se réclame, mais quel geste philosophique, quelle orientation, quel horizon il propose ce en quoi il se distingue d’un commentateur érudit ou d’un simple médiateur intellectuel. Beaucoup le lisent comme un « actualisateur » (Bergson, Merleau-Ponty, pensée islamique classique, héritage africain), mais la question vaut d’être posée : y a-t-il en lui une pensée originale, un tournant, une vocation philosophique propre ?
Dans cet article, nous retracons cette hypothèse : nous montrons en quoi la singularité de Diagne tient moins dans une « pensée fermée » que dans l’invention d’un mode opératoire philosophique adapté à la pluralité des langues, des cultures, des histoires et nous proposons de mesurer ce qu’un tel horizon apporte à la philosophie contemporaine.
Par Imam Malick
La question de la philosophie propre à Souleymane Bachir Diagne ne cesse de susciter l’intérêt, tant son œuvre semble à la fois enracinée dans de multiples héritages et animée d’un geste intellectuel singulier. À première vue, sa pensée se présente comme un carrefour où se rencontrent Bergson, Iqbal, Merleau-Ponty, Descartes, Senghor, mais également la tradition soufie, la philosophie analytique du langage et les débats contemporains sur la mondialisation culturelle. Pourtant, derrière cette multiplicité de filiations, une interrogation demeure : que dit-il vraiment de manière originale ? S’agit-il d’un véritable courant philosophique inédit, ou plutôt d’un art sophistiqué de réactiver les pensées du passé pour les faire dialoguer avec le présent ?
Ce qui frappe d’abord dans son œuvre est la manière dont il réactualise la philosophie française du XXᵉ siècle, en particulier le bergsonisme. Sa lecture postcoloniale de Bergson refuse d’en faire un simple auteur du spiritualisme français, elle transforme l’intuition bergsonienne du mouvement en une ressource pour penser la circulation des cultures et des savoirs dans un monde globalisé. Par exemple, lorsqu’il discute l’idée bergsonienne de l’élan vital, il la relit à la lumière de la rencontre entre les traditions intellectuelles, montrant que la créativité humaine n’est jamais confinée dans une identité close. Ce déplacement illustre sa méthode : il ne répète pas les auteurs, il les met au travail dans un contexte qui n’est plus le leur.
Cette réappropriation s’accompagne d’une thèse forte sur la vérité. Contrairement à certaines formes de pragmatisme qui envisagent la vérité comme une construction fragmentée façonnée par les pratiques humaines, Diagne défend une pluralité qui n’est pas dispersée, mais orientée vers l’universel. Il partage avec des auteurs comme William James l’idée que la vérité se vérifie dans l’expérience, mais il s’en écarte en refusant de réduire le pluralisme à une juxtaposition de perspectives. Chez lui, le pluralisme est un horizon de convergence, ce n’est pas l’éclatement, mais l’ouverture. On peut en donner un exemple contemporain avec les débats sur l’intelligence artificielle : plutôt que de mettre en concurrence des conceptions culturelles hétérogènes de la technique, il invite à les penser ensemble afin de les intégrer dans un avenir commun de l’humanité.
Cette perspective s’inscrit profondément dans l’héritage senghorien. L’idée de « civilisation de l’universel », centrale chez Léopold Sédar Senghor, trouve chez Diagne une reformulation philosophique précise. On ne chemine vers l’universel qu’à partir d’un enracinement propre, mais cet enracinement n’est jamais une clôture. Il s’agit d’une dynamique du « donner-et-recevoir », où chaque culture s’enrichit de la rencontre avec l’autre sans perdre sa singularité. Diagne reprend ce geste pour penser la vérité non pas comme l’expression d’une identité nationale, mais comme le produit des interactions culturelles qui traversent le monde contemporain. On voit par exemple cette logique dans les échanges scientifiques internationaux : aucune tradition ne détient à elle seule les clefs de la rationalité, mais toutes contribuent à une quête commune.
L’un des apports majeurs de sa pensée réside également dans son travail sur la traduction. Son dialogue avec Barbara Cassin autour des « intraduisibles » l’amène à considérer la traduction non comme un simple passage d’une langue à une autre, mais comme un acte philosophique révélant la manière dont chaque culture organise le sens. Traduire, pour lui, c’est créer du commun tout en préservant les écarts. Cette conception prend toute son ampleur dans la manière dont il rapproche le cogito cartésien de la philosophie africaine de l’Ubuntu : là où Descartes affirme « je pense, donc je suis », l’Ubuntu rappelle que l’existence du sujet se déploie toujours dans une relation à autrui. Ce rapprochement n’est pas une opposition simpliste,; il illustre sa méthode comparative, qui fait résonner des traditions éloignées pour mettre en évidence des possibles du penser.
Cependant, ce travail impressionnant de médiation intellectuelle interroge la possibilité de parler d’un « bachirisme ». Si une nouvelle génération de chercheurs admire profondément son œuvre et s’en réclame, il est difficile d’y voir un courant philosophique autonome doté de concepts originaux au sens strict. Son talent réside moins dans la création de notions inédites que dans l’art de commenter, d’interpréter et de faire converser des pensées hétérogènes. Son œuvre n’est pas celle d’un fondateur de système, mais celle d’un passeur rigoureux et inspiré, qui fait dialoguer Descartes, Bergson, Iqbal, Teilhard de Chardin, le soufisme africain et la philosophie du langage, afin de proposer une vision du pluralisme culturel adaptée à notre monde globalisé.
Ce que l’on peut appeler sa contribution propre ne se réduit ni à un bergsonisme africain, ni à une simple défense de Senghor, ni à un commentaire érudit. Son originalité tient dans la construction d’un espace de pensée où les traditions se rencontrent, s’interpellent et se transforment mutuellement. Elle se situe dans la conviction que la vérité se nourrit de la diversité des cultures, et que la philosophie est avant tout un art de la traduction des langues, des systèmes, mais surtout des mondes.
En conclusion, l’œuvre de Souleymane Bachir Diagne ne fonde peut-être pas un courant doctrinal inédit, mais elle ouvre un mode singulier d’habiter la philosophie : non pas inventer ex nihilo, mais faire circuler les idées, réanimer les héritages, et penser la pluralité sans renoncer à l’universel. L’ouverture possible serait d’examiner comment ce modèle de pensée peut s’appliquer aux défis contemporains qu’il s’agisse du dialogue interreligieux, des migrations, des débats écologiques ou de la gouvernance mondiale où la question de l’universel à construire demeure l’un des enjeux majeurs de notre temps
Un apport
Très bonne question que je voulais aborder mais moi je manque de temps mais je le ferai un jour à la retraite peut être
Il n’y a pas longtemps un jeune sorbonnicol m’a posé la même question. Quelle est la philosophie de SBD
J’ai répondu Penser le monde et SBD pense la Philosophie comme une totalité en mouvement ( savoir de la totalité et totalité du savoir. C’est l’encyclopédie qu’on m’enferme pas. SBD est héritier des anciens philosophes : il est érudit en algèbre-logique, Iqbal-Senghor et il reçoit, assimile et digère tous les savoirs et exhume leurs
quintessences pour expliquer la diversité du monde : le voici penseur de l’Universel et du Mouvement ce qui passe par la Traduction qui fait sa Présence au Monde.
Pape B CISSOKO

